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Correspondance diplomatique entre la Grande-Bretagne et la Russie concernant l'Incident de Hull (1).

Le Gouvernement britannique vient de publier et de faire remettre aux deux chambres du Parlement une série de pièces relatives à l'incident de la mer du Nord (2). Ces documents qui comprennent surtout les dépêches échangées entre le marquis de Lansdowne et sir Charles Hardinge, ambassadeur britannique à Pétersbourg, éclairent toute la période de temps qui s'étendit entre la première nouvelle de l'incident dont la flottille de pêche « Gamecock » fut victime dans les parages du banc des Dogres (3) et la signature qui eut lieu le 25 (12) novembre à Pétersbourg de la «déclaration» concernant l'institution d'une Commission Internationale d'enquête (4).

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A peine informé de l'incident, lord Lansdowe télégraphia à Sir Ch. Hardinge qu'il eût à faire connaître les faits au Comte Lamsdorff. « La matière, disait-il, était de celles qui ne souffraient pas de délai : le gouvernement britannique attendrait d'avoir reçu des explications du gouvernement russe avant de formuler ses demandes, mais il réclamerait des excuses, une réparation prompte et totale et des garanties contre la possibilité du retour de pareils incidents intolérables (5) ». Le même jour, 24 octobre, lord Lansdowne avait un entretien avec M. Sazonow, chargé d'affaires russe il lui demandait des explications, mais M. Sazonow était sans nouvelles et ne pouvait faire connaître qu'une chose, c'est que de nombreux rapports avaient prévenu le gouvernement russe que des agents japonais tentaient d'organiser une attaque contre la flotte de la Baltique (6). Le 25 octobre le comte Benckendoff, ambassadeur de Russie à Londres, revenu à son poste la veille au soir, se rendit dans la matinée au Foreign Office : lord Lansdowne lui fit part des démarches du gouvernement britannique, les mêmes que celles dont il avait entretenu la veille son ambassadeur à Saint-Pétersbourg et insista pour qu'une solution rapide intervînt (7).

Le lendemain 26 octobre, Lord Lansdowne et le comte Benckendorff se virent à deux reprises. L'ambassadeur venait de recevoir un télégramme du comte Lamsdorff lui disant que l'amirauté russe n'avait encore reçu « aucune information directe au sujet du malencontreux incident survenu dans la mer du Nord ». Le comte Lamsdorff terminait en chargeant

(1) Analysée par M. Gilbert Gidel, Docteur en Droit.

(2) Russia. N° 2, 1905. Correspondence relating to the North Sea Incident. Presented to both Houses of Parliament by command of His Majesty. February 1905. (Cd. 2350). (3) N° 1.

(4) N° 96. Voir Archives diplomatiques, 1904. N° 11-12, page 1323.

(5) N° 2.

(6) N° 6.

(7) N° 10.

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le comte Benckendorff « d'exprimer sans plus de retard au gouvernement britannique le plus profond regret du gouvernement Impérial du néfaste incident dont les pêcheurs anglais avaient été les victimes (1) ». Lord Lansdowne « insista sur la nécessité de prendre des mesures promptes pour arrêter la flotte. Si on lui laissait continuer son voyage, dit-il, sans qu'elle touchât à Vigo, nous pourrions nous trouver en état de guerre avant que la semaine fût passée. » Il saisit cette occasion pour attirer l'attention de l'ambassadeur russe sur le communiqué qui paraissait le même jour dans les journaux, relatif à la concentration de la flotte anglaise a Gibraltar et ailleurs. Quelques heures après, que cette première entrevue eut pris fin, lord Lansdowne reçut un télégramme de sir Charles Hardinge (2): comme les termes de ce télégramme étaient tels que l'on pouvait se demander si le gouvernement russe prenait réellement des mesures effectives pour arrêter la flotte à Vigo, afin d'ouvrir une enquête pour déterminer les responsabilités dans l'incident de la mer du Nord, lord Lansdowne pria le comte Benckendorff de bien vouloir venir conférer avec lui de ce sujet. Après une longue discussion le comte Benckendorff promit de télégraphier à son gouvernement que le gouvernement britannique demandait que « l'amiral commandant la flotte désignât, après une enquête sommaire et qui ne demanderait que quelques heures, le ou les officiers responsables de l'incident. Ces officiers devraient être ultérieurement soumis à une enquête approfondie à Saint-Pétersbourg. Par suite il fallait qu'il revinssent immédiatement en Russie. Leur jugement immédiat était considéré par le gouvernement britannique comme une condition absolue de la terminaison pacifique de l'incident: le gouvernement britannique s'opposait à ce que l'on permit à ces officiers de continuer la campagne avant le jugement. » La situation, devait ajouter l'ambassadeur dans son télégramme, était encore compliquée par le fait que le premier ministre devait faire un discours le vendredi suivant, (c'est-à-dire le surlendemain) et qu'il lui était impossible d'éviter de s'y prononcer définitivement (3).

Que se passait-il cependant à Pétersbourg? La nouvelle de l'incident du banc des Dogres y était parvenue le 24 octobre. Aussitôt sir Ch. Hardinge s'était rendu auprès du comte Lamsdorff et il lui avait représenté, « non comme ambassadeur britannique, mais comme ami » — (il n'avait pas, en effet, d'instructions) - que pour maintenir les relations amicales entre les deux pays, une déclaration s'imposait que ceux qui se trouvaient impliqués dans l'accident seraient punis si l'on relevait des fautes à leur charge et qu'une réparation complète serait accordée. Le comte Lamsdorff déclara désirer attendre le rapport de l'amiral, mais promit une enquête, une réparation et la punition de ceux qui pourraient être trouvés responsables (4).

Le 24 et le 25 octobre, les nouvelles officielles manquaient toujours. Le comte Lamsdorff vint voir, le 25 octobre, sir Charles Hardinge et lui exprima les regrets sincères de l'Empereur qui « prendrait les mesures nécessaires de réparation envers les victimes dès qu'il aurait un compte rendu clair des circonstances qui avaient entouré l'incident » (5).

(1) N° 12. Annexe 1.

(2) N° 11.

(3) N° 12.

(4) N° 3.

(5) N° 8. N° 36.

Le 26 octobre, même absence de nouvelles; le capitaine Cathorpe, attaché naval britannique, se rendait vainement à l'amirauté pour en obtenir : l'amiral Wirenius, chef d'Etat-Major, à la demande du capitaine Cathorpe si l'amirauté avait demandé un rapport à l'amiral commandant la flotte de la Baltique, répondait par la négative et persistait à répéter que, du moment que l'amiral Rodjestvensky enverrait certainement un rapport, il était inutile de lui envoyer des instructions en ce sens (1). C'est alors que sir Charles Hardinge envoya une note au Comte Lamsdorff pour le presser de prendre des mesures afin d'obtenir des nouvelles (2).

Le 27 octobre enfin, des nouvelles de l'amiral Rodjestvensky arrivérent simultanément à Londres et à Pétersbourg. Le capitaine Boström, attaché naval russe à Londres, reçut un télégramme de l'amiral commandant la flotte de la Baltique, expédié de Vigo le 26 octobre, à 9 h. 50 du soir il s'empressa de le porter à la connaissance de lord Lansdowne (3). En même temps, sir Charles Hardinge recevait communication de deux télégrammes adressés à l'amirauté russe par l'amiral Rodjestvensky.«L'incident de la mer du Nord, disait l'amiral, a été provoqué par deux torpilleurs, qui, les feux éteints et protégés par l'obscurité, se disposaient à attaquer le vaisseau de tête de l'escadre. Quand l'escadre a commencé d'abord à donner des signaux de guerre et ensuite à tirer, plusieurs autres petits bâtiments à vapeur, ressemblant aux vapeurs de pêche, furent découverts. L'escadre a lâché de ménager ces bateaux et a cessé le feu dès que les torpilleurs avaient disparu »> (4). Dès que le Gouvernement britannique eut connaissance des télégrammes de l'amiral Rodjestvensky, il s'informa auprès de l'amirauté britannique, puis auprès des Gouvernements japonais, français, allemand, néerlandais, danois et suédois sur le point de savoir si, dans la nuit du 21 au 22 octobre, il se trouvait des torpilleurs ou destroyers appartenant à la flotte anglaise ou à celle d'un de ces Gouvernements sur les parages du Dogger Bank (5). Ces divers Gouvernements répondirent tous, y compris le Gouvernement japonais, qu'aucun de leurs torpilleurs ou destroyers ne se trouvait à la date indiquée dans le voisinage des lieux où s'était produit l'incident (6). Avant même d'ailleurs d'être en possession de ces réponses lord Lansdowne avait fait savoir à l'ambassadeur de Russie dans un entretien qu'il eut avec lui le 27 octobre, que le Gouvernement britannique ne pouvait admettre les explications de l'amiral Rodjestvensky « qui certainement ne convaincraient pas le pays », et qu'une enquête à Vigo était insuffisante. Il était absolument nécessaire aux yeux du Gouvernement britannique que, avant que la flotte russe ne quittàt Vigo, une enquête fut faite par les autorités russes pour déterminer quelles étaient les personnes responsables de l'attaque dirigée contre la flottille de pêche. Ces personnes seraient laissées en arrière par l'amiral Rodjestvensky, ainsi que toutes celles dont le témoignage serait regardé par les autorités navales russes comme essentiel pour l'éclaircissement des faits. En second lieu, une enquête serait ouverte sur ces faits par une Cour

(1) N° 11, n° 32 et Annexe au no 32, n° 36.

(2) N° 36.

(3) N° 16, n° 19.

(4) N° 14-15. Pour le texte de ces deux télégrammes (en français), no 37 Annexes. (5) N° 18.

(6) Réponses des agents britanniques à Paris n° 24 et 47, à Copenhague no 26, à Berlin n° 25 et 63, à la Haye n° 38, à Stockholm n° 46. Réponse du ministre du Japon à Londres n° 48. Réponse de l'Amirauté britannique n° 20 et 3g.

indépendante de caractère international; les articles 9 à 14 de la Convention de La Haye pourraient servir de guide pour procéder à cette enquête : la Commission pourrait se composer d'officiers de marine d'un rang élevé représentant la Russie et la Grande-Bretagne et aussi trois autres grandes puissances. En troisième lieu le Gouvernement russe- condition sine qua non donnerait l'assurance d'infliger un châtiment convenable aux personnes, qui, le cas échéant, pourraient être trouvées coupables par la Commission internationale (1).

Le 28 octobre, sir Ch. Hardinge reçut du comte Lamsdorff la nouvelle que le ministre de la Marine avait donné aux navires de la flotte russe, témoins de l'incident, l'ordre de rester à Vigo (2). Le ministre russe informait en même temps l'ambassadeur anglais que le télégramme suivant avait été adressé le jour même au comte Benckendorff « Désirant jeter le plus de lumière possible sur tout ce qui s'est passé dans la mer du Nord, l'Empereur trouverait utile de déférer l'examen scrupuleux de cette question à une commission internationale d'enquête prévue par la Convention de La Haye. D'ordre de Sa Majesté, Votre Excellence est invitée à proposer ce mode de solution au Gouvernement de Sa Majesté Britannique (3)». Cette Commission d'enquête éclaircirait les faits et, après l'enquête, alors seulement, serait discutée la question de responsabilité et ses conséquences (4).

L'incident était dès lors virtuellement arrangé. C'était le soir même du jour où parvint à Londres le télégramme russe proposant la nomination d'une commission d'enquête, que M, Balfour devait prononcer, à Southampton, son discours. D'un commun accord entre le marquis de Lansdowne et le comte Benckendorff fut arrangé le sens des déclarations du Premier Ministre relativement à l'incident de la mer du Nord. «Le Gouvernement Russe, à la nouvelle de l'incident, a exprimé aussitôt ses regrets profonds. L'Empereur de Russie a télégraphié au Roi dans le même sens. Le Gouvernement Russe a promis aussi la compensation la plus libérale. Ordre a été donné par lui que la partie de la flotte mêlée à l'incident séjournât à Vigo, afin de permettre aux autorités navales de déterminer les officiers responsables de l'incident. Ces officiers et ceux qui ont assisté aux faits n'accompagneront pas la flotte en Extrême-Orient. Une enquête sera instituée sur les faits. Le Gouvernement Russe considère qu'il serait bon de confier le soin de cette enquête à une Commission Internationale du genre prévu par la Convention de La Haye. Les personnes trouvées coupables par ce tribunal seront jugées par le Gouvernement russe et punies comme il convient. Le Gouvernement russe se charge de prendre des précautions contre le retour de pareils incidents et. à cet effet spécial, des instructions seront données à toute la flotte russe pour protéger contre tous risques le commerce des neutres » (5).

Le 31 octobre lord Lansdowne fut informé que les officiers qui auraient à déposer devant la Commission d'enquête, avaient reçu l'ordre de débarquer à Vigo (6): c'étaient le capitaine de frégate Klado, les lieutenants

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Ellis et Shramtchenko, l'enseigne OH. (1). Le même jour, 31 octobre, le Gouvernement britannique fit parvenir à sir Ch. Hardinge pour le remettre au comte Lamsdorff un projet de Convention pour l'institution d'une Commission Internationale (2).

L'adhésion russe ne se fit pas attendre et le 4 novembre (22 octobre) le comte Lamsdorff déclara « accepter intégralement » le projet anglais (3). D'ores et déjà un certain nombre de points étaient acquis; 1° Jusqu'à la conclusion de l'enquête aucun blâme ne serait adressé à qui que ce fût et à fortiori aucune punition ne serait infligée. 2° La conduite de toutes les personnes mêlées à l'incident et non pas uniquement celle des officiers russes serait soumise. 3° La punition des personnes coupables - s'il y en avait — aurait lieu conformément à leur loi nationale (4).

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Sur un point les Gouvernements russe et britannique étaient en discus sion: c'était sur la question de responsabilité qui faisait l'objet de l'article 2 du projet de Convention. L'article 2 du projet britannique était ainsi conçu: «La Commission fera une enquête et dressera un rapport sur toutes les circonstances relatives à l'incident de la mer du Nord, et en particulier sur la question de savoir à qui incombe la responsabilité de l'incident et sur le degré de blâme qui doit s'attacher aux personnes à la charge desquelles cette responsabilité aura pu être constatée (5). » L'art. 2 du projet russe transmis le 12 novembre par le comte Lamsdorff à sir Ch. Hardinge était, au contraire, ainsi rédigé: « La Commission devra examiner toutes les circonstances ayant trait à l'Incident de la mer du Nord, notamment, élucider les faits y relatifs et se prononcer sur la question de responsabilités, selon les résultats de l'enquête (6). » Le Ministère. des Affaires Etrangères de Russie après avoir consulté M. de Martens et les meilleurs jurisconsultes russes, était d'avis en effet que le texte original de l'article II du projet anglais était contraire au sens de la stipulation de la Convention de La Haye relative aux Commissions d'enquête (7).

Le malentendu se dissipa vite: lord Lansdowne avait entendu proposer la réunion non pas d'une Commission « identique » à celles prévues par la Convention de la Haye, mais d'une Commission « analogue (8) ». Comme l'écrivait le comte Lamsdorff à sir Ch. Hardinge (9) « le malentendu consistait en ce que le gouvernement Impérial était persuadé, dès le commencement, que les stipulations de la Convention de La Haye concernant les Commissions Internationales d'enquête seraient la base unique de notre arrangement dans le cas présent; tandis que le gouvernement de Sa Majesté Britannique entendait attribuer à la Commission d'enquête une compétence plus étendue. » Le texte finalement adopté reproduisit d'une manière très fidèle le sens de l'art. 2 du projet britannique.

Le 5 novembre lord Lansdowne proposa l'addition à son projet de trois articles le premier relatif à l'adjonction à la Commission d'un Jurisconsulte-Assesseur pour chacune des deux H.P.C. est reproduit dans l'alinéa troisième de l'art. 1o de la Convention définitive; le second a été repro

(1) N° 54.

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(2) N° 42, n° 43. Le texte du projet anglais en annexe au no 43.

(3) N° 60, n° 65.

(4) N° 58.

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