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formées sur les bords des fleuves du sud et de l'ouest de l'empire russe. Le style en est un peu despotique; mais enfin, comme chacun est maître chez soi, la czarine pouvait mettre à l'asile qu'elle accordait le prix qu'elle jugeait convenable. Ce qui peut être ajouté comme une nouvelle preuve de cette irritabilité, de cette légèreté dans le caractère dont j'ai déjà parlé, c'est qu'en même temps que Catherine rendait des ukases aussi sévères, les salons de l'Ermitage retentissaient souvent du son de voix des enfans d'un émigré français nommé Esterhazy, qui chantaient devant la czarine la Marseillaise, Ça ira et la Carmagnole. La Marseillaise, admirable et sublime production, pouvait être sentie et comprise par des oreilles et même par un coeur despotiques, mais pour les deux autres, l'harmonie de la musique et la grâce de la poésie n'étaient pas assez séduisantes pour faire oublier à Catherine ce que les airs pouvaient signifier. Quant à la raison qui le lui faisait faire, je l'ignore. Je rapporte le fait brut, tel qu'il est; les commentaires ne me regardent pas.

Lorsque le comte d'Artois fut en Russie, il s'y rendit par terre. Il fut reçu à ROBSCHA par un négociant arménien qui avait acheté cette propriété. Cet Arménien, dont le nom était, je crois, Lazaroff, n'avait aucun protocole dont il suivît l'étiquette;

il ne demanda pas au prince fugitif s'il voulait connaître les convives qui auraient l'honneur de s'asseoir à sa table pour souper avec lui, parce qu'il était maître dans sa maison, et il résulta de cette négligence que le comte d'Artois soupa avec plusieurs républicains très-chauds et trèszélés. Ce fut peu de temps après que M. le comte d'Artois quitta la Russie pour se rendre en Angleterre '.

1 Voir les 35c et 36 vol. de la Revue de Paris.

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CHAPITRE VI.

Paris, la capitale du monde civilisé. - Affluence des Ang'ais et des Russes. Le continent ouvert aux Anglais.—Caractère de M. Fox, et anecdote sur lui. - Détails sur M. Pitt.

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Sa haine contre la France.-M. Fox et la dette d'honncur.—Le créancier confiant et payé.—Lord et lady Cholmondeley. La femme bengale. La duchesse de Gordon et les quatre filles duchesses. Miss Géorgina. Le deuil des fiançailles. Le premier consul et sa femme, scène de famille. Coquetterie du premier consul pour la France. Magnificence publique et économie privée.-Le bel habit de Bonaparte et les godelureaux. Louis de Périgord, le modèle des jeunes gens.-Projet d'un grand mariage.Bonaparte et le jeune vieillard, prédiction accomplie.-Les bons à payer biffés par Napoléon au bas des mémoires de couturières. Histoire racontée par le premier consul à sa femme. Luxe intérieur et petites économies. — La puissance des masses en toutes choses.

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PARIS était devenu ce que le premier consul rêvait pour sa grande ville, la capitale du

monde civilisé. L'affluence des étrangers était telle, que les logemens même les plus médiocres étaient d'un prix exorbitant, et pourtant payés sans contestation. Ma position de femme du commandant de Paris me mettait en présence de tout ce qui arrivait ayant quelque renom, et j'avoue que cette époque de ma vie m'offre un cadre où se placent les plus intéressans souvenirs. Les Russes et les Anglais sont les deux peuples qui marquèrent le plus dans cette représentation, où chaque personnage venait faire acte de présence sur la scène de notre monde, et prouver son mérite ou quelquefois le détruire par un seul mot lorsqu'il arrivait, comme cela se voit souvent, que ce mérite n'était qu'illusoire.

Les Anglais, affamés de voyages et privés depuis si long-temps de leur tour d'Europe, car depuis 1795, l'Italie, la Suisse et une partie de l'Allemagne leur étaient aussi interdites que la France; les Anglais, mettant dans l'expression de leur joie l'expression franche et loyale de leur caractère particulier, si grandement opposé à celui de leur cabinet cauteleux et trompeur, accouraient en foule, et se livraient même tumultueusement à tous les plaisirs que Paris et la France leur offraient avec une abondance que leur or ne pouvait trop reconnaître; tandis que la société de

bonne compagnie, qui commençait alors à se reformer, leur présentait un aussi grand nombre d'agrémens que leur esprit judicieux et observateur savait également apprécier, quoiqu'ils fussent d'un genre différent.

Parmi les Anglais qui venaient alors en troupe à Paris, il est des noms à jamais fameux qui surgissent dans le souvenir pour effacer presque tous les autres. M. Fox, par exemple, M. Fox est un de ces êtres qui font époque dans la vie pour marquer d'un sceau ineffaçable le jour où ils vous sont présentés. J'avais été élevée dans une sorte de respect pour M. Fox, si je puis me servir de ce terme de respect; mes impressions défavorables ou favorables me furent toujours inculquées par mon frère, dont je révérais les opinions; il n'avait pas, comme ma mère, une idée entièrement opposée à celle que devait avoir un esprit ayant assisté à toute la révolution. M. Fox, dont les belles qualités et le grand caractère 'étaient un sujet d'adoration pour la plus grande partie de ses compatriotes, devait, avec bien plus 'de raison, faire une vive impression sur de jeunes cœurs qui aimaient la révolution française dans son origine bienfaisante, qui l'aimaient dans ce qu'elle avait produit d'heureux et de grand, et non dans ses horribles déviations. Albert avait

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