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Lorsque la prescription de la peine portée en matière criminelle est acquise, la loi défend au condamné de résider dans le département où demeure soit celui sur lequel ou contre la propriété duquel le crime a été commis, soit ses héritiers directs le gouvernement peut assigner au condamné le lieu de son domicile.

Lorsqu'un individu a frappé un magistrat dans l'exercice de ses fonctions, ou à l'occasion de cet exercice, la loi porte que le coupable peut être condamné à s'éloigner pendant cinq à dix ans du lieu où siége le magistrat, d'un rayon de deux myriamètres, et que cette disposition doit avoir son exécution à dater du jour où le condamné a subi sa peine.

Au surplus, cette mesure, qui est une exception à la liberté individuelle garantie par la charte, ne peut plus aujourd'hui être ordonnée si elle n'est autorisée formellement par une disposition législative. La cour de cassation, appliquant ce principe, a jugé, le 19 février 1807, qu'en faisant défense à Antoine Mazy d'approcher du domicile de la femme Legrand, et en invitant les bons citoyens et le commissaire de police à le surveiller, le tribunal de police avait commis une usurpation de pouvoir.

OUDART.

ABSTINENCE. (Médecine.) On entend par ce mot, en langage médical, la privation d'aliments et de boissons. Quand l'abstinence ne porte que sur les aliments ou sur les boissons ou seulement sur quelques substances en particulier, elle prend communément le nom de diète (voyez ce mot). Les effets de l'abstinence sur l'économie varient suivant une foule de conditions. L'état de santé ou de maladie, l'âge, le sexe, la constitution, le régime habituel, le climat, la saison, la température, la profession et enfin les habitudes individuelles modifient nécessairement ces effets, toujours remarquables.

Et d'abord c'est de toutes ces circonstances que dépend la solution de cette question : En combien de temps l'abstinence amène-t-elle la mort ?

On ne peut fixer d'une manière précise le terme qu'un enfant, un adulte ou un vieillard soumis à l'abstinence complète, peuvent atteindre sans succomber. On sait seulement que plus on se rapproche des premiers mois de la vie, moins l'abstinence peut être supportée, Toutes les fois que des enfants se sont trouvés soumis en même temps que des adultes à l'abstinence prolongée, ils sont morts les premiers. La nécessité des repas rapprochés dans l'enfance, l'adolescence et même la première jeu. nesse, suffirait pour établir à priori ce fait, qu'explique le double besoin de réparer les pertes journalières et de fournir au corps les

éléments nécessaires à son développement rapide.

Dans l'admirable épisode d'Ugolin, le plus jeune des fils meurt au quatrième jour, ses frères le suivent du cinquième au sixième, et le père survit encore deux jours à ses enfants.

La vieillesse, en tournant toutes les forces plastiques vers l'ossification et diminuant par une résorption continuelle les tissus graisseux et musculaires, met ainsi l'homme dans l'impossibilité de supporter l'abstinence aussi longtemps que dans l'âge adulte.

Les auteurs, surtout ceux de l'Allemagne, abondent en observations plus ou moins merveilleuses d'abstinence supportée pendant un temps plus ou moins long et variant de quelques jours à cinquante ans. On peut, avec Hoffmann et Haller, considérer la plupart de ces exemples comme très-suspects; cependant l'autorité d'é--crivains recommandables et très-bons observateurs ne peut permettre de rejeter quelquesuns de ces faits, quelque extraordinaires qu'ils soient.

Un point de la plus haute importance et sur lequel les auteurs se taisent en général, c'est celui de savoir si les gens dont ils parlent s'abstenaient de boissons comme d'aliments. Pour quelques-uns ce peut être l'objet d'un doute, mais du moment que le jeûne dépasse une limite de huit à dix jours il devient très-probable que l'abstinence des boissons n'a pas eu lieu. En effet, dans le petit nombre d'observa. tions rigoureusement faites de prisonniers qui se sont laissé mourir de faim, on a toujours vu ces malheureux, dans un état déjà voisin de l'agonie, reprendre leurs forces et prolonger leur vie de plusieurs jours, quand ils cédaient à la tentation irrésistible de boire quelques gorgées d'eau. Le séjour dans un lieu et dans une atmosphère humide a un effet analogue.

En août 1831, l'Académie de médecine reçut deux observations de suicide par inanition. Le sujet de la première mourut au soixantième jour, n'ayant pris pendant tout ce temps aucune nourriture, mais seulement quelques gorgées d'eau et de sirop d'orgeat. Le sujet de la seconde observation, prisonnier à Toulon, mourut au soixante-troisième jour; il n'avait rien mangé pendant ce temps, mais presque tous les jours il buvait de l'eau et souvent avec excès.

MM. Leuret et Lassaigne citent le fait d'un aliéné qui, pendant trois semaines, ne prit aucune nourriture et ne fit que se laver une fois la bouche avec un peu d'eau. Un phthisi. que, qui ne buvait que de l'eau nitrée, vécut trente jours (Cheyne, Diseases of body....). Richter raconta souvent à Haller qu'un homme avait par superstition enduré un jeune de quarante jours. Nous omettons une foule d'autres faits, dont les plus extraordinaires sont rappor

tés par des auteurs allemands; tel est, par exemple, celui d'une femme qui, si l'on en croit Horzt, vécut cinquante ans ne prenant que du petit-lait.

Chez les animaux, l'abstinence produit des effets analogues; toutefois, les carnivores la supportent mieux que les herbivores, et, toutes choses égales d'ailleurs, les individus les plus grands dans chaque espèce résistent plus longtemps que les plus petits. Des chapons auxquels Redi ne donnait ni aliments ni boissons ne vécurent pas au delà du neuvième jour; un autre auquel il donna de l'eau vécut jusqu'au vingtième.

Collard de Martigny a vu des chiens supporter l'abstinence complète d'aliments solides et liquides, de trois à cinq semaines et plus. La jeunesse est une cause de mort plus prompte chez les animaux comme chez l'homme; mais des hommes faibles, habitués à prendre peu de nourriture, supportent généralement mieux l'abstinence que des individus plus robustes. Dans l'échelle animale, on a reconnu que plus le développement de chaleur est grand, plus la circulation marche vite, plus les mouvements sont vifs, moins l'abstinence est supportée. Le passereau ne peut vivre plus d'un jour sans nourriture, le crapaud et la tortue vivent ainsi plusieurs années.

Les effets physiologiques de l'abstinence varient aussi suivant une foule de conditions. Le fakir et le moine, qui se condamnent aux rigueurs de l'ascétisme, supportent tranquillement leurs douleurs physiques, et l'exaltation morale, l'espèce d'extase, qui en résulte pour eux, leur semble un bonheur; ils croient avoir éclairé leur raison et reculé les bornes de leur intelligence quand ils sont devenus semblables à ces pauvres hallucinés que nous voyons dans nos hôpitaux. Sur le radeau de la Méduse, les hommes doués de force morale, ceux dont l'esprit gouverne le corps, supportèrent avec fermeté les angoisses de la faim et de la soif, tandis qu'auprès d'eux leurs compagnons d'infortune, hommes grossiers ou criminels abrutis, tombaient dans un délire furienx. L'abstinence amène le décroissement des forces dans des proportions variables suivant les individus et les conditions dans lesquelles ils sont placés. Quand on passe en quelques heures d'une station peu élevée au-dessus de la mer, de 1000 mètres par exemple, à une plus élevée, comme à 4000 mètres, l'appétit diminue sensiblement, et cinq à six hommes robustes consomment à peine à leur repas ce qui, dans la plaine, serait une ration bien juste pour l'un d'entre eux. Cependant cette abstinence partielle, prolongée pendant deux ou trois jours, n'a que fort peu d'influence immédiate sur la force musculaire.

Les effets les plus constants de l'abstinence

sont, pendant les premiers jours, la sensation plus ou moins douloureuse de la faim, les ti raillements à l'épigastre, la pâleur du visage, l'abattement et l'affaiblissement, musculaire. La respiration se ralentit, le pouls plus fréquent, mais dépressible cinq ou six heures après la dernière digestion, diminue de fréquence, et devient petit. La peau est froide, l'individu réagit peu contre une basse température, et la chaleur animale décroît sensiblement, au bout d'un certain temps.

Les sens perdent souvent de leur finesse, toutes les facultés organiques et intellectuelles diminuent de puissance; seule de toutes les fonctions, l'absorption redouble d'énergie. Bientôt la maigreur devient extrême, les saillies musculaires disparaissent et font place à celle des os. Les urines, rares et infectes dès les premiers temps, le deviennent de plus en plus; les selles sont supprimées ou sont peu abondantes; les douleurs à l'épigastre devien nent atroces par moment. Chez quelques indi. vidus il survient du délire ; mais cette surexci. e; tation nerveuse, lorsqu'elle a été observée, pouvait être attribuée à des causes complexes. Le sang perd de sa plasticité; le corps, parvenu au dernier degré du marasme, semble, pendant les derniers temps de la vie, entrer par avance en décomposition; une odeur putride s'en exhale; des pétéchies se montrent à la peau et quelquefois des lambeaux des téguments se détachent; enfin la mort arrive, précédée dans quelques cas de mouvements convulsifs.

Collard de Martigny a trouvé chez des animaux morts d'inanition le tissu adipeux disparu, les muscles atrophiés, pâlis, exsangues, la quantité du sang diminuant de plus en plus, celle de la lymphe augmentant d'abord, puis diminuant jusqu'à la mort. La composition de ces liquides est modifiée, la fibrine y diminue, tandis que l'albumine augmente.

La circulation de la lymphe devient trèslente.

La sécrétion de la bile n'est pas moins abon. dante que dans l'état normal.

Les belles recherches de M. Chossat ont démontré que chez les tourterelles, et probablement chez tous les oiseaux, la mort arrive aussi vite par l'abstinence des aliments solides seulement, que par celle des solides et des liquides. Chez les mammifères, la vie est prolongée par l'usage des liquides, et plus encore chez les animaux à sang froid.

L'oscillation diurne de la chaleur animale augmente graduellement d'amplitude sons l'influence de l'abstinence.

Quand la mort par inanition est devenue imminente, le corps étant sur le point d'arriver à une température incompatible avec la vie, on peut, en réchauffant l'animal en expérience,

rétablir ses fonctions digestives et le remettre ainsi en état de produire lui-même la chaleur nécessaire à son existence.

Du reste, l'abstinence est un des moyens thé rapeutiques les plus puissants, et c'est surtout dans les maladies aiguës et accompagnées de congestion sanguine vers un organe, que le cura famis doit former la base du traitement; nous signalerons au mot DIÈTE les avantages immenses de ce moyen, comme aussi les résultats déplorables qu'il peut avoir quand il est peu judicieusement appliqué.

Une dernière question se présente: Peut-on, en médecine légale, reconnaître d'une manière positive que la mort a eu lieu par suite d'abstinence ou, si l'on veut, par inanition? Les conditions variables à l'infini qui peuvent mo. difier les effets physiologiques de l'abstinence suffisent à démontrer que, si le médecin peut arriver sur cette question à un certain degré de probabilité, il ne saurait acquérir une certitude fondée sur des preuves matérielles et irrécusables, comme doivent l'être celles qui servent de base à ses déclarations judiciaires.

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ABSTINENCE, JEUNE, CARÈME (Jejunium, Nnoteía). (Religion.) L'abstinence, en morale, est cette vertu qui consiste à s'abstenir de certaines choses en vue d'un précepte moral ou d'une institution cérémonielle. Le philosophe stoïcien Épictète, dont le Manuel se rapproche tant du christianisme, disait que ces deux mots, 'Añéɣou xaì άvéyou, abstienstoi et supporte, renfermaient toute la philosophie.

C'est surtout dans l'histoire des religions que le mot abstinence occupe une place im. portante. En style mystique, la mortification des sens est le motif général de l'abstinence. C'est ce qu'avaient senti elles-mêmes la plu. part des sectes de l'antiquité, les pythagori. ciens, les orphiques, lorsqu'elles pratiquaient tant d'abstinences rigoureuses.

Il y a, en matière d'abstinence, deux excès à éviter et un milieu à suivre. Le premier excès est celui des hérétiques encratites, montanistes, manichéens, qui soutiennent que l'usage de la chair est impur, défendu, pernicieux en lui-même; on connaît à cet égard l'éloquente réfutation de saint Paul. Le deuxième excès est celui de Savinien et

des protestants, qui prétendent que l'abstinence de la viande est sans mérite, superstitieuse, judaïque, absurde.

L'église catholique décide que cette abstinence peut être louable, méritoire, commandée même par des motifs légitimes et dans certaines circonstances. Sur la fin du troisième siècle, il parut dans les Gaules et en Espagne une secte d'hérétiques appelés abstinents. On croit qu'ils avaient emprunté une partie de leurs opinions des gnostiques et des manichéens.

L'abstinence religieuse, accompagnée de deuil et de macérations, s'appelle jeûne. Cet usage remonte au berceau du monde : quelques théologiens en trouvent même l'origine dans l'histoire de notre premier père. Sans parler de la solennité du jeûne parmi les Juifs, il est constant que presque tous les autres peuples de l'antiquité, les Égyptiens, les Phéniciens, les Assyriens, avaient aussi leurs jeûnes sacrés. Les Grecs adoptèrent les mêmes coutumes. Plus superstitieux que les Grecs, les Romains perfectionnèrent en quelque sorte cette solennité. Numa observait des jeunes périodiques. On lit dans TiteLive (livre XXXVI, c. 37) que les décemvirs ayant consulté, par ordre du sénat, les livres sibyllins au sujet de plusieurs prodiges, ceuxci déclarèrent que, pour en arrêter les suites, il fallait fixer un jeûne public en l'honneur de Cérès, et l'observer tous les cinq ans.

Les Chinois ont, de temps immémorial, des jeunes consacrés dans leur pays pour les préserver des années de stérilité, des inondations, des tremblements de terre et autres désastres. Enfin, les sectateurs de Mahomet suivent religieusement le même usage: ils ont leur jeûne ou ramadan, et des dervis qui outrent cette pratique.

Le jeune, si généralement répandu, s'est donc établi de lui-même, et tous les peuples l'ont adopté comme par un mouvement na. turel.

En effet, les hommes, affligés de calamités particulières ou publiques, se sont livrés à la tristesse et ont négligé d'abord de prendre de la nourriture. Ensuite ils ont regardé comme un acte religieux cette abstinence volontaire ils ont cru qu'en macérant leur corps quand leur âme était désolée, ils pourraient attendrir leurs dieux ou leurs idoles. Cette idée, s'emparant des peuples, a bientôt fait le tour de la terre de là le deuil, les vœux, les prières, les sacrifices, les mortifications, le jeune enfin et l'abstinence. L'apparition de Jésus-Christ ayant sanctifié le jeûne, toutes les sectes chrétiennes embrassèrent cette coutume. Il serait inutile de rappeler à ce sujet les rêves des platoniciens et des Orientaux. Les anciens philosophes, les

:

sectateurs de Pythagore, quelques disciples | de Platon, de Zénon, et plusieurs épicuriens eux-mêmes, ont aussi loué et pratiqué l'abstinence et le jeune. L'histoire des saints de l'un et de l'autre sexe, celle même des rois et des simples particuliers, nous offrent des exemples merveilleux de jeune et d'absti

nence.

Il est une époque d'abstinence, de pénitence forcée, pendant laquelle chacun dans l'église catholique, et dans la plupart des cultes chrétiens, est tenu de jeûner quarante jours pour se préparer à la fête de Pâques : c'est ce que nous appelons carême.

Il existe différentes versions sur l'origine des quarante jours du carême : serait-ce en mémoire du déluge qui dura quarante jours, ou des quarante années pendant lesquelles les Juifs parcoururent le désert, ou même des quarante jours qu'obtinrent les Ninivites pour faire pénitence? ou bien serait-ce pour perpétuer le souvenir des quarante jours de jeúne qu'observa Moïse en recevant a loi, ou des quarante jours de jeûne d'Élie ? ou enfin a-t-on voulu consacrer par cet usage le jeune de quarante jours de Jésus-Christ?

L'abstinence du carême diffère selon les pays les Grecs ne s'accordent pas avec les Latins ils le commencent une semaine plus tôt. Les bornes de cet article ne nous permettent pas de décrire les différentes espèces de jeunes et les variations diverses qu'ils ont éprouvées depuis leur origine; mais, bien qu'on se soit peu à peu relâché de cette rigoureuse pratique, l'institution du jeûne n'en est pas moins restée chez les peuples modernes. Les historiens des premiers règnes de la monarchie française citent à cette occasion plusieurs traits qui prouvent tous le respect de leurs contemporains pour cette solennité. Selon Froissart (livre 2, ch. 210), en 1360, lors de l'invasion des Anglais en France, leurs armées et les troupes françaises observaient l'abstinence et le jeúne de carême.

De nos jours, plus d'un auteur a prétendu que des motifs de bien public devaient engager les habitants de la capitale et des grandes villes à se relâcher de l'observation dujeûnedu carême. Mais, comme l'a dit un illustre écrivain, la remarque est inutile; car ce sont les riches qui n'ont pas la force de faire carême : les pauvres jeûnent toute l'année.

Dans un article consacré à l'abstinence, nous ne pouvons omettre le mot abstème, qui ne boit pas de vin, ab abstinentia temeti, suivant l'étymologie adoptée par Quintilien (1,7), et par Aulu-Gelle (X, 28). Les anciens nous offrent très-peu de détails sur ce terme; c'est aux querelles théologiques des calvinistes et des luthériens qu'il doit toute sa célébrité. On l'emploie rarement en fran

çais, et on ne sait pourquoi Rousseau s'en est servi préférablement à celui de nazaréen : c'est sans doute parce qu'il avait été élevé parmi les sectes protestantes. L'homme en naissant est nécessairement abstème; dans le deuxième livre de son Émile, Rousseau semble faire entendre que l'eau pure, naturelle et sans mélange, est la boisson la plus convenable à l'enfance et à tous les âges; nous serions, dit-il, tous abstèmes, si l'on ne nous eût donné du vin dans nos jeunes ans. Cette opinion est aussi, à très-peu de chose près, celle des auteurs du Dictionnaire des sciences médicales.

Chez quelques peuples de l'antiquité, l'abstinence du vin était un devoir imposé par les lois. C'était, dans la Judée, un des principaux vœux des Nazaréens. Suivant Xénophon, on ne donnait point de vin aux jeunes Perses durant tout le temps qu'ils fréquentaient les écoles. Les Crétois l'interdisaient à leurs enfants dans les mêmes circonstances. Enfin, au rapport de Pline et d'Aulu-Gelle, dans les premiers temps de la république romaine, toutes les dames devaient être abstèmes; et pour s'assurer si elles observaient cette loi, c'était une règle de politesse généralement établie que, chaque fois que des parents ou des amis les venaient visiter, elles les embrassassent sur la bouche.

On connalt à cet égard la loi de Mahomet et ses ordonnances sévères : c'est peut-être à ce genre d'abstinence que les musulmans furent redevables de leurs conquêtes. Leur enthousiasme belliqueux disparut en même temps que leur sobriété. Quels sont, en effet, les tristes résultats de l'intempérance? A la suite d'une partie de débauche, Octave et Antoine s'abandonnent mutuellement les têtes de leurs ennemis; Alexandre, dans l'ivresse, immole Clytus et court incendier Persépolis; le même conquérant expire en voulant vider la coupe d'Hercule.

Charles XII, Tiraqueau, célèbre jurisconsulte du onzième siècle, Balzac, émule et contemporain de Voiture, furent de véritables abstèmes. COURTIN.

ABSTRACTION. (Philosophie.) Substantif du verbe abstraire; ôter, séparer : exclusion qu'on donne à une ou à plusieurs idées pour s'occuper particulièrement d'une ou de plusieurs autres; en philosophie, acte par lequel nous séparons dans un objet chacune de ses parties, qualités ou propriétés, et dans une pensée chacune des idées qu'elle renferme : dans le sens passif, ce mot au pluriel signifie les conceptions d'un esprit qui, au lieu de s'appuyer sur l'observation, ne travaille que sur ses idées.

Comme procédé de l'entendement, l'abstraction est élémentaire ou comparative; élé

mentaire, si elle se borne à un seul objet physique ou moral; comparative, lorsque, séparant de plusieurs idées totales ce qu'elles ont de semblable, elle fixe la conception commune et générale qui en est le produit sous un signe matériel. (Voyez GENRE.) L'abstraction est le fondement de la connaissance et de la science dans la doctrine des partisans de l'expérience; dans celle des philosophes rationalistes, qui attribuent à l'entendement des notions primitives et congénérées, la science et la connaissance sont constituées par le concours de l'abstraction et des notions. (Voyez NOTION.) L'on distingue l'abstraction des sens, par laquelle chacun d'eux perçoit dans un corps la qualité qui lui est analogue; l'abstraction de la conscience, qui s'exerce sur le principe pensant, et l'abstraction de l'esprit, qui opère principalement par le langage. La première abstraction des sens est naturelle et spontanée; elle précède la synthèse, qui nous donne la connaissance des corps ; mais l'abstraction ultérieure que nous opérons sur chacune de nos perceptions est due à l'observation, et c'est par elle que nous découvrons dans les qualités des corps les modifications qui sont l'objet des sciences physiques et des arts qui en dérivent. Telle est la distinction que nous décou vrons entre les qualités premières et les qualités secondes, l'étendue tangible et l'étendue visible; entre les diverses formes et les diver. ses couleurs; entre la force, le timbre, le ton et les voix dans le son; entre les directions et les inflexions du mouvement, etc. (Voyez SENSATIONS.)

L'abstraction de la conscience succède à l'abstraction des sens. Elle nous donne les éléments des sciences morales et métaphysiques: par elle, le moi s'ébranche en sujet sensible, sujet actif et sujet pensant, qui toutefois ne peuvent se manifester dans la conscience l'un sans l'autre; car si l'on excepte les impressions purement organiques et les idées qui semblent naître sans attention et spontanément, il n'est point de sentiment sans acte et sans idée, ni d'idées sans acte et sans sentiment. Voilà pourquoi, outre la faculté productrice des idées que nous divisons en sensation, mémoire, imagination, entendement, jugement, raison, nous trouvons dans toutes les langues des noms de sentiments distingués par la diversité des idées : l'amour de soi, l'amour-propre, la sympathie, la pitié, la bienveillance, l'amitié, l'amour du juste, du vrai, du beau; et par la tendance que suppose l'amour vers l'objet aimé, les mots de besoins, de désirs, de penchants, de passions, avec leurs divers modes et leurs nuances.

L'esprit s'empare du domaine qui lui est fourni par les sens et par la conscience; il démêle, dans chaque perception complexe,

les perceptions simples et particulières; il leur donne de la permanence en les nommant, il les réunit en groupe et leur affecte un nom qui lie toute la collection. Par divers points de vue, il décompose ensuite ce groupe artificiel en éléments qui n'ont point de modèle extérieur; et au moyen de signes qu'il leur impose, il les prépare à toutes les combinai. sons de l'intelligence et de la pensée. Tel est le caractère de l'abstraction de l'esprit ou de la réflexion qui pénètre plus ou moins dans l'exercice spontané des sens et de la conscience.

Jusqu'ici nous avons considéré la faculté d'abstraire en elle-même ou dans ses instruments; il nous reste à la considérer dans la nature des objets qu'elle tire de l'ordre réel pour les faire passer dans l'ordre intellectuel; ce second rapport va nous donner lieu de fixer la distinction des sciences d'observation et des sciences de raisonnement, et le caractère des sciences physiques et des sciences morales. Les faits de la nature et les faits de l'esprit sont d'un ordre entièrement différent; les premiers sont variables et d'une multiplicité que l'observation peut rarement apprécier; les seconds restent fixes du moment qu'ils sont enregistrés, et leur nombre est nécessairement connu. Pour qu'un fait naturel puisse devenir un fait intellectuel, il faut donc que le nombre des circonstances qui l'environnent soit donné et déterminé, que ces circonstances soient invariables ou du moins que leur variation puisse être appréciée, que le degré d'intensité de leur action soit susceptible d'être évalué, et que chacun de ces éléments puisse être amené à un tel état de simplicité qu'il soit représenté par des signes invariables. Alors en opérant sur les signes, on opère sur les faits, et l'on arrive à des résultats constants, absolus, et d'une évidence incontestable. Ainsi, considérant les corps comme des unités, nous les soumettons au calcul arithmétique; les considérant dans leurs dimensions, nous en tirons les constructions géométriques; les degrés du mouvement et ses directions nous donnent la mécanique; le mouvement et les inflexions de la lumière, l'optique; la propagation et l'intensité du son, l'acoustique; l'indication des événements d'après un nombre de causes connu, le calcul des probabilités. Les faits qui se dérobent au contraire à la fixité de l'attention, et qui ne peuvent se prêter à une détermination exacte de signes, ne sauraient passer entièrement du domaine de la nature dans celui de l'esprit ; ils ne sauraient tous être évalués en idées précises et déterminées. Ceux-ci ont pour fondement l'analogie, comme dans les sciences morales et politiques et dans presque toutes les branches des sciences physiques, ceux-là

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