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prise de la Bastille, Larochefoucault-Liancourt fut admis à rendre compte à Louis XVI de ce qui se passait: C'est donc une révolte, lui dit le Roi, en l'interrompant? Non, sire, reprit le membre de l'Assemblée constituante, c'est une révolution. Nous dirons à notre tour à l'auteur de l'ouvrage : Du royaume des Pays-Bas sous le rapport de son origine, de son développement et de la crise actuelle: Ce n'est pas une crise, c'est une révolution. Vous essayerez en vain de rapetisser les faits dans les mots; les événements de 1830 ont fait éclater la profonde incompatibilité qui existait entre deux populations, entre deux races d'hommes; et quoi que vous fassiez, l'expérience reste acquise. Vous parviendriez à reconstruire le royaume des Pays-Bas, la cause de cette incompatibilité n'en subsisterait pas moins; pour donner à la restauration des chances de durée, il faudrait anéantir la cause même, et voici comment on pourrait s'y prendre aux deux millions de Hollandais associer non pas quatre, mais deux millions de Belges; chercher des compensations pour la perte du reste du territoire méridional; en un mot, partager la Belgique, en ne restituant à la Hollande qu'une moitié des provinces du Midi.

Nous l'avons déjà dit, l'on n'aurait pas en 1814 associé la Belgique entière à la Hollande, si l'on n'avait supposé toute nationalité éteinte ou impossible dans le Midi; si l'on avait proposé la réunion en 1790, alors que les Pays-Pas autrichiens n'avaient pas encore subi la grande épreuve de la conquête française, l'on aurait probablement hésité; l'on aurait calculé les chances de succès et de durée. Ce n'est pas une vaine supposition

que nous faisons; dans une conférence entre Pitt et les députés belges, en 1790, plusieurs moyens furent indiqués comme propres à mettre un terme à la révolution qui venait d'éclater dans les Pays-Bas autrichiens, et l'un des députés proposa la réunion à la Hollande; le ministre anglais rejeta ce dernier moyen, en disant : Il n'y a rien de durable dans cette combinaison; le cheval renversera le cavalier1. Simples et prophétiques paroles dont les événements de 1830 révèlent toute la vérité, toute la profondeur. Le cheval s'est senti plus fort que le cavalier; la Belgique a renversé la Hollande; le cavalier se replacerait sur le cheval qu'il a monté pendant quinze ans, que tôt ou tard le même accident se renouvellerait.

CONSÉQUENCES DE L'IDÉE DOMINANTE

Nous avons rétabli dans toute sa force le fait principal que méconnaît M. de Keverberg; il nous reste à en exposer les conséquences, selon nous, inévitables.

Ces conséquences, M. Nothomb en énumère quelques unes; il ne paraît pas avoir eu la prétention de les énumérer toutes.

Le fait principal, à savoir, l'union de deux populations inégales en nombre et la reconnaissance de la suprématie politique dans le petit nombre, a amené et a dû amener des faits secondaires, tels que ceux-ci :

I. Introduction de la Constitution de 1815, eu égard à l'opinion unanime affirmative de la population hol

1 Cette anecdote nous est attestée par une personne qui la tient d'un des députés belges envoyés à Londres.

T. I.

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landaise, et malgré l'opinion négative de la population belge.

II. Impossibilité d'une représentation nationale en rapport avec les populations respectives du Nord et du Midi.

III. Impossibilité de l'existence d'un gouvernement central constitutionnellement responsable.

IV. Suprématie de la langue hollandaise, considérée comme langue officielle du gouvernement.

V. Fixation dans le Nord du siége de tous les grands établissements.

VI. Préférence accordée aux Hollandais sur les Belges dans l'admission aux fonctions civiles et militaires.

VII. Réforme de la législation civile et criminelle d'après les idées hollandaises.

VIII. Adoption d'un système d'impôts conformes aux intérêts hollandais.

IX. Tendance anticatholique imprimée aux lois et à l'administration.

Nous passerons rapidement en revue chacune de ces propositions:

§ I.

Introduction de la loi fondamentale eu égard à l'opinion unanime affirmative de la population hollandaise, et malgré l'opinion négative de la population belge.

La loi fondamentale qui régissait la Hollande avant l'adjonction de la Belgique est du 29 mars 1814.

On devait supposer que cette Constitution serait dans

toutes ses parties soumise à l'acceptation du peuple belge; il n'en fut point ainsi.

L'adjonction de la Belgique et l'adoption de la forme monarchique rendaient quelques modifications nécessaires.

Il fut décidé que ces modifications feraient seules l'objet de la révision, le fond de la Constitution devant être réputé, de droit, obligatoire pour la Belgique même. Ceci résultait de l'acte de Londres du 21 juillet 1814, qui se bornait à dire, article 1er, que le nouvel État serait régi par la Constitution déjà établie en Hollande, laquelle serait modifiée d'un commun accord, d'après les circonstances; le vote des notables belges ne pouvait donc porter que sur les modifications dont la Constitution hollandaise du 29 mars 1814 était jugée susceptible.

L'acte de Londres, que M. de Keverberg nous présente comme le correctif des malheureuses expressions du traité de Paris du 31 mai 1814: La Hollande recevra un accroissement de territoire, consacrait donc l'antériorité et la supériorité de la Hollande, en considérant la loi fondamentale hollandaise comme de droit applicable au nouvel État tout entier, sauf les modifications à faire de commun accord.

Voyons maintenant de quelle manière cette révision ainsi limitée s'est effectuée.

Le roi Guillaume, dans sa proclamation du 24 août 1815 ou, selon M. de Keverberg et le texte hollandais, du 27 août 1815, reconnaît que 793 notables belges se sont prononcés contre, 527 seulement pour la loi fondamentale; ces chiffres devraient suffire; le rejet est constaté par un document irrécusable.

La proclamation du 24 août n'indique ni le nombre des notables inscrits, ni le nombre des notables absents; elle dit seulement d'une manière vague qu'un sixième environ des personnes convoquées n'a pas assisté aux réunions des notables; M. de Keverberg croit qu'il n'existe aucun acte qui puisse suppléer au silence de la proclamation royale; il se trompe; nous le renvoyons à la Gazette générale, qui a publié les tableaux des notables et le relevé des votes par provinces et par arrondissements; ce dernier tableau se trouve dans la 3e édition de l'ouvrage de M. Nothomb, p. 48 (p. 66 de la 4o édit.) Le nombre des notables convoqués était, non de 1,600, comme le suppose M. de Keverberg, mais de 1,603; majorité absolue, 802.

Les absents étaient au nombre de 280.

Des 1,323 notables présents, 796 ont voté contre, 527 pour la loi fondamentale.

M. de Keverberg ne recule pas devant ces chiffres; selon lui, la majorité des six millions d'hommes environ composant le royaume des Pays-Bas avait accepté la Constitution, et il le prouve de la manière suivante (p. 274).

Voici quelle était, en 1815, la population entière du

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