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CHAPITRE V

LA SUCCESSION D'ESPAGNE (1700-1715) £

.LA SUCCESSION ET LA COALITION.- La succession espagnole, les préLes traités de partage, le testament de Charles II (1700-1). La prise de possession. Eugène. - Mort de Guillaume III (1702).

tendants.

Marlborough Les Camisards.

II. LA GUERRE DE 1701 ▲ 1707. - Hochstaedt (1704). — Ramillies et Turin (1706). La mer. Altranstadt (1707).

III. LA GUERRE DE 1707 A 1713. Audedarde (1708).

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Malplaquet (1709).
Villaviciosa (1710). — Dé-
Denain (1712). Les traités d'U-
Dunkerque.
cour et la nation.

Les négociations de 1709 et 1710. fection de l'Angleterre (1711). trecht (1713) et de Rastadt (1714). IV. LA FIN DR LOUIS XIV.

Bourgogne (1712).

La

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Le duc de

Mort de Louis XIV (1er septembre 1715).

Nous avons vu, dès le début de son règne, Louis XIV occupé de tirer les conséquences de son mariage avec Marie-Thérèse. La lutte contre les puissances maritimes, l'intervention de l'Empire, lui avaient imposé depuis d'autres soucis. Mais on peut dire qu'il avait poursuivi ces guerres les yeux fixés sur l'Espagne. Le moment arrivait où la succession tragique allait s'ouvrir.

I

La succession et la coalition.

Cette succession restait immense, malgré tant de pertes subies. L'Espagne d'abord, même sous Charles II (1665

1. Saint-Simon, édit. Boislisle, t. XXII paru en 1910.

LA SUCCESSION DE CHARLES II

327

1700), même à demi ruinée et dépeuplée par les consé-
quences de la politique grandiose poursuivie pendant 150
ans, se souvenait qu'elle avait été la grande nation: la té-
nacité malheureuse avec laquelle elle avait cherché la « re-
vanche » contre Louis XIV l'attestait. L'or de l'Amérique
du Sud continuait à y affluer, y maintenant une richesse
factice mais réelle. Le Portugal, il est vrai, était séparé
depuis 1668, mais ses colonies dispersées étaient déjà for-
tement entamées par les Hollandais et les Anglais lorsque
la séparation s'était effectuée, de sorte que la perte n'avait
pas été grave. Les Pays-Bas, Milan et les Deux-Siciles
étaient toujours sous l'autorité de vice-rois espagnols. Tout
le monde pensait qu'un gouvernement moins débile que
celui du moribond en qui allait s'éteindre la descendance
de Charles-Quint pouvait tirer de tout cela un parti for-
midable.

Or, les mariages contractés au XVIIe siècle par les prin-
cesses espagnoles rendaient singulièrement difficile de
prévoir à qui reviendrait cette mission'. D'une part, les
liens existant entre les deux branches de la maison de
Habsbourg avaient été resserrés par le mariage de l'em-
pereur Ferdinand III avec Marie-Anne, sœur de Phi-
lippe IV; l'empereur Léopold (1658-1705) était né de cette

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LOUIS XIV, ép. MARIE- CHARLES II MARGUERITE- ép. LÉOPOld I",

Le DAUPHIN

LE DUC D'ANJOU

THÉRÈSE +1700

THÉRÈSE
MARIE-ANTOINETTE
épouse
MAX.-EMMANUEL

DE BAVIÈRE
1

JOSEPH DE Bavière

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union, et, si les renonciations des autres prétendants étaient valables, il pouvait transmettre ses droits à l'archiduc Charles, son second fils. D'autre part, le Dauphin, fils de Marie-Thérèse, avait bien renoncé pour lui et ses enfants à ses droits; mais cette renonciation, subordonnée au paiement d'une dot mort-née, pouvait toujours être remise en question. Enfin, une fille de Léopold et de MargueriteThérèse, fille elle-même de Philippe IV, avait apporté à son mari, l'électeur de Bavière, représenté par son fils, des prétentions qui primaient celles de l'archiduc, sauf la renonciation obtenue par Léopold. Au reste, chacun sentait que la question de droit serait subordonnée à des considérations d'équilibre.

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Or, les puissances maritimes ne pouvaient voir sans s'alarmer un rejeton de Louis XIV recueillir tout l'héritage, et, comme leur opposition était la seule redoutable, Louis XIV, dès le lendemain du traité de Ryswick, s'adressa directement à Guillaume III. Dans un premier traité de partage (1698), on convint que la Castille et les Indes iraient au Bavarois que personne ne craignait, les maisons de Bourbon et d'Autriche se dédommageant sur les annexes. Or, le Bavarois mourut, et il fallut élaborer un deuxième traité (1700). Cette fois, la maison de France devait recevoir la Castille et les Indes [occidentales = l'Amérique du Sud], moyennant de fortes concessions commerciales aux AngloHollandais, et l'Autriche obtenait le reste: mais l'Empereur, dès le principe, refusa d'adhérer à ce projet.

Pendant ce temps, l'infortuné Charles II sentait, avec une amertume facile à concevoir chez un homme qui n'avait pas 40 ans, sa succession anticipée par des souverains qui tous lui déplaisaient pour des motifs divers. La reine Marie de Neubourg, qui le dominait complètement, était plus animée encore quand elle apprit le second traité de partage, « elle a tout cassé de rage dans sa chambre, »> écrivit le chargé d'affaires français. L'opinion des Castillans, sinon de tous les Espagnols, était absolument conforme à celle de la cour : une idée les dominait, celle que

PHILIPPE D'ANJOU ROI D'Espagne

329 leur empire passât intact au successeur du roi, quel qu'il fût. Charles II rédigea immédiatement un testament qui donnait tout au Bourbon, supposé seul capable de maintenir l'intégrité de la monarchie de Philippe II. Il était temps: en novembre 1700, il mourait.

Louis XIV hésita un instant. Le rêve de sa vie était là, réalisé s'il faisait un geste d'adhésion. Mais la pensée du traité solennel qu'il venait de conclure, la pensée de la guerre terrible qu'il allait préparer, retinrent un instant sa main au moment de faire le geste. Puis il se décida, et permit à son petit-fils, le duc d'Anjou, d'accepter la succession (novembre 1700). Le grand Dauphin avait cédé ses droits à ce fils; il lui suffisait, déclara-t-il, de pouvoir dire toujours : « le roi mon père, le roi mon fils. » Et Philippe d'Anjou, en devenant Philippe V, déclarait solennellement, à la face de l'Europe, renoncer à tous droits éventuels à la couronne de France. Malheureusement, Louis XIV commit l'imprudence de chicaner sur cette renonciation.

Aussitôt, on se mit en possession. Philippe V se rendit à Madrid, où il fut accueilli avec sympathie. Aux Pays-Bas, les troupes françaises facilitèrent le changement de régime : il fallut seulement mettre la main sur les garnisons hollandaises, auxquelles les Espagnols, dans la dernière guerre, avaient confié la défense des places de barrière. A Milan et à Naples, le nouveau roi fut salué avec soumission. On voyait derrière lui les forces de son grand-père, les plus formidables que le monde civilisé eût connues depuis Rome. Chamillart', le successeur des Louvois, venait d'augmenter de 10 hommes chaque compagnie d'infanterie : cela faisait 219 bataillons à 13 compagnies de 125 hommes sans parler des 57 bataillons de milices. On comptait 29.500 hommes de cavalerie légère, plus 9.540 dragons. En tout, 205.300 hommes, ce qui représenterait le 1/ 50e de la population du royaume, s'il ne fallait tenir compte des étrangers.

1. Chamillart, né en 1652, contrôleur général en 1699, secrétaire d'Etat à la guerre en 1701, démissionnaire en 1708 1709.

Le point noir était la flotte, qui avait périclité. Les finances avaient été placées, comme les forces militaires, sous le contrôle de Chamillart, bon joueur de billard et honnête homme, mais qui n'était pas de taille à porter le double fardeau de Colbert et de Louvois.

L'Autriche pourtant crut pouvoir d'emblée affronter la lutte. Elle n'était pas sûre d'avoir toute l'Allemagne avec elle, mais au moins rien ne la menaçait, pour le moment, à l'Orient. Et surtout, elle avait trouvé un général dont la valeur compensait la différence de forces. Parmi les neveux que Mazarin avait « placés » en France, se trouvait Eugène de Savoie-Carignan '. Louvois lui enleva une survivance sur laquelle il comptait, pour la donner à un bâtard du roi, et le « petit abbé de Savoie » passa aussitôt chez l'Empereur. Il venait de donner sa mesure en écrasant les Turcs à Zentha (1697). Léopold le chargea de conquérir le Milanais, le premier morceau de la succession espagnole qu'il revendiquât, comme terre impériale. Dès 1701, Eugène descendit en Italie, faisant rouler ses canons par les gorges du Tyrol. Catinat ne sut pas garder les passages, et Villeroy, qui lui succéda, se fit prendre à Crémone; la ville, il est vrai, échappa aux Impériaux. On chanta à Paris :

Français, rendez grâces à Bellone :
Votre bonheur est sans égal !

Vous avez conservé Crémone,
Et perdu votre général.

Vendôme, un descendant illégitime de Henri IV, paresseux mais génial, remplaça avantageusement Villeroy - le seul homme que Louis XIV ait appelé son favori.

Mais l'essentiel était de savoir quel parti prendraient les puissances maritimes. Guillaume III avait reçu la nouvelle de l'acceptation du testament du même geste que la reine

1. Fils de Maurice de Savoie-Carignan, comte de Soissons, et d'Olympe Mancini.

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