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exécutent avec une barbarie qui n'a point d'exemple, si ce n'est dans le royaume du Maroc. Enfin l'église même ne fut pas épargnée... >>

La bulle Unigenitus (1713) acheva de ranger le jansénisme parmi les hérésies.

Mais il avait jeté des racines assez profondes, sinon étendues. Il avait enrayé le progrès de la morale des confesseurs. jésuites, qui pardonnait facilement une vie déréglée, sinon pour quelques pratiques, au moins pour quelques bonnes actions et un mouvement de repentir sincère. Par l'importance donnée à la grâce, il avait rappelé qu'un bon état de santé morale reste la chose essentielle. L'esprit janséniste devait survivre, par exemple, dans les meilleures parties de la magistrature. Et il se trouva toujours, parmi les Français respectueux du passé de la France, des pèlerins pour la vallée solitaire de Port-Royal.

Mais tant de discordes religieuses, tant de persécutions finirent par inspirer à une grande partie de la société française le dégoût général des questions théologiques, des cas de conscience, etc. Dès 1688, La Bruyère, qui rarement gaspille son encre, consacre aux « esprits forts » un chapitre qui est peut-être le plus serré de ses Caractères, et où sa phrase incisive et brève déborde par instants en périodes métaphysiques. Louis XIV, avant de mourir, verra, ou tout au moins sentira, le « libertinage » installé tout autour de lui.

Revenons au contre-coup de ces événements dans les relations de la France avec l'Europe. Louis XIV avait mécontenté le pape et toutes les puissances catholiques. Il souleva, par la Révocation, une violente indignation dans beaucoup de cœurs protestants: en Hollande, le parti républicain et Guillaume d'Orange ne se réconcilièrent que sous cette impression. Et, quand Guillaume d Orange va se rendre en Angleterre, tel sera le succès général de la politique religieuse de Louis XIV, que le pape aura un mot de sympathie pour « le vaillant et habile hérétique

CHAPITRE IV

LA RÉVOLUTION D'ANGLETERRE (1685-1700)

La guerre turque. — La question de Cologne

Charles II et Jacques II. La

I. LA SITUATION EN 1688. (1688). — L'armée en Allemagne. II. RÉVOLUTION D'Angleterre (1689). chute de Jacques II (1688) et l'avènement de Guillaume III (1689). Louis XIV et Jacques II, l'Irlande. La Hougue (1692). III. GUERRE DE la ligue d'Augsbourg (1689-1697). L'incendie du Palatinat (1689), mort de Louvois (1691). Luxembourg en Flandre, Neerwinden (1693). — Catinat en Piémont, la Marsaille (1693). — Barcelone. L'Orient. Traités de Turin (1696) et de Ryswick (1697). IV. LA FATIGUE DE LA FRANCE. L'effort de la France, ses résultats. Fénelon. Boisguillebert et Vauban.

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L'aspect intérieur du royaume s'était donc assombri depuis le début radieux du règne. Or, pendant ce temps, une nouvelle coalition se préparait, et l'événement que toute la politique de Louis XIV avait tendu à conjurer s'accomplissait. Les velléités de restauration absolutiste et catholique en Angleterre, menaçantes depuis la restauration des Stuarts, le devenaient bien plus encore par l'avènement de Jacques II (1685); l'Angleterre s'exaspérait et appelait de ses vœux Guillaume d'Orange, gendre du Stuart; les provocations de Jacques et une fausse manœuvre de Louis XIV achevaient de la joindre à la coalition.

I

La situation en 1688.

On se rappelle qu'au moment où la Révocation écartait décidément de Louis XIV toutes les sympathies protes

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tantes, c'est surtout avec le monde catholique qu'il tenait querelle ouverte.

L'affaire qui occupait le plus les esprits, dans cette partie de l'Europe, était sans contredit la guerre des Turcs : le pape Innocent XI et l'empereur Léopold en avaient pris la direction, Venise fournissait la flotte, l'Allemagne les armées, la Pologne et même les lointains Moscovites s'étaient ébranlés. Les succès des coalisés excitaient un vif enthousiasme dans la jeune noblesse: Villars fit ses premières armes à Mohacz en Hongrie (1687). On en voulait au roi, même en France, de ne pas s'associer à cette guerre sainte autrement que par quelques « bombarderies » contre les pirates barbaresques. Louis XIV n'osait pas trop négocier avec le Grand Seigneur : il eût certainement préféré, comme allié oriental, la catholique Pologne, où il comptait donner à Sobieski un successeur français. Mais la logique de la situa tion l'emportait: toute attaque à l'Orient contre l'Allemagn contribuait à dégager la France, à favoriser ses empiétements. On savait que, du côté de l'Autriche, la fin de la guerre turque serait le signal de la reprise de la guerre française :

« M. le marquis de Louvois, dit l'envoyé du Brandebourg, Spanheim, combattit dans l'esprit de Sa Majesté la répugnance qu'elle avait à en venir à la reprise des armes ; lui en fit valoir d'un côté la prétendue nécessité pour relever et soutenir la gloire du roi et la réputation de la France, prévenir les desseins et les facilités qu'on avait autrement à l'attaquer ; d'ailleurs, pour intimider le pape1, d'autre part les facilités qu'il y trouvait et la gloire de donner encore une fois la loi à ses ennemis, de profiter de la conjoncture et forcer la conversion de la trêve [de Ratisbonne] en paix avant la guerre du Turc finie, à quoi on se détermina d'autant plus vite dès qu'on sçut la prise de Belgrade, et qu'on jugea par là l'affaire de Hongrie comme finie et l'Empereur en état de donner la loi au Turc, pour ensuite la venir donner, comme on disait, à la France, et en prendre sujet ou prétexte de toutes les prétendues contraventions faites à la trêve. »

1. Avec lequel une nouvelle querelle avait surgi, à propos des franchises des ambassadeurs (droit d'asile), qui faisaient de Rome un coupegorge.

ESQUISSE HIST. DE FRANCE.

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En effet, il n'existait entre l'Empire et la France qu'une trêve, et les Allemands avaient évité de se prononcer sur les gravamina dont ils avaient à se plaindre mais plusieurs de leurs princes avaient conclu la ligue d'Augsbourg (1686), qui cherchait de tous côtés des adhérents étrangers. Or, Louis XIV restait établi en fait, sinon en droit, sur le Rhin moyen (où il revendiquait en ce moment même, au nom de << Madame », le Palatinat) : une occasion se présenta alors de s'établir, au moins par intermédiaire, sur le Rhin inférieur. L'évêque de Cologne avait toujours figuré parmi les auxiliaires les plus dévoués de la politique française, mais il vieillissait, et Louis patronnait, pour lui succéder, un homme à lui, le cardinal de Fürstemberg. Dès 1687, « les frontières étaient pleines de soldats français, prêts à prévenir les empêchements qui auraient pu venir des puissances voisines » à l'élection de Fürstemberg. Le chapitre de Cologne l'élut (1688). Mais le pape devait confirmer, et il était hostile au candidat de la France : l'Empereur promettait de mettre les forces de l'Empire au service du candidat adverse. Chose plus grave, celui-ci était un frère de l'électeur de Bavière, et l'affaire refroidissait envers nous ce dernier, sympathique jusqu'alors, et même allié à la maison de Bourbon (le dauphin avait épousé sa fille). Louis s'entêta à soutenir l'élu du chapitre. La Lorraine était toujours occupée par ses troupes: les forces françaises s'amassèrent dans la vallée de la Moselle, et le grand Dauphin vint prendre le commandement (septembre 1688).

Cette armée pouvait servir à deux fins, car le roi ne perdait pas de vue la Hollande. Depuis la Révocation, il avait négligé tous ménagements envers les Etats, rétabli le tarif de 1667. Il tenait Luxembourg: il commençait à s'occuper d'arrêter, par une intervention armée, les projets de plus en plus manifestes du stathouder sur l'Angleterre. Et Louis XIV ne désespérait pas de regagner l'Autriche par des concessions sur la succession imminente du roi d'Espagne, pour accabler à loisir la République détestée. On s'est demandé pourquoi il laissa, au moment décisif, se

ALLEMAGNE ET ANGLETERRE

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desserrer l'étreinte qui retenait Guillaume d'Orange : ce fut Jacques II lui-même qui déclina ses offres de secours, craignant que l'aide avouée du Roi Très Chrétien ne précipitât la révolution qui le menaçait. Bref, l'armée se tourna vers le Palatinat puis, le 6 octobre 1688, Vauban prenait Philippsbourg. Le 11 novembre, Guillaume d'Orange s'embarqua pour l'Angleterre.

II

Révolution d'Angleterre.

Revenons un instant sur les événements de Londres, qui vont aboutir à un changement décisif dans la situation de l'Europe : c'est devant l'alliance des deux «puissances maritimes» que reculera finalement Louis XIV.

:

Le roi Charles II avait été, pendant 25 ans, un pensionné de la France, parce qu'il avait besoin de ces subsides pour éviter de tomber dans la dépendance complète du Parlement, qu'il redoutait. Mais, au point de vue de la politique extérieure, il n'avait pu sacrifier grand'chose à l'alliance française les guerres de 1665 et de 1672 contre la Hollande, de 1677 contre la France, avaient été conformes à l'intérêt anglais. De plus, malgré ses penchants catholiques, il ne se convertit qu'à son lit de mort, n'osant pas braver ouvertement les croyances de ses sujets. Enfin, le roi de France pensionnait aussi ses adversaires; il ne tenait pas à trop fortifier les Stuarts :

« L'intérêt du roi, dictait-il un jour, s'accordera toujours avec celui de la nation anglaise en ce qu'il ne conviendra jamais à Sa Majesté qu'un roi d'Angleterre soit trop absolu. »

Il crut pouvoir compter davantage sur Jacques II, qui succéda à son père en 1685, et qui était catholique déclaré — jésuite même, disait-on. Mais celui-ci, franc, borné, opiniâtre, était un dangereux auxiliaire en trois ans, il eut

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