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FIN DE LOUIS XIV

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A la fin d'août 1715, pourtant, l'apoplexie lui donna un premier avertissement: il se prépara avec calme, et partit le 1er septembre 1715, le dernier de son « siècle », quarante ans après Turenne, trente ans après Condé, dix ans après Bossuet, sept ans après Hardouin-Mansart.

L'intérêt dramatique du long règne de cet homme, dont le nom est si intimement associé à l'apogée du pays, l'éclat du début, la majesté douloureuse de la fin, ont toujours captivé l'attention des historiens. I occupe une place unique, parce que la destinée de la France a vraiment, un moment, dépendu de lui autant qu'une destinée de peuple peut dépendre d'un homme. Il faut pourtant le replacer avant tout dans la série nationale à laquelle il appartient, et, se rappelant toujours en quel état il avait pris la France, examiner en quelle situation il la laissait.

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II. LE CONTINENT.

La cour. - L'Église.

Les intendants.

Les frontières de l'Est, l'Alsace. Les alliances.

La France première puissance militaire. III. LA MER. Colbert, la Hollande décline.

--

La France, pays agri

Le Levant, Marseille.

Le commerce du

cole, et le commerce. Nord, des Indes orientales, des Antilles, du Canada, de l'Amérique du Sud; Nantes. Industrie. Le déclin de la marine de guerre.

En 1661, la France nous était apparue identifiée à un homme comme elle ne l'avait jamais été, et en mesure de s'engager à fond dans la voie qu'il ouvrirait à son expansion nécessaire. 54 ans avaient été donnés à Louis XIV pour choisir cette voie, s'y tenir ou en dévier: si nous avons suivi les faits pas à pas, c'est avec l'intention de faire, dans. la direction adoptée, la part de l'homme et celle des circonstances. Il reste à voir quel fut le résultat, et quelle place la France occupait, à tous égards, dans le monde du XVIIIe siècle.

I

La vieille France.

Un premier trait est frappant le progrès de la cohésion nationale à travers toutes les vicissitudes de ce long

1. Heinrich, La Louisiane; Prévost historien de la Louisiane.

LA SOUMISSION AU ROI

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règne. Rien n'a impressionné les étrangers, contemporains ou postérité, comme l'unité française. Tandis que les princes allemands suivaient chacun leur politique personnelle, tandis que les membres de l'aristocratie anglaise, jusqu'à Marlborough, acceptaient l'argent de la France, jamais l'idée ne vint de corrompre un plénipotentiaire, ni de débaucher un corps de troupes français. On sait à quelles odieuses persécutions a résisté, presque jusqu'au bout, la fidélité des huguenots eux-mêmes. Quand vinrent les désastres, au jour sombre de Malplaquet (1709), les généraux alliés entendaient avec émotion sortir de toutes les poitrines ce cri de Vive le roi ! « que les Français poussent toujours dans le danger, comme s'ils appelaient leur prince à leur secours ».

Il faut indiquer par quelle ligne de conduite, par quelles concessions aussi, Louis XIV s'est assuré cette saisissante obéissance.

Nous passerons rapidement sur la cour, ayant déjà dit l'essentiel. C'est là que le Grand Roi nous a été rendu familier par les récits de Mme de Sévigné et de Saint-Simon, à Versailles, au milieu de cette société toujours en mouvement qui déjà constitue un peu trop pour lui la nation, maître de maison avant d'être souverain :

<< Jamais on ne vit d'homme si naturellement poli, ni d'une politesse si fort par degrés, ni qui distinguât mieux l'âge, le sexe, le rang. depuis les réponses, dès qu'elles dépassaient le: Je verrai, jusqu'au sourire. »

C'est un bon signe qu'il ait été aimé davantage par ceux qui l'approchaient de plus près 1.

Nous avons suffisamment parlé aussi des rapports avec le clergé. Louis XIV l'avait trouvé docile, et l'eut toujours avec lui contre le Pape: à la fin seulement, des signes de résistance se montrèrent. Mais il lui avait fait d'ex

1. Exception faite pour Mme de Maintenon, qui ne l'aima pas : « de ses deux maris, ce fut Scarron qui fut le plus regretté » (Arvède Barine). Elle lui survécut quatre ans.

trêmes concessions: la Révocation, la persécution des jansénistes. Elles ne lui pesèrent pas la foi chez lui alla toujours se fortifiant, depuis l'époque où il autorisait Tartufe jusqu'à celle de la bulle Unigenitus; à la fin, il n'eut pas de peine à imiter le bigotisme de plus en plus étroit de Mme de Maintenon, qui souleva dans son entourage immédiat de naturelles mais excessives réactions.

Quoiqu'il ait toujours éloigné des services centraux les grands seigneurs (il ne fit d'exception que pour le duc de Beauvilliers, précepteur du duc de Bourgogne), il vit toujours dans la noblesse la principale force de sa monarchie. Il lui a réservé le service qui lui convenait : celui des armes. Il eut même recours à la vieille institution de « l'arrière-ban » en 1674 : mais cette expérience montra combien les hobereaux étaient peu propres à la guerre moderne. Il tint rigoureusement la main à l'exécution des édits sur le duel, et arrêta enfin la manie qui avait coûté tant de vies précieuses dans la période précédente (1.000 gentilshommes sous Mazarin, prétend-on). D'ailleurs, les guerres continuelles suffirent largement à occuper la fougue et à répandre le sang de la noblesse à Malplaquet, 22 des premières familles françaises furent mises en deuil. Ces tueries ont commencé à épuiser un ordre qui ne se renouvelait plus, ni assez largement, ni surtout par la sélection naturelle la sélection militaire. « On donna la permission à trop de jeunes gens, dit Voltaire en parlant du ministère de Chamillart (Siècle de Louis XIV, édition de 1851, p. 187), d'acheter des régiments presque au sortir de l'enfance, tandis que chez les ennemis, un régiment était le prix de vingt ans de service. » L'oisiveté de Versailles continua la décadence; la littérature sentimentale et démagogique de Jean-Jacques devait faire le reste.

Louis XIV conserva toujours une antipathie assez vive contre les parlementaires : depuis la fameuse journée qui clôtura la Fronde, il ne reparut devant le Parlement de Paris qu'en 1714, pour faire enregistrer son testament. Mais il ne toucha pas aux privilèges traditionnels de la

LA VIEILLE SOCIÉTÉ FRANÇAISE

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magistrature ni de l'ordre des « officiers » en général, bien que les abus de la vénalité des charges lui aient été plus d'une fois signalés 1. Il n'a pas cherché à rendre la vie à ces organes qui s'atrophiaient, à utiliser l'énorme économie de forces que représente l'hérédité. Il se borna à substituer aux titulaires des charges, dans toutes leurs attributions, des fonctionnaires de l'ordre administratif. Il en résulta cette situation particulière que l'ambassadeur vénitien signale quand il dit qu'en France « personne n'exerce la charge dont il est pourvu » : les généraux de finances, par exemple, sont réputés « agents voyers », mais ce sont les subdélégués, les hommes de confiance des intendants, qui font les routes.

Louis XIV a toujours conservé une certaine méfiance contre la population frondeuse et chansonnière de Paris, défiance qui s'est traduite par l'abandon du Louvre pour Versailles le lieutenant de police fut institué sous son règne. Dans ses négociations avec l'étranger, quand, par exemple, Guillaume III lui demanda des garanties contre les complots jacobites qui pouvaient se tramer sur territoire français, il n'admit jamais qu'on révoquât en doute l'obéissance de ses sujets. Pourtant, il se refusa toujours à consulter des États généraux ou même des notables : il ne connut << l'esprit des populations » que par les rapports des intendants, consultés avec méthode à partir de la fin du XVIIe siècle.

1. Rappelons que ces abus ont crée parfois des loisirs précieux. La Fontaine (1621-1695) fut maître des eaux et forêts, et, si les forêts confiées à ses soins furent mal entretenues, elles lui ont inspiré des rêveries compensatrices. Le littérateur Furetière le déclarait incapable de distinguer le bois de grume de celui de marmenteau, à quoi, Furetière ayant été rossé par M. de Guilleragues pour quelque propos diffamatoire, La Fontaine répondit:

Toi qui crois tout savoir, merveilleux Furetière,
Qui décides toujours, et sur toute matière,

Quand de tes chicanes outré,
Guilleragues t'eut rencontré,

Et, frappant sur ton dos comme sur une enclume,
Eut à coups de bâton secoué ton manteau,
Ce bâton, dis-le-nous, était-ce bois de grume,
Ou bien du bois de marmenteau ?

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