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Bien que la révolution belge ait été solennellement close en 1839, le monde est loin de s'être immobilisé; il s'est renouvelé autour de la Belgique sans l'emporter. Jusqu'à quel point la solution donnée à tant de questions par la Conférence de Londres a-t-elle été respectée? C'est ce que le lecteur doit immanquablement se demander. La Conférence, s'il est permis de la déclarer en permanence dans l'histoire, a vu un de ses souhaits accomplis par la capitalisation du péage de l'Escaut; elle serait étonnée du sort des forteresses belges, inquiète peut-être de celui du grand-duché de Luxembourg rendu impuissant en 1867, à la suite de la guerre austro-prussienne, par sa neutralisation et par le démantèlement de sa fameuse place d'armes; elle serait satisfaite de l'épreuve qu'a surmontée en 1870, en face de la guerre franco-allemande, la neutralité belge, spécialement réglée par les deux grands belligérants sur l'initiative de l'Angleterre. Pour ne pas tenir les esprits en suspens, on a montré, dans quelques additions jetées hors du cadre, ce qu'est devenue l'œuvre de la Conférence devant les événements gigantesques qui ont changé la face de l'Europe. Ce qui surtout satisferait la Conférence, c'est que la Belgique est restée debout, la Belgique dernier mot prononcé à son lit de mort par Palmerston, que le roi Léopold Ier devait suivre de si près.

A l'aide de la table alphabétique des matières, qui termine le tome II, le lecteur pourra, sans s'engager

dans des recherches difficiles, réunir rapidement sur chaque fait, sur chaque question toutes les notions éparses tant dans l'ouvrage principal que dans la première continuation de l'auteur et dans la seconde où M. Théodore Juste, connu par tant d'utiles travaux, notamment par une intéressante monographie de Léopold Ier, conduit les négociations jusqu'à leur conclusion. Les préfaces de la 2e et de la 3e édition ont été lues avec avidité; nous n'avons pas cru pouvoir les supprimer; ce sont de courtes brochures politiques où se reflète la situation d'alors.

II

On a dit que l'essentiel pour les princes et les hommes d'État est de bien finir. Le roi LouisPhilippe a mal fini; même à l'étranger ce monarque, le seul, après Henri IV, qui se soit assis sur le trône de France avec le sentiment des droits des autres peuples, continue à être sévèrement jugé. Le gendre, sans être aussi puissant, a été plus heureux; son œuvre lui a survécu. Léopold Ier n'est guère apprécié que comme diplomate; cependant ce n'est pas son unique mérite. Éloigné du trône britannique par la mort de la princesse Charlotte, il avait pu espérer d'en être rapproché un jour, sinon comme régent, au moins comme conseiller officieux, par l'avénement de sa nièce, et croire qu'un rôle politique lui était encore, plus ou moins secrètement, réservé; il ne

cessait de s'y préparer lorsqu'un appel indirect lui fut adressé au nom de la Grèce; il accepta sans réserve; c'était une faute qu'il ne renouvela pas lorsque, s'étant désisté, une nouvelle offre lui fut faite, cette fois directement. S'il s'était rendu en Belgique sans un arrangement préalable avec les cinq grandes puissances, «< il n'y aurait eu qu'un révolutionnaire de

plus,» ainsi que s'exprimait l'un des commissaires belges dans la seconde entrevue qu'il leur accorda le 9 juin 1831, mot hardi qui ne l'offensa nullement, puisqu'il rendait sa propre pensée. Si les dixhuit articles du 26 juin stipulant à l'avance les conditions internationales de son avénement au trône belge n'ont pas été exécutés, c'est par suite de revers dont il n'est pas responsable. Il aurait pu se déclarer dégagé, il ne le fit pas et il poursuivit sa mission en dépit de la fortune. Pour ne point passer inaperçu sur cette terre, il résista aux séductions d'une riche sinécure à laquelle il renonça avec magnanimité et qui lui valait sans labeur ni souci la moitié de sa liste civile future.

Devenu roi des Belges, il a été son ministre des affaires étrangères; en correspondance avec tous les personnages influents, chefs d'État ou chefs de cabinet, rien d'important ne se passait en Europe qu'il n'en fût informé, rien de grave ne s'y préparait qu'il ne pût pressentir. Aucun de ses ministres officiels n'a pu se prévaloir d'une position semblable. Pour prévenir des abus trop fréquents de nos jours,

ces lettres qui eussent été si précieuses et que les archives officielles ne remplaceront pas, ont été réciproquement restituées. A certains égards, le département des affaires étrangères est la partie intellectuelle de tout gouvernement; il en est comme la providence; il épie les signes du temps; il cherche à découvrir les rapports parfois lointains entre la destinée du pays et les événements du dehors; souvent il a l'apparence d'être inactif, inutile même, mais l'imprévoyance, l'oubli, l'erreur d'un jour, une méprise, une fausse appréciation ont des suites irréparables. La Belgique, moins que tout autre État, ne peut s'isoler; son existence tient au système général. Le chef de sa diplomatie, roi ou ministre, doit être un observateur presque universel; toujours l'œil fixé sur la carte du monde, aucun mouvement, en Europe surtout, ne doit lui échapper. C'est ainsi que le roi Léopold Ier entendait cette fonction qui exige une vigilance continue, bien que cachée au vulgaire; il restera l'idéal du diplomate belge. Veut-on savoir ce que coûte un premier faux pas? Si le roi Guillaume Ier avait eu une diplomatie plus clairvoyante, il n'eût pas provoqué la réunion de la Conférence de Londres; il a cru pouvoir de plein droit compter sur les cinq grandes puissances, y compris la France de Juillet; il n'a pas prévu que la nécessité du maintien de la paix générale dominerait les cabinets et que l'Europe se contenterait sous une autre forme de la non-réunion de la Belgique à la France. En lutte avec le

clergé, il s'est félicité de la chute du gouvernement clérical de Charles X, comme si la France libérale devait être insensible à la destruction du royaumeuni élevé contre elle; s'il avait seulement relu la correspondance de son grand aïeul le Taciturne, il aurait appris que les Valois catholiques n'avaient pas refusé leur appui aux huguenots des Pays-Bas contre Philippe II; ce n'est pas la bonne volonté, mais le génie qui manqua au frère de Charles IX et de Henri III pour devenir en 1582, sous les auspices du prince d'Orange, souverain des provinces révoltées au nom d'une cause opposée à celle qui motivait la politique intérieure de la France.

l'on

Le roi Léopold Ier n'employait pas son influence extérieure dans l'intérêt seul de la Belgique; elle se faisait sentir dans les rapports internationaux d'autres États. Il a servi constamment d'intermédiaire entre l'Angleterre et la France; c'est peut-être à lui que est redevable du maintien de l'alliance anglo-française tant de fois ébranlée sous le roi Louis-Philippe; il a contribué activement à la sauver après la crise égyptienne en 1841, la guerre du Maroc en 1844 et les mariages espagnols en 1846. Arbitre en 1863 entre l'Angleterre et le Brésil, sa haute impartialité ne lui permit pas de donner raison au puissant État qui lui avait rendu tant de services.

Esprit cosmopolite, il s'intéressait au sort de l'humanité sur tous les points du globe; l'Orient avait conservé le privilége d'émouvoir son imagination ; il

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