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6° Qu'il fallait visiter les églises, vénérer les saints, respecter les prêtres et payer la dîme.

Voilà donc ce qu'on les soupçonnait de ne pas croire. Ajoutons que, le serment sur l'hostie ayant été déféré aux accusés, ils le refusèrent ce qui était encore, paraît-il, un signe d'hérésie cathare ou albigeoise.

Le roi de France était bien le suzerain de tous les seigneurs de la région dite plus tard « Langue d'oc». Nous avons vu Louis VII intervenir à Toulouse contre Henri II, et le cas se présenta de nouveau après l'avènement de Philippe-Auguste, en 1188. A cette date, le comte de Toulouse Raimon V était de nouveau en armes contre le Plantagenêt: le roi de France le dégagea par une vigoureuse diversion sur la Loire.

Au fond, la « nation» méridionale avait sa vie à part, et il fallut la formidable secousse religieuse dont ce pays fut le théâtre principal pour le faire rentrer dans l'unité française.

II

La défaite des Angevins (1214).

Philippe-Auguste, monté sur le trône en 1180, à quinze ans, fut avant tout l'ennemi de la puissance angevine. A ses débuts, cependant, il eut affaire aussi aux autres grands vassaux, et il déploya contre eux une activité qui les ramena vite au sentiment de la réalité. Le comte de Flandre avait pris le château de Dampierre, et déclarait : «< Rien de fait encore, si je ne brise les portes de Paris avec les chevaliers de Flandre, si je n'établis mes dragons (emblème de la maison flamande) sur le Petit-Pont, et si je ne plante ma bannière au milieu de la rue de la Calandre » . Mais la

1. D'après Rigord, médecin languedocien, historiographe attitré de Philippe.

vue de l'armée royale le découragea; il acheta la paix en cédant définitivement le Vermandois. - Hugues de Bourgogne qui, nous dit-on, persécutait les églises, vit le roi de vingt ans attaquer et prendre son château de Châtillon-surSeine. Philippe-Auguste eut aussi à se plaindre du comte de Champagne, qui le trahit au cours de la lutte contre Henri II mais, les premières leçons données, il put se consacrer uniquement à la lutte principale.

Comme son père, il se servit, contre Henri II, des propres fils du roi d'Angleterre. Mais Henri Court-Mantel était mort en 1183, et Richard, comte de Poitou, soutint d'abord son père. En 1187, Philippe-Auguste avait commencé la guerre pour dégager le comte de Toulouse: Henri et Richard vinrent à sa rencontre jusqu'à Bonmoulins, puis une trêve fut signée. Peu après, Richard était en armes contre son père, et il était soutenu secrètement par son frère Jean. Le malheureux Henri II ignorait la complicité de celui-ci. Quand, négociant avec Philippe, il réclama la liste des rebelles qu'il avait à amnistier, ce fut le nom de Jean qu'on lui donna d'abord : « Assez m'en avez dit ! » s'écria-t-il, et il attendit la mort (1189). Richard Coeur-deLion, qui lui succéda, fut d'abord l'ami du roi de France, et tous deux partirent pour l'Orient, où les conquêtes de Saladin appelaient une nouvelle croisade.

Mais, dès la Sicile, des dissentiments éclatèrent au sujet d'Alix, sœur de Philippe, que Richard avait promis d'épouser. Il s'y refusait maintenant, et il fallut arranger l'affaire par un traité (mars 1191). Les deux rois purent paraître ensemble devant Saint-Jean-d'Acre, mais Philippe se dégoûta vite de la Terre Sainte. Il revint pour intriguer contre Richard avec le frère de celui-ci, Jean, pendant que son ancien compagnon d'armes, fait prisonnier sur le chemin du retour par un ennemi personnel, était retenu en Autriche « Pas n'est merveille si j'ai le cœur dolent, chantait Richard, lorsque mon seigneur met ma terre au pillage. S'il lui souvenait de notre serment que nous fîmes tous deux en commun, bien sais-je vraiment qu'ici longtemps ne serais

PHILIPPE, RICHARD ET INNOCENT III

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prisonnier. >> On conçoit que Richard soit revenu en Angleterre altéré de vengeance; il fit construire le Château-Gaillard pour barrer l'entrée de la Normandie, et commença une guerre offensive. Il nous a raconté lui-même sa victoire à Courcelles (1198):

<< Le roi de France, nous a-t-on dit, a bu dans la rivière, et vingt de ses chevaliers s'y sont noyés. Notre lance a renversé Mathieu de Montmorency, Alain de Couci et Foulques de Gilerval, que nous avons pris avec environ cent autres chevaliers... On a capturé 200 destriers, dont 140 bardés de fer. »

Heureusement pour Philippe, Richard fut tué devant le château de Chalus en Limousin (1199), et Jean sans Terre, son successeur, menacé par la compétition du jeune Artur de Bretagne, fils d'un frère aîné, se résigna à traiter au Goulet (1200) : << Nous recevrons Artur en homme lige, et c'est de nous qu'il tiendra la Bretagne », déclarait Jean.

A ce moment, Philippe était brouillé avec la puissance qui soutenait si constamment la maison capétienne. Après avoir demandé en mariage Ingeburge de Danemark, il l'avait répudiée pour épouser Agnès de Méranie. Le pape Innocent III refusa de ratifier l'annulation du mariage, et, comme le roi résista, le royaume fut mis en interdit (1200) :

• Que toutes les églises soient fermées, que personne n'y soit admis, si ce n'est pour faire baptiser les petits enfants... Ceux qui demanderont à se confesser seront entendus sous le portique de l'église dans les églises dépourvues de portique, on pourra seulement, lorsqu'il fera de la pluie ou du mauvais temps, ouvrir une des portes et entendre les confessions sur le seuil, en laissant dehors tous les fidèles, excepté celui ou celle qui se confessera ; mais la confession aura lieu à haute voix, de manière que le pénitent et le confesseur soient entendus de tous ceux qui seront hors de l'église... >>

Philippe-Auguste finit par comprendre que le Pape, dans cette affaire, était dans son rôle et dans son droit : il reprit Ingeburge en 1203, et recouvra une alliance qu'il savait précieuse.

Le jeune Artur de Bretagne avait succombé dans l'intervalle, et l'on disait couramment qu'il avait été assassiné par Jean sans Terre: Philippe somma celui-ci de comparaître devant ses pairs, et le fit condamner par contumace. Voici comment l'historien anglais Mathieu de Paris, cinquante ans plus tard, a entendu parler du procès en Angleterre :

Jean avait demandé un sauf-conduit; le roi Philippe répondit, << mais ni d'un cœur ni d'un visage serein >> : « Volontiers, qu'il vienne en paix et en sûreté ». Et l'évêque (ambassadeur de Jean]: « Et qu'il s'en retourne de même, seigneur? » Et le roi : « Oui, si le jugement de ses pairs le lui permet. » Et, comme les envoyés le suppliaient..., le roi de France, irrité, répondit : « Non, de par tous les saints de France, à moins que le jugement n'y consente. >>

Jean ne vint pas, et fut condamné à la confiscation de tous ses fiefs français. Le seul point difficile, dans l'exécution du jugement, fut la prise de Château-Gaillard (1204): mais la chute de cette forteresse amena la conquête de la Normandie, qui se trouva ainsi, au bout de cent cinquante ans, séparée de nouveau de l'Angleterre. Philippe occupa ensuite l'Anjou, le Poitou. Il maintint, dans l'ensemble, le régime angevin, par exemple en ce qui concerne les communes les Etablissements de Rouen, qui avaient servi de type aux chartes octroyées par les Plantagenêts, furent maintenus.

:

Au milieu de ce conflit avec le roi anglais, Philippe avait été amené à prendre parti dans la querelle de succession allemande le Pape refusait de reconnaître comme empereur Otton de Brunswick. Le roi, pour d'autres raisons, essaya un moment de soutenir les prétentions du duc de Lorraine (1208), et signa même avec celui-ci des conventions sur les rapports de l'Empire et du royaume : « Si d'aventure quelque différend survenait..., ce différend serait soumis entre Péronne et Cambrai au jugement de deux arbitres légitimes et suffisants pour chaque partie. Si les quatre arbitres ne pouvaient s'accorder, ils en choisiraient un cin

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quième..., et termineraient ainsi la querelle... » Tout cela resta à l'état de projet, et Philippe finit par soutenir purement et simplement l'anticésar Philippe de Souabe mais il amena ainsi Otton à aider de ses armes Jean sans Terre. En 1214, pendant que les Anglais attaquaient par le Poitou, quelques-unes de leurs troupes vinrent se joindre aux Allemands sur les terres du comte de Flandre, qui faisait partie de la coalition. Philippe vint à leur rencontre jusqu'à Bouvines (27 juillet 1214) avec les milices du nord de la France. La bataille qui suivit est encore une bataille du moyen âge au point de vue militaire, une bataille de chevaliers, où les gens des communes, Français ou Flamands, ont un rôle bien sacrifié. Le roi Philippe-Auguste fut un instant entouré par des piétons:

« Il allait s'ouvrant un chemin vers Otton, lorsqu'un homme, plus audacieux que les autres, perça les mailles de sa cuirasse entre sa poitrine et sa tête. La pointe de fer, poussée par un bras vigoureux, s'enfonça tant qu'elle trouva le bois, à travers un triple collier, jusqu'au fer, qui repoussa toute blessure tout près de la peau, et précisément au-dessous du menton. » (Guillaume le Breton 1).

Le roi fut longtemps au milieu de ces gens, qui ne purent lui faire le moindre mal.

Ce qui est plus moderne que le combat même, ce sont les réjouissances auxquelles donnèrent lieu la victoire et le retour du Capétien. Les paysans et les moissonneurs interrompaient leurs travaux pour voir le comte de Flandre, Ferrand, qu'on amenait prisonnier; les écoliers de Paris prolongèrent les fêtes pendant sept nuits consécutives. Il y eut là vraiment un mouvement national et populaire.

Les conséquences de la bataille furent européennes. Otton ne put garder la couronne de l'Empire. Jean sans Terre, qui avait été battu en même temps par le prince Louis, sur la Loire, vit ses sujets anglais se révolter contre lui et lui arracher la Grande Charte (1215). Comme il viola les pro

1. Chapelain de Philippe et témoin oculaire, auteur d'une Philippide et d'une vie du roi en prose.

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