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le nom de Francia occidentalis, qui la désigna d'abord, n'était-il pas toujours étendu à l'Aquitaine.

Il n'est pas douteux que des faits naturels d'ordre intellectuel n'aient préparé cette séparation politique. Le serment prêté par Louis le Germanique à Charles le Chauve, à Strasbourg (842), atteste que déjà les populations habitant la région que nous venons de définir parlaient un langage roman, au lieu du langage germanique dominant dans la Francie orientale (Franconie) et plus à l'est 1. Mais c'est le fait de la séparation dolitique qui allait définir géographiquement et préciser le fait linguistique.

Charles le Chauve, resté roi de France, fut entraîné par le hasard des successions, d'un côté à revendiquer une part des domaines de Lothaire ou Lotharingie (Lorraine), enfin à réclamer la couronne impériale (875). Inversement, quand des morts prématurées eurent fait passer la France au Souabe Charles le Gros (884), elle se trouva un moment absorbée de nouveau dans l'Empire. Tout entiers à ces querelles, les rois carolingiens négligeaient souvent la tâche essentielle, la défense du pays contre les Normands; Paris, assiégé par ceux-ci en 886, fut, après une valeureuse défense, trahi par Charles le Gros (887). En même temps, pour s'assurer des partisans, les rois prodiguaient les lambeaux du domaine et de l'autorité à leurs fonctionnaires et sujets notables, accordant surtout l'hérédité. Partout, des autorités locales se constituaient, non seulement dans les provinces (Aquitaine, Bretagne, Flandre), mais jusque dans les simples cantons elles se chargeaient d'assurer aux populations le minimum de sécurité nécessaire pour empêcher la cessation de tout travail. Ce furent ces propriétaires fonciers, grands ou moyens, qui déposèrent Charles le Gros en 888,

1. Voici le texte de ce serment : « Pro Deo amur et pro christian poblo et nostro commun salvament, dist di en avant, in quant Deus savir et podir me dunat, si salvarai eo cist meon fradre Karlo, et in adiudha et in cadhuna cosa, sicum om per dreit son fradre salvar dist, in o quid il mi altresi fazet, et ab Ludher nul plaid nunquam prendrai qui, meon vol, cist meon fradre Karlo in damno sit. >>

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et s'arrogèrent le droit de désigner ses successeurs. Le processus historique qui isolait la France dans l'Europe a été ainsi complètement masqué par l'anarchie grandissante : celle-ci ne devait plus laisser subsister bientôt d'autres liens réels que ceux qui se reformaient çà et là entre les possesseurs du sol.

L'empire franc s'est effondré, non par le fait de ces dissensions, mais parce qu'il n'a pas satisfait à sa mission essentielle arrêter les païens du Nord et de l'Est. On a vu comment le roi d'Allemagne avait mérité de relever une fois de plus l'Empire (962), et comment ensuite la conversion des païens de l'Est a finalement fait paraître presque inutile l'autorité impériale. La suprématie de l'empereur allemand a été tout de suite méconnue par certains rois, reconnue seulement en théorie par d'autres. La Francie occidentale, qui commence alors à s'appeler France, avait une situation très particulière parce qu'elle resta en général fidèle à des rois carolingiens : les empereurs allemands ne pouvaient se désintéresser de ce qui s'y passait, et ce sont eux en somme qui, au xe siècle, ont décidé de ses destinées.

Parmi les dynasties locales, une surtout s'était signalée dans la lutte contre les Normands. Le premier de ses membres qui soit connu, Robert le Fort, était tombé en combattant contre ces barbares, à Brissarthe (866). Son fils, Eudes, venait de défendre Paris en 886. Ce fut lui que choisirent pour roi les grands de la région gouvernée naguère par Charles le Chauve (888-898). Pourtant le prestige héréditaire des Carolingiens fut assez fort pour ramener sur le trône un petit-fils de celui-ci, Charles le Simple, de 898 à 922. Charles chercha à s'appuyer sur les Normands, auxquels il céda la province qui devint la Normandie (911). Il n'en fut pas moins battu par le fils d'Eudes, et remplacé par un neveu de celui-ci, Raoul (923-936). L'héritier des domaines des Robertiniens, déjà étendus (Ile-de-France, Bourgogne, etc.), fut ensuite Hugues le Grand : il préféra rendre le trône à un Carolingien, Louis IV d'Outre-Mer (936-954). Mais le

roi carolingien, désormais dépouillé de presque tous ses domaines, se trouvait réduit à invoquer l'arbitrage du roi de Germanie. Or, quand celui-ci devint empereur (962), il fut dominé par sa méfiance vis-à-vis des héritiers de Charlemagne, d'autant que le successeur de Louis IV, Lothaire (954-985), avait des prétentions sur la Lorraine. L'empereur allemand pouvait compter sur le puissant archevêque de Reims, le Lorrain Adalbéron, adroitement conseillé par son « écolâtre >> 1 Gerbert ils travaillèrent à transférer la couronne du Carolingien au fils d'Hugues le Grand, Hugues Capet. D'autre part, les grands de France ne connaissaient pas ces intrigues, et au contraire, quand la mort de Lothaire (985), puis de Louis V (987), eut laissé le duc de Lorraine, Charles, héritier des Carolingiens, ils répugnèrent à accepter pour roi un vassal de l'Allemagne. Hugues reçut donc la couronne (987) son élection put être considérée comme une victoire et par l'empereur allemand Otton III, et par les grands de France qui, d'instinct, ne voulaient pas d'un souverain trop puissant. Restait à savoir comment le roi capétien allait se conduire entre ces forces diverses.

Durant le siècle qui suivit, il fut servi, de part et d'autre, par les circonstances.

D'un côté, nous avons dit que l'empereur allemand vit bientôt s'élever au-dessus de lui le pouvoir de la papauté (Grégoire VII, 1073-1085): les « rois provinciaux» eurent tendance à prendre parti pour le Pape, qui les inquiétait moins que l'Empereur. D'autre part, les grands propriétaires fonciers qui se considéraient comme les pairs du Roi furent absorbés par des expéditions extérieures qui remplacèrent avantageusement les guerres privées où s'usait l'autorité royale (expéditions des Normands en Angleterre et dans les Deux-Siciles; croisade, 1095-9). Enfin, les communes s'organisèrent dans les domaines sei

1. Le prêtre qui dirigeait l'école annexée à la cathédrale.

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gneuriaux et, presque partout, ouvrirent une porte à l'intervention du Roi.

Les premiers Capétiens n'ont pu tirer grand parti de ces circonstances. Mais ils ont duré : chacun d'eux eut soin de faire proclamer son fils roi de son vivant, ce qui assura la permanence de la fonction royale dans la même famille. Après un siècle entier de royauté élective, c'était un point important. HuGues Capet (987-996) a combattu victorieusement les Lorrains et fait reconnaître son autorité éminente jusqu'au delà des Pyrénées, en Catalogne. ROBERT le Pieux (996-1031) a essayé de rattacher à ses domaines la Bourgogne; par son mariage avec Constance d'Arles, il a fait connaître le Roi aux Méridionaux. HENRI Ier (1031-1060) eut surtout à lutter contre le duc de Normandie: il épousa Anne de Russie, relevant ainsi au dehors le prestige du roi de France. PHILIPPE Ier (1060-1108) intervint dans la querelle de la succession de Flandre; il eut le bonheur de rester dans son royaume pendant la croisade, étant à ce moment brouillé avec le pape par suite d'un mariage coupable avec Bertrade. d'Anjou. En somme, ces rois ne se sont pas contentés de maintenir à peu près intact le riche domaine sur lequel reposait leur force réelle : ils ont maintenu, à titre d'indication, pourrait-on dire, l'autorité royale, dans les limites. territoriales fixées depuis le traité de Verdun. Ce n'est pas peu, si l'on suppute les chances de démembrement que couraient toujours et le domaine et l'autorité ; mais l'agrandissement de l'un et de l'autre n'a commencé que par la

suite.

Reste à dire un mot de la civilisation européenne qui, sous l'influence des Orientaux, allait connaître une première renaissance au XIIe siècle : on achèvera ainsi de mettre en garde contre la tendance à antidater le début de l'histoire de l'État français. La science, ou ce qu'on appelait alors de ce nom, avait toujours trouvé dans la région française des représentants particulièrement distingués; le plus illustre est Gerbert, mais on a vu combien fut peu française cette car

rière, qui s'acheva par le pontificat (999-1003). L'art aussi fut bien représenté lorsque commença, après l'an 1000, la reconstruction des églises mais il est aussi inexact de parler d'un « art roman » unique que d'un régime féodal bien défini, et les églises du Poitou diffèrent autant des édifices normands que de ceux qui se sont élevés alors au bord du Rhin. La science et l'art sont toujours, de leur nature, plus ou moins universels: la littérature, au contraire, est particulariste. Dans nos contrées, plusieurs dialectes étaient déjà représentés littérairement, mais sous des formes très diverses. Au nord, on avait au xe siècle des poèmes comme la Chanson de Roland, monument bien connu d'une production épique qui naissait sur toutes les routes de pèlerins de l'Europe'. Au midi, en France et hors de France, les troubadours allaient semer leurs chansons au XIIe siècle. Mais ni la région destinée à devenir la France n'avait encore pris un rôle dirigeant dans la civilisation européenne, ni une influence unique ne se faisait sentir sur les diverses cultures locales qui se la partageaient : c'est au xire siècle seulement qu'Abailard va préparer l'éclat des écoles de Paris, et que Notre-Dame inaugurera une nouvelle architecture vraiment française d'origine, le gothique. On ne saurait séparer complètement de tels changements des premiers succès de la politique capétienne.

III

Louis VI et Suger.

Nous espérons avoir donné une idée sommaire, mais exacte, de la situation de la chrétienté en général, et de la France en particulier, au moment où LOUIS VI LE GROS, proclamé roi dès 1101, succéda à son père Philippe Ier (1108). Son règne apparaît, dans l'ensemble, comme la continua

1. Bédier, Les Epopées françaises, 2 vol., 1906-8.

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