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>> non pas vos plates sentences mises en mauvais >> vers..... Voulez-vous du sublime, vous et vos >> amis les théophilanthropes? eh bien! récitez l'o>> raison dominicale. »

Le premier consul parlait en ce moment à un tribun théophilanthrope, qui plaidait avec chaleur la cause de ses frères. A cette époque, le premier consul, fatigué de tout ce qu'on lui rapportait des réunions de ces nouveaux sectaires, voulait faire fermer le lieu de leurs assemblées et abolir cette religion. Le motif réel de cette détermination était le concordat fait avec le pape, et qui bientôt allait être rendu public: aussi, chaque fois qu'il en trouvait l'occasion, il la saisissait avec empressement, et tombait sans pitié sur cette religion en robe de chambre, comme il le disait lui-même. Le jour de cette sortie que je viens da rapporter, il y avait à la Malmaison plusieurs personnes auxquelles s'adressaient indirectement les paroles du premier consul; il y avait aussi un conseiller d'état, vivant encore aujourd'hui, et dont la pensée était toute contraire à la négociation de l'affaire du concordat. Jeune encore, nourri des beaux souvenirs de la révolution, il craignait que le retour d'un ordre profondément offensé ne devînt le signal d'une guerre interminable; il aurait au moins voulu que les clauses

d'un traité avec la cour de Rome fussent bien discutées. Et plus tard je l'entendis chez moi parler de ce qu'il aurait voulu dans cette circonstance, avec un rare talent, dans une conversation qu'il eut avec le cardinal Maury. Le jour dont je rappelle le souvenir, le premier consul lui adressa la parole avec une intention marquée d'engager une sorte de discussion que le conseiller d'état refusa sagement d'accepter. Le premier consul repritalors en souriant le sujet des théophilanthropes, et mit de l'humeur même dans ses expressions. Je me rappelle qu'il termina par une phrase bien remarquable, et qui prouvait à quel point il connaissait les hommes, les Français et son siècle.

&& Vos amis voudraient bien être martyrs,» dit-il au tribun et au conseiller d'état; mais >> ils n'auront pas cet honneur; il ne tom» bera sur eux que les coups du ridicule: et si >> je connais bien les Français, ces coups seront » mortels. >>

En effet, la mesure sévère employée contre eux, et qui dans le fait renfermait à elle seule toute une persécution sans en avoir l'apparence, fut d'ordonner la clôture des quatre temples qu'ils avaient dans Paris, et qui étaient les églises de Saint-Germain-l'Auxerrois, Saint-Gervais, Saint

Nicolas-des-Champs, et Saint-Sulpice'. Ils ne firent aucune résistance, et pour parler avec vérité, ils oposèrent une fort noble modération aux sarcasmes moqueurs et assez injurieux même, que le public leur prodigua. On les appelait filoux en troupe. Si cette modération ne fut pas un effet de la peur, et qu'elle ait été le résultat de leurs principes, elle fut d'autant plus remarquable qu'elle devint elle-même une des raisons qui amenèrent l'oubli de la théophilanthropie. Le vulgaire, qui compose en général les grandes masses d'un état, aime le merveilleux, les mystères. Cette religion, dépouillée de tout ce qui pouvait parler aux yeux et à l'imagination, pouvait être comprise par des hommes parfaitement raisonnables, mais ne pouvait parler au cœur d'une nation éminemment impressionable. Une bonne persécution en aurait fait l'affaire, et Lareveillère-Lépaux audire comme la Lisette de Molière,

rait pu

Qu'un amant mort pour nous, nous mettrait en crédit!

Heureusement, mais il n'en était rien. Personne ne

Les théophilanthropes avaient parcouru presque toutes les églises de Paris; ils ont tenu leurs séances dans SaintThomas-d'Aquin, Saint-Jacques-du-Haut- Pas, SaintEtienne-du-Mont, etc., etc.

voulait être pendu, brûlé ou noyé pour prouver la vérité et la bonté de la théophilanthropie. Deux auteurs, dont je ne me rappelle plus le nom, furent les seuls qui eurent le noble courage d'affronter une sorte de danger très redouté pourtant, même de ceux qui n'étaient pas théophilanthropes: ils publièrent deux ouvrages qui moururent peu de jours après leur naissance.

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La théophilanthropie a duré cinq années2. C'est un fort long temps pour une chose de cette nature. Car il est à remarquer que la religion catholique ne subit aucune réforme à son rétablissement. Elle avait été exilée de France comme une foule de principes, comme la morale, comme tout ce que quelques années nous avaient enlevé. Napoléon la ramena dégagée de tout fanatisme et

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Sur l'interdiction

1 Qu'est-ce que la théophilanthropie? du culte de la religion théophilanthropique ou naturelle. Les théophilanthropes furent détruits par un décret consu→ laire rendu le 12 vendémiaire an x (4 octobre 1801). Il leur fut défendu de se réunir dans les quatre temples qui leur restaient. Ils louèrent un local particulier, mais ils ne purent Ꭹ tenir également leurs séances. Voilà la persécution!... Eț tout est relatif: allez demander à M. de Latil, il vous dira qu'il fallait les pendre. A propos de cela, je vais rapporter dans le chapitre suivant une histoire arrivée dans une campagne m'appartenant.

pure cependant de toute altération. Le jour où le concordat fut publié, si l'on en excepte quelques personnes craintives, qui virent dans le retour de la religion, celui du clergé avec ses prétentions et ses vengeances, toute la France fut satisfaite. Il est donc surprenant que, la foi de nos pères n'ayant jamais cessé d'être dans notre cœur, nous ayons pu consentir à voir nos églises occupées par cette parodie de notre culte dans la partie enseignante; car la théophilanthropie n'était pas autre chose, n'avait pas une autre forme que celle renfermée dans un sermon, ou plutôt un discours, ou bien la contemplation d'une corbeille de fleurs ou de fruits. Au surplus, tout cela fondit comine la neige au soleil, sous une raillerie dédaigneuse et négative, et la chute toute tranquille de cette secte ne causa aucune commotion.

Le cardinal Consalvi, monsignor Spina (depuis cardinal-archevêque de Gênes), le père Caselli, aussi cardinal depuis cette époque, vinrent à Paris pour terminer les affaires du concordat. Je parlerai plus tard du cardinal Consalvi. J'étais trop jeune femme à cette époque pour le connaître et l'apprécier. Plus tard, et surtout pendant mon séjour à Rome, c'est alors que j'ai pu le juger. C'est aussi lorsque j'en serai à ce moment que

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