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ESSAI

HISTORIQUE & POLITIQUE

SUR

LA RÉVOLUTION BELGE

CHAPITRE PREMIER.

Causes de la révolution de 1830, de la révolution du XVIe siècle

et de la révolution de 1788.

La révolution belge a suivi de près la révolution française, sans avoir été, comme celle-ci, provoquée par un coup d'État : la révolution de juillet a vivement saisi toutes les intelligences, comme l'effet qui suit rapidement sa cause; la révolution de septembre apparaît comme un accident ou comme un plagiat.

Si notre révolution avait réellement le caractère que ses détracteurs voudraient lui attribuer, ce serait, à vrai dire, un bien étrange phénomène social. Comment admettre, en effet, qu'un accident ait pu grandir au point de devenir un événement politique; qu'un plagiat

ait pu se convertir en une œuvre nationale? N'est-ce pas accorder trop peu à la moralité de l'acte, beaucoup trop au hasard des circonstances ou au génie des hommes qui ont osé s'emparer des faits?

Le trône de Guillaume de Nassau n'est pas venu se heurter tout d'un bond aux barricades de septembre. Certes, si les ordonnances de juillet n'avaient pas précipité Charles X de son trône, Guillaume Ier aurait continué à régner sur la Belgique, non sans opposition intérieure; il n'aurait pas, pour le moment, éclaté de révolution, mais les causes d'une révolution n'en auraient pas moins existé, actives et indestructibles.

C'est dans les bases vicieuses du royaume-uni des Pays-Bas qu'on doit chercher la source des continuels embarras contre lesquels le gouvernement du roi Guillaume a lutté pendant quinze ans et qui ont fini par le renverser. Ce secret se trouve dans ce fait qu'on ne peut nier et qu'on ne saurait trop méditer : le royaume-uni des Pays-Bas n'avait été que la continuation de l'ancienne république des Provinces-Unies, transformée en monarchie et dotée d'un accroissement de territoire.

Pour expliquer ce fait, il est nécessaire de rappeler comment on avait procédé pour constituer ce royaume et de tenir compte de quelques antécédents historiques.

Depuis deux siècles, la Hollande était habituée à considérer nos provinces comme placées dans une condition inférieure à la sienne.

La Hollande avait été reconnue par tous les États de l'Europe avant de l'être de l'Espagne; la nouvelle république, en prolongeant la lutte pendant quatre-vingts ans, avait voulu s'assurer des possessions importantes

dans les provinces méridionales. En s'arrêtant au Moerdyck, la Hollande eût obtenu plus facilement et plus tôt sa reconnaissance; mais ses hommes d'État avaient conçu pour leur pays d'autres conditions d'existence. Ils ne demandaient pas les provinces méridionales entières, mais des positions qui pussent, à l'aide d'un système de monopole commercial, dispenser, jusqu'à un certain point, de cette possession intégrale. L'Espagne n'obtint la paix qu'en sacrifiant les provinces méridionales; par le traité de Munster de 1648, elle abandonna lâchement tout ce qui était nécessaire à la Hollande pour la rendre maîtresse du Rhin, de l'Escaut et de la Meuse. Il eût été contraire aux intérêts de la république de posséder Anvers; elle ne demanda pas cette ville, elle en exigea la ruine : l'Escaut fut fermé et le commerce des Indes interdit aux Belges. Les Hollandais poursuivirent leur plan d'asservissement politique et, en 1715, ils obtinrent le droit de mettre garnison dans nos places fortes.

Voilà donc la Hollande parvenue à se créer une existence aux dépens des provinces belges; assise sur le Rhin, elle met une main sur l'Escaut, l'autre sur la Meuse; elle fait occuper nos places par ses mercenaires; elle s'étend, si je puis m'exprimer ainsi, sur une partie de la Belgique pour la tenir immobile sous elle et la paralyser dans toutes ses fonctions vitales. La Belgique se trouve réduite à une existence purement intérieure,

provinciale et communale.

Nos souverains firent deux tentatives célèbres pour obtenir notre affranchissement en 1722, Charles VI essaya, mais en vain, de nous faire participer au com

merce des Indes; en 1781, Joseph II exigea l'évacuation des Places de la Barrière, mais il ne réussit pas à faire ouvrir l'Escaut.

Telle était la déplorable condition de nos provinces; la Hollande avait conquis une partie de notre sol et avait grevé le reste de servitudes de droit public; la Belgique était le fonds servant, la Hollande le fonds dominant; il existait une espèce de féodalité de peuple à peuple.

Victorieuse en 1795, la France révolutionnaire libéra notre sol en se l'appropriant; vaincue en 1814, la France des Bourbons le restitua à l'Europe, sans rien stipuler en faveur d'un pays tombé, pour ainsi dire, en déshérence.

Dès le mois de décembre 1813, la Hollande avait fait sa restauration; et le traité de Paris du 30 mai 1814 vint lui promettre un accroissement de territoire1.

1 « La Hollande, placée sous la souveraineté de la maison d'Orange, recevra un accroissement de territoire. Le titre et l'exercice de la souveraineté n'y pourront, dans aucun cas, appartenir à aucun prince portant ou appelé à porter une couronne étrangère. » (Art. 6 du traité du 30 mai 1814.) Les articles secrets annexés à ce traité sont plus explicites; en voici le texte, qui ne se trouve dans aucun recueil connu

« Art. 3. L'établissement d'un juste équilibre en Europe exigeant que la Hollande soit constituée dans des proportions qui la mettent à même de soutenir son indépendance par ses propres moyens, les pays compris entre la mer, les frontières de la France, telles qu'elles se trouvent réglées par le présent traité, et la Meuse seront réunis à perpétuité à la Hollande.

« Les frontières sur la rive droite de la Meuse seront réglées selon les convenances militaires de la Hollande et de ses voisins.

<< La liberté de la navigation de l'Escaut sera établie sur le même principe qui a réglé la navigation du Rhin dans l'article 5 du présent traité.

« Art. 4. Les pays allemands sur la rive gauche du Rhin qui avaient été réunis à la France, depuis 1792, serviront à l'agrandissement de la Hollande et à des compensations pour la Prusse et les autres États allemands. »

La conception première d'un royaume des Pays-Bas est antérieure au

L'histoire des quinze années de réunion est tout entière dans ces mots du traité de Paris: La Belgique n'était pour la Hollande qu'un accroissement de terri

toire.

D'après les idées hollandaises, l'adjonction de la Belgique n'avait pas créé un peuple nouveau; la Hollande restait le type national; 1814 n'avait fait que réaliser un plan conçu depuis longtemps et abandonné plusieurs fois; l'ancienne individualité subsistait sans atteinte. La Hollande s'était, pour ainsi dire, complétée.

La Hollande représentait la personne de l'acquéreur, la Belgique, la chose acquise.

C'est vainement que le traité de Londres du 21 juillet 1814 avait stipulé une fusion intime et complète; il ne pouvait de cette fusion politique sortir un peuple qui n'eût été ni le peuple hollandais, ni le peuple belge. Il était impossible de métamorphoser les deux nations, en imaginant un type nouveau; on était réduit à passer sur la Belgique le niveau hollandais, ou sur la Hollande le niveau belge. Pas de milieu: subalternité de la Hollande par rapport à la Belgique, ou de la Belgique par rapport à la Hollande. Ainsi le voulait la force des choses.

On commença par appliquer le principe de la suprématie hollandaise à la révision de la loi fondamentale

traité de Paris du 30 mai 1814; elle avait été l'objet des articles secrets du traité de Chaumont du 1er mars 1814. L'auteur a cru devoir adopter l'époque connue du public.

Le royaume des Pays-Bas, constitué par les articles 65-73 de l'acte général da Congrès de Vienne du 8 juin 1815, a reçu un accroissement par suite du deuxième traité de Paris du 20 novembre 1815, et en vertu du recès général de Francfort du 26 juillet 1819. (Art. 34.)

T. I.

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