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DE MADAME LA DUCHESSE

D'ABRANTES.

CHAPITRE PREMIER.

Bonaparte et les républiques. Rétablissement des trônes

et des rois. Le roi et la reine d'Étrurie à Paris.

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Il contino de Livourne. Fêtes et bals à Paris. La Toscane dans un jardin de Neuilly.-Fêtes chez MM. de Talleyrand, Chaptal, Berthier. Les boucles de souliers du Roi d'Étrurie. Les équipages espagnols. Personnages grotesques. - Le mal caduc du roi d'Étrurie. Une représentation d'OEdipe. - Lettres de la reine d'Étrurie à madame Bonaparte. Le nouveau roi jugé par le premier consul. - Paroles remarquables de Bonaparte. LA SOUVERAINETÉ DU PEU

Effet de l'eau de la Seine.

Séance du conseil - d'état.

PLE INALIÉNAble.

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Nous allons atteindre une nouvelle époque, fameuse dans notre histoire : c'est celle du rétablissement des trônes et de la religion. La fondation de plusieurs républiques fut l'ouvrage du général

Bonaparte, lorsque, simple chef d'une armée dont il n'était pas le maître, il s'élevait encore plus haut par sa modération que par ses victoires. Maintenant que sa main, plus puissante encore que par le passé, dirige la France et ses destinées, cette main, comme celle d'un imberbe, s'essaie à soulever une chétive couronne, un sceptre d'enfant, pour le remettre aux mains d'un homme incapable de régner; comme s'il voulait dire à la France entière, déjà désaccoutumée de la souveraineté :

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Voyez ce que c'est qu'un roi! n'en ayez pas peur. >>

Ce roi, qui en effet prêtait plus au ridicule qu'au respect, était le nouveau roi d'Etrurie, don Louis, infant de Parme, et mari de l'infante Maric-Louise-Joséphine, fille de Charles IV. Ils vinrent à Paris, au mois de mai 1801, pour remercier le premier consul de leur nomination à la couronne d'Etrurie, car c'était par suite d'une clause stipulée dans le traité conclu entre la France et l'Espagne le 21 mars à Madrid. Par ce traité, la France acquérait les états de Parme, et cédait la Toscane au prince de Parme, en lui donnant pour indemnité de l'héritage paternel celui de son oncle que nous lui avions enlevé. Mais le roi Louis I" était capable de ne pas savoir quel

était le souverain de la Toscane avant que ce malheureux royaume lui tombât en partage; et l'eûtil su, il ne m'est pas démontré qu'il l'aurait refusé.

Jamais je n'ai vu deux figures plus extraordinaires que celles de ces nouveaux souverains. Ils portaient le nom de comte et de comtesse de Livourne, et menaient avec eux un contino de Livourne qui, bien qu'il n'eût pas trois ans ac complis, valait à lui seul ses illustres parens. Mais qui ne l'a pas vu en habit habillé, chapeau à plumet sous le bras, épée à gros noeud de rubans à la garde, sa pauvre petite chevelure frisée, crêpée, retapée et enfermée dans une bourse; tandis que le royal petit personnage roulait dans les rues de Florence, dans une voiture de gala, seul, dans le fond du carrosse, attaché sur son coussin, attendu que sa majesté, n'ayant que cinq ans, roulait de droite à gauche comme une petite boule; et la reine douairière, sa mère, sur le devant, dans l'attitude la plus respectueuse : qui n'a pas vu ce spectacle n'a rien vu de ces bonnes scènes bien ridicules qui vous font rire à en avoir de la souffrance.

Quant à l'époque dont je parle, comme le roi son père vivait encore, le prince royal d'Etrurie se contentait de vous donner sa petite main à baiser, que vous la lui demandassiez ou non ; puis

de vous montrer fort indécemment ce qu'on est convenu de cacher, et cela parce qu'il avait la colique, disait son père. Quant à celui-ci et à la reine, j'ai déjà parlé de leur singulière tournure; et, en vérité, tous ceux qui, comme moi, se rappelleront leur arrivée et leur séjour à Paris en 1801, conviendront combien ils étaient dissemblables aux autres humains, surtout si l'on comparait sa majesté la reine à une jolie femme, et le roi à un homme ayant seulement une pensée.

Leur entrée dans Paris aurait seule suffi pour leur donner un manteau et une couronne de ridicule, au lieu des insignes royaux qu'ils y venaient chercher. Une fois vêtu et coiffé de la sorte, ce n'est pas chose facile de s'en défaire chez nous. Le Français, et le Parisien surtout, possède une arme terrible dans sa blessure; c'est bien pour elle, tout autant que pour la camarde, que Malherbe a dit

que

La garde qui veille aux barrières du Louvre

N'en défend pas nos rois !

Et s'ils sont ridicules, le trône sur lequel ils se croient élevés n'est qu'un lieu où ils sont juchés pour y être plus en vue, et plus vite reconnus habiles ou mal habiles.

Lors du traité de Madrid entre l'Espagne et la

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