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CHAPITRE II.

Journées de septembre 1830. Les deux politiques.

La révolution française n'a eu à combattre que dans les rues de Paris et, la victoire de la capitale une fois connue, le drapeau tricolore a fait sans obstacle le tour de la France. Le champ de bataille de la révolution belge ne s'est pas renfermé dans une seule ville; tout n'était pas accompli après les Journées de Bruxelles, non moins glorieuses et aussi meurtrières que celles de Paris; il ne s'agissait pas de réduire une dynastie à la fuite la dynastie était absente; mais c'était le sol qu'il fallait délivrer. Sur tous les points du territoire, il a fallu combattre et vaincre les populations se sont levées en masse; l'armée des Pays-Bas, composée de Belges et de Hollandais, s'est trouvée désorganisée par la retraite ou l'inaction des premiers; et, en moins d'un mois, toutes les places des provinces méridionales sont tombées en notre pouvoir, à l'exception de Luxembourg, de Maestricht et de la citadelle d'Anvers.

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Que les détracteurs de la révolution, que ceux qui l'attribuent à une poignée d'ambitieux ou de fanatiques se rappellent cet élan de tout un peuple se levant spontanément, dans un même but, de sorte que la ville qui proclamait sa victoire était surprise d'apprendre la

victoire des villes voisines. Il n'a pas fallu de chef pour donner le signal: au fond de tous les esprits, il y avait, depuis quinze ans, un mot d'ordre : Haine à la domination hollandaise. Qui donc pourrait révoquer en doute l'universalité et la spontanéité de ce mouvement national? Si vous l'osez, flétrissez-le, mais ne le niez point. Honneur à ces populations qui ont pris ces forteresses réputées imprenables! Honneur aux hommes qui ont combattu dans les rues de Bruxelles et sur les hauteurs de Liége! Honneur à ces volontaires en blouse qui, à Waelhem et à Berchem, ont vu disparaître devant eux les débris d'une grande armée! Plaignons ceux de nos concitoyens qui ne veulent point comprendre ce qu'il y a de beau et d'entraînant dans ces efforts de tout un peuple, dans cette énergique revendication de la souveraineté nationale, dans cette réaction contre la loi de la conquête.

Nous avions vaincu la Hollande, mais nous n'avions pas vaincu l'Europe, et, pour compléter notre victoire, il nous fallait entrer en guerre ou en négociation avec l'Europe.

L'Europe vint à nous et, ce jour, la grande question de paix ou de guerre fut posée et résolue.

La révolution belge fut placée en présence de deux ordres d'idées.

La république, la réunion à la France et la guerre. La monarchie, l'indépendance et les négociations. Le premier ordre d'idées était hostile à l'Europe, et c'était un devoir pour l'Europe de ne pas le subir.

Le deuxième ordre d'idées se conciliait avec l'Europe, et elle pouvait l'accepter.

Pour nous servir de dénominations reçues et généralement comprises, nous appellerons l'un le système pacifique, l'autre le système belliqueux.

Et, qu'on le remarque bien, dans chaque système, les trois idées que nous y rattachons sont le corollaire l'une de l'autre elles s'engendrent mutuellement.

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La république nous mettait en hostilité avec tout le monde, même avec la France; elle servait de transition à une réunion, car la Belgique républicaine devait entraîner la France dans le mouvement démagogique, ou bien la France monarchique devait chercher à s'incorporer en tout ou en partie cette Belgique, sans consistance et devenue le camp retranché de la démagogie.

La réunion à la France, décrétée de prime abord, nous mettait en hostilité avec le reste de l'Europe: en nous refusant, la France nous restituait à la Hollande; en nous acceptant, elle nous achetait au prix d'une guerre générale.

La guerre contre la Hollande ne pouvait avoir pour résultat que d'attaquer celle-ci dans sa nationalité propre, en lui enlevant notamment le Brabant septentrional: la révolution, en dépassant les limites de l'ancienne Hollande, devenait la conquête et la propagande. Il y a plus la position de la Belgique à l'égard de l'Europe n'était autre que celle de la France.

Pour la France, le système pacifique, c'était le status quo territorial et la monarchie.

Le système belliqueux, c'était l'extension territoriale, la propagande et la république.

Cette identité de position nous a sauvés; car si la

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révolution de juillet avait pu adopter un autre système, c'en eût été fait de l'indépendance belge. Les adversaires du système pacifique en France sont aussi les adversaires de notre nationalité; et rien n'est plus conséquent le général Lamarque n'a-t-il pas prétendu que la loi du 9 vendémiaire an IV, par laquelle la Convention a brutalement réuni nos provinces à la France, était encore loi de l'État? Mais ce qui n'est pas conséquent, c'est la conduite des patriotes belges, qui veulent l'indépendance du pays et qui reprochent à la France son rôle pacifique.

Nous sommes loin de méconnaître les sentiments généreux, les vues élevées de quelques hommes qui, parmi nous, se sont portés adversaires du système pacifique; mais ce que nous leur demandons, c'est de se comprendre eux-mêmes; ce que nous leur reprochons, c'est d'être inconséquents. Si vous êtes ennemi ou peu soucieux de l'indépendance belge; si, prenant en pitié cette vieille société européenne, vous avez conçu un vaste plan de rénovation universelle; si, plus bornés dans vos vœux, vous voulez la réunion à la France ou le retour à la Hollande, maudissez le système pacifique; mais si vous voulez sincèrement et avant tout l'indépendance belge, arrêtez votre anathème serait une absurdité.

Le système belliqueux pouvait produire une Europe nouvelle; mais, dans cette Europe nouvelle, il n'y avait pas de place pour une Belgique indépendante.

Le système pacifique pouvait seul faire naître une Belgique dans la vieille Europe.

Voyons les deux systèmes en action.

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La période qui s'est écoulée depuis les Journées d'août jusqu'aux Journées de septembre offre un caractère indéfinissable : ce n'était ni l'ordre légal, ni l'insurrection. C'est ordinairement d'un seul bond qu'on se précipite de l'ordre légal dans l'insurrection; il a fallu un mois aux Belges pour prendre cet élan : un mois entier ils se sont arrêtés sur le seuil de la légalité, face à face avec la révolution. Ce fut l'attaque sur Bruxelles qui décida l'événement : cette attaque est une grande faute, si, comme on l'a prétendu, le prince Frédéric avait cru devoir céder à l'invitation de quelques notables de Bruxelles; c'est un crime, si elle a été le résultat d'un plan conçu à La Haye; car, quoi de plus criminel que d'entreprendre de résoudre par la force, à Bruxelles, des questions qu'à La Haye on avait remises aux débats parlementaires1? Quoi qu'il en soit, ce jour, la

Il aurait suffi à l'armée des Pays-Bas de cerner Bruxelles; mais on voulait qu'il fût dit que le gouvernement légitime avait écrasé la révolte.

Le roi Guillaume aurait pu répéter au prince Frédéric ce que l'empereur Joseph Il écrivait au général d'Alton, après la déroute de Turnhout : « Je ne puis vous cacher mon étonnement sur l'inconséquence et le peu d'à-propos que je vois régner dans les dispositions que vous faites et dans les projets

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