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ciples Gaetano Sardi, Domenico Piaftrini & Placido Coftanzi. On a reproché à Benedetto Lutti de n'avoir pas placé avantageusement ses figures, de maniére qu'une partie des bras & des jambes eft hors la toile: il a cela de commun avec Paul Veronese & Rubens qui pour rendre le fujet qu'ils traitoient & plus grand & plus majestueux, ont mis fur le devant de leurs tableaux des grouppes de gens à cheval, des bouts de têtes, des bras dont tous les corps & les jambes ne fe voyent pas.

Lutti étoit fpirituel dans la conversation; fes amis trouvoient en lui des maniéres polies qui en lui faisant rendre aux autres ce qu'il leur devoit, exigeoient d'eux à fon égard des confidérations & même du refpect. Il eftimoit & parloit bien en général de tous les peintres, mais il n'en fréquentoit aucun quoiqu'il fût le chef de l'académie de faint Luc; perfuadé que la vraie protection d'un grand peintre eft de bien faire, il ne connoiffoit nullement celle des grands qu'il ne vifitoit point & qui venoient auffi rarement le voir.

Les deffeins de Benedetto Lutti font affez rares en France; ils font prefque tous à la fanguine : on y trouve de la couleur & de l'expreffion, mais ils ne font pas toujours corrects. Ce peintre avoit eu pour objet la couleur, plus que la partie du deffein. Ses académies font fort eftimées & d'un beau fini : il n'y a aucune marque particulière qui puiffe diftinguer ce peintre d'avec les autres modernes; il faudroit avoir vû beaucoup de fes ouvrages & il n'y en a point en France.

On voit à Duffeldorf dans la galerie de l'Electeur Palatin, fainte Anne qui apprend à lire à la Vierge.

Il y a une communion de la Madeleine gravée d'après Lutti & une autre Madeleine pénitente dans le recueil de Crozat.

LUTTI.

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le GIORGION

GIORGION. (a) Fare il Giorgio, veut dire, faire le fanfaron. Sandrat. Acad. Pitt. p.118.lib.2.

P. 2.

(b) Che per cer

to fuo decorofo af

UR le bruit qui couroit que quelques peintres Grecs avoient été appellés à Venife, André Taffi quitta Florence & vint travailler avec eux en Mofaïque, on nomme parmi ces peintres un Apollonius: quoiqu'il en foit, les peintres Vénitiens fe font honneur d'avoir à petto fu detto Gior- leur tête le Giorgion : c'eft lui qui le premier a connu le bon coloris. Le bourg de Caftel Franco fitué dans le Trevifan a donné naissance à ce grand peintre en 1478. il s'appelloit ze della perfonna e Giorgio dont on a fait Giorgione qui felon un (a) auteur vient della grandezza de ce qu'il étoit fanfaron, fe difant de noble origine, quoiqu'il dell'animo chiama fût de baffe naiffance; d'autres (b) difent qu'il fut ainfi

gione.

Ridolfi. p. 77. (b) Dalle Fatez

to poi col tempo

ap

Giorgione. pellé à cause de sa figure aimable & de l'étenduë de fon efprit,

Vafari. p. 19 t. 2.

Le Giorgion fut élevé à Venise; son inclination fe détermina d'abord pour le chant & pour le luth dont il joüoit fi GIORGION. parfaitement, qu'il étoit admis dans les meilleures compagnies. Le deffein fut fa feconde paffion; il étudia fous Jean Bellin, & il fut camarade & enfuite maître du grand Titien: forti de l'école du Bellin qu'il ne tarda guéres à furpaffer, il se mit chez des marchands de tableaux à peindre des fujets de dévotion & des portraits: ce qui avança le plus le Giorgion dans la pratique de fon art, ce fut les ouvrages de Léonard de Vinci; il apprit à penfer comme lui & le beau maniment du pinceau de ce maître le rendit un très-grand peintre en peu de temps.

Le Titien charmé de l'effet de ce nouveau coloris, fe mit chez le Giorgion pour tâcher de l'imiter ; ce maître qui s'en apperçut, le congédia fur le champ de fa maison. Celui-ci retourna chez fes parens, où il peignit pour la paroiffe de Caftel Franco un faint George & un faint François d'une grande maniére, ainfi que plufieurs portraits.

Le Giorgion de retour à Venife s'avifa de peindre en dehors la façade de la maison où il demeuroit pour engager les Vénitiens à fuivre fon exemple: fon attente ne fut point vaine; on lui donna plufieurs façades où il épuifa les fujets des métamorphofes & des amours des Dieux. Il ne deffinoit rien que d'après nature, fon goût approchoit de celui de l'école Romaine, & il cherchoit moins à donner de la correction que de la rondeur à ses figures. Par fa maniére d'employer peu de teintes & de peindre avec une franchise qui imite la fraicheur de la chair, on croit voir paffer le fang dans les veines rien ne paroît fi facile que fon travail & fous la fonte des couleurs, il en a caché la plus grande partie.

Comme il difputoit avec des fculpteurs fur la prééminence de leurs arts, le fculpteur foutenoit qu'il avoit l'avantage de faire voir une figure de tous côtés, ce que la peinture ne pouvoit exécuter. Giorgion difoit qu'il pouvoit de même représenter une figure de quatre côtés tout à la fois. Il peignit à cet effet un homme nu vû par les épaules, & fur la teraffe du même tableau une fontaine claire qui réfléchiffoit fon vifage, il mit à gauche de la figure une cuiraffe très-polie où le voyoit un de fes côtés, & un miroir placé à droite expofa l'autre. Cette ingénieuse idée le tira

d'affaire. Sa réputation croiffoit de jour en jour malgré la jaGIORGION. loufie du Titien avec lequel il concourut dans plufieurs ouvrages. Il peignit à l'huile des demi-figures qui frappérent tout le monde & les portraits des Doges Barbarigo & Loredano font admirables: ces tableaux font d'une fi grande force & fon goût eft fi fier, & fi terrible, qu'on n'a pû jufqu'ici l'imiter parfaitement. On admire le relief de fes figures, l'harmonie de fes couleurs, le beau clair-obfcur qui y régne avec une grande vérité. Giorgion peignoit la chair, donnoit la vie, & même l'efprit à fes portraits: fes païsages ne font pas moins eftimés, la touche y égale la belle couleur.

que pittori, che fen

(a) Savemo che Un (a) auteur le nomme dans fes vers un des cinq premiers Le lettere vocal xè peintres Vénitiens, felon lui feuls coloriftes. Il lui a cepencinque cofi ghè cin- dant manqué de la correction, défaut affez ordinaire aux za la maniera d'un peintres de ce païs qui n'ont d'autre objet que le coloris : on de Lori certo nò fe pourroit même souhaiter dans les tableaux du Giorgion plus puol farequadro che val. L'un xè Titian d'expreffion, plus d'invention & une plus belle ordonnance. Dans le temps que le Giorgion étoit le plus appliqué à son 20 ; el quarto x'el art, & dans la force de fon age, la mort l'enleva à Venife Bassan, el quinto è en 1511. à l'âge de trente-quatre ans, ayant gagné la pefte Paulo el quel con le chez fa maîtreffe; d'autres attribuent fa mort au chagrin de sò man al mondo bà fe la voir enlever par un de fes difciples.

xè l'altro el tinto

retto, zorzon el ter

Sempre dà fomo di

Leto.

rime vento. 5. P. 344,

pour

Sébastien de Venise, dit Fra Sébastien del Piombo & le Bofchini nè fue Titien, font les feuls que l'on connoiffe fes éléves. On voit très-peu de deffeins du Giorgion; les uns font à la pierre noire, à la fanguine, d'autres à la plume maniée assez rudement avec des hachures répandues également par tout. On les reconnoît aux figures courtes, à la manière gotique dont elles font habillées, avec des toques & des plumets. Son goût n'eft pas des meilleurs, mais la couleur éclate de toutes parts, principalement dans fes païfages & dans fes portraits; ils font deffinés d'un crayon fondu, comme s'ils étoient eftompés.

Ses ouvrages à Venise font un portement de croix à faint Roch plufieurs Vierges dans les Eglifes.

Une Vierge avec le Jefus à Caftel Franco.

Plufieurs Vénus & Portraits répandus dans Venife, celui du Doge Loredano, de Jean Borgherini avec fon précepteur, de la Reine de Chypre, de Confalve Ferrand dit le grand ca

pitaine,

pitaine chez le Patriarche Grimani, David tenant la tête de

:

Goliath, celle d'un général d'armée, la tête d'un enfant avec GIORGION. des cheveux.

A Crémone dans l'Eglise de l'Annonciade on voit un saint Sébastien avec deux enfans tenant une couronne.

A Vérone un Chrift qui va au Calvaire avec plufieurs figures. Un Polypheme avec un chapeau qui lui fait une grande ombre fur le vifage.

A Rome un faint Sébastien demi-figure chez le Prince Aldobrandini, chez le Prince Borghése un David.

A la Madona di campagna de Plaifance, dans la coupole de la chapelle de fainte Catherine plufieurs faints prêchans

dans le défert.

Chez les religieuses de l'Annociata de Crémone un faint Sébastien.

Dans la galerie de l'Archevêché de Milan un Moïfe tiré des eaux, avec quantité de figures de la fuite de la Princeffe & un beau fond de païfage.

Dans la galerie Ambrofianne un concert de mufique.
Dans celle du Grand Duc le portrait de Luther.

Dans la galerie du Duc de Modéne plufieurs têtes fort belles. A fan Michaele à Parme faint Geminian & faint Michel, & au-deffus la Vierge, le Jefus, faint Jofeph & quatre anges d'une grande force de couleur.

Le Roy pofféde du Giorgion un faint Sébastien avec la Vierge, la Paftoralle, Hérodias tenant la tête de faint Jean, le portrait de Gafton de Foix, un autre portrait d'homme, deux joueurs de violon, la Comédie fous la figure d'une femme.

On voit au palais Royal un cavalier bleffé, au pied d'un Autel, l'Amour piqué par une abeille, le portrait de Gaston de Foix, faint Pierre martyr, le portrait de Pic de la Mirandole, une adoration des bergers demi-nature, l'invention de la vraie croix, Milon Crotoniate qui veut féparer un gros tronc d'arbre en deux, figure nuë plus grande que nature; le portrait du Pordenon fous la figure de David, grand comme nature.

On trouve fept eftampes gravées d'après le Giorgion dans la galerie de l'Archiduc Léopold par Van Keffel, Troien, Boël, & L. Vosterman; il y en a encore quelques-unes dans le cabinet de l'Empereur, dans les tableaux du Grand Duc & trois dans le Cabinet de Crozat,

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