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» se dit-il.... Mais n'importe: une journée est >> bientôt passée.

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Après avoir fait sa toilette, plutôt pour lui » que pour les hôtes qui l'attendaient, le jeune » voyageur se rendit rue de Rome, où était si>> tuée la maison de son banquier. Comme celui-ci » l'avait prévenu que sa femme ne logeait pas » dans la partie occupée par les bureaux, il de>> manda en arrivant à être conduit chez la maî» tresse de la maison. Plusieurs valets, mis avec » propreté et même avec richesse, lui firent tra>> verser un petit jardin rempli de fleurs rares et >> exotiques, et après l'avoir fait passer dans plu» sieurs pièces richement meublées, l'introduisi>> rent dans un salon où il trouva son banquier qui » le présenta à sa femme et à sa mère. La première » était jeune, l'autre n'était pas encore vieille, » et toutes deux portaient sur elles de riches » étoffes, de belles perles, de beaux diamans, >> attestant le florissant commerce du laborieux » et honnête chef de famille; lui-même n'était plus le personnage du matin; il semblait qu'il » eût laissé, au milieu de ses cartons poudreux, >> l'homme au bonnet de velours noir, à la robe de >> chambre de moleton. Le salon était rempli par quinze ou vingt convives dont les manières et >> le ton attestaient que cette maison était une des

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» meilleures, si elle n'était pas la première de la ville. >> On servit, et ce fut alors que le jeune homme >> en fut convaincu. Le dîner fut parfait, les vins » exquis; une argenterie magnifique couvrait la >> table avec une somptueuse abondance, et le jeune » voyageur se vit forcé de convenir avec lui-même qu'il n'avait jamais fait une chère plus délicate >> ni vu plus de magnificence; et ce qui acheva de » le confondre fut d'acquérir la certitude, par >> l'une des personnes qui étaient près de lui, que » le banquier donnait deux fois par semaine un » dîner semblable à celui qu'il voyait.

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» En prenant son café, il songeait à tout cela, » et ses jeunes idées se refusaient à un classement >> par conséquence et résultat, qui l'aurait amené » à comprendre aisément ce qu'il voyait.

>> - Jeune homme, lui dit son hôte, en lui frap» pant légèrement sur l'épaule, vous êtes rêveur... >> presque triste..... Auriez-vous mal dîné?...

Ou plutôt, le regard qui accompagnait ces paroles, et l'inflexion de la voix qui les pronon»çait, voulaient dire :

D

-Votre peur de mal dîner ne serait-elle pas » encore évanouie ?...

» Le jeune homme rougit, comme s'il eût en» tendu ces mêmes mots. Le bon financier se mit » à rire ; il l'avait deviné.

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» Je ne vous en veux pas, Monsieur.... Votre âge ne comprend pas comment on forme les » masses, seule et véritable force, soit qu'on la » fasse avec de l'argent, de l'eau, des hommes, il » n'importe; une masse est un mobile immense; >> mais il faut la commencer il faut l'entretenir... >> Jeune homme, les petits morceaux de papier » dont vous vous moquiez ce matin sont un des >> moyens que j'emploie pour y parvenir. »

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I

Voilà une belle histoire que tu viens de nous dire là, Bonaparte!» lui dit Joséphine en souriant. « Ce que j'y vois de plus merveilleux, c'est que tu as parlé pendant plus d'un quart d'heure, seulement à des femmes. »

<< - En vérité, je le savais bien,» répondit-il en clignant l'œil de notre côté. «Crois-tu que j'aurais >> ainsi prêché des hommes ?... Ils n'en ont jamais » besoin. »

Cette histoire, que j'ai entendu raconter pour la première fois au premier consul, a été fort connue depuis, et je crois qu'elle s'est répandue par mon propre fait. Il la racontait d'une manière fort laconique et en deux phrases. Mais le texte est celui-là. Une chose qui depuis m'a vivement frappée, c'est cette pensée des masses, comme force de tout genre à mettre en action.

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CHAPITRE VII.

Les vrais amis de Junot, et M. Billy van Berchem. Naissance illustre et modestie. Origine royale. Les bourguignons chez Junot. Les lettres de famille et déluge de recommandations. -Un nouveau venu et l'élégant de province. — Nouvelle mystification. — Musson et le général Boisvin. L'homme sourd et un boulet de 24.—Le jeu du cornet, et le nez en compote. Le mystifié et son compatriote d'Autun.-Les serviettes chaudes et les petits soins. -La mèche éventée, et l'esprit mal fait. Le duel et les balles de suif. L'affaire arrangée. - Comédies sur comédies.—Dîner chez Robert.-Regnault-de-Saint-Jeand'Angély improvisé. La nièce du préfet de Blois. - Le général Montéligier, et l'esprit bien fait.

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EN parlant des amis véritables de Junot, de ces amis qui se retrouvent au moment des souffrances et qui vous font bien répéter:

Qu'un ami véritable est une douce chose!

il en est un dont j'ai déjà tracé le nom ainsi que celui de son aimable femme, et que je trouverai doux de rappeler encore: c'est M. Billy van Berchem.

A l'époque de mon mariage, lorsque Junot me présenta ses amis, il me parla de ceux que j'ai déjà nommés, avec un accent du cœur qui persuade et se communique.

«Billy est le plus loyal et le plus excellent des hommes, me dit-il; quant à ses autres qualités, tu sauras les apprécier quand tu le connaîtras: et tu verras qu'il peut être à la fois un homme aimable, spirituel, ayant les plus excellentes manières, réunissant ce qui fait enfin un homme agréable dans le monde et même un homme à la mode, et avec cela demeurer un bon, franc et excellent

ami..

Junot avait raison. Je trouvai dans M. Van Berchem non-seulement un homme comme il faut et d'agréables manières, mais ayant de la bonté et de la sûreté dans les rapports. Je sus l'apprécier enfin, et ce que j'appris ensuite ajouta à mon estime pour lui.

<< C'est aussi un brave garçon, celui-là, disait Junot!... » Et dans sa bouche cet éloge valait un brevet.

Oui, répétait-il, c'est un solide garçon!»

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