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non dans les croyances... » Encore une fois, que pouvan-on demander davantage, en 1548, au petit-fils de la catholique Isabelle, vainqueur, absolu, tout-puissant? Lui demander plus, c'était tomber dans l'erreur que commit un très-grand esprit, l'empereur Napoléon, quand il disait à Sainte-Hélène, s'il faut en croire les auteurs du Mémorial :

« François 1er était placé véritablement pour adopter le protestantisme à sa naissance et s'en déclarer le chef en Europe. Charles-Quint, son rival, prit vivement le parti de Rome; c'est qu'il croyait voir là un moyen de plus d'obtenir l'asservissement de l'Europe. Si François Ier eût embrassé le lutheranisme, si favorable à la suprématie royale, il eût épargné à la France ses terribles convulsions religieuses... Malheureusement François Ier ne comprit rien de tout cela; car il ne saurait donner ses scrupules pour excuses, puisqu'il s'allia avec les Turcs et les amena au milieu de nous. Tout bonnement, c'est qu'il n'y voyait pas plus loin. Bêtise du temps, inintelligence féodale! François Ier, après tout, n'était qu'un héros de tournoi, qu'un beau de salon, un grand homme pygmée!... » (17 août 1816.)

M. Saint-Hilaire, qui nous donne cette citation, un peu étrange dans un récit historique, reconnaît pourtant que « l'arrêt est sévère » en ce qui concerne François Ier; et je n'ai pas besoin de dire que je suis de son avis. Si quelqu'un a pu jamais établir le lutheranisme en France, c'est bien Napoléon, quand il releva les autels. Pourquoi ne le fit-il pas? Pour toutes sortes de bonnes raisons, qui étaient cent fois meilleures encore au temps du roi-chevalier. François Ier, embrassant le protestantisme en 1535, et voulant l'imposer à ses sujets, aurait fait cabrer toute la France. CharlesQuint eût-il été mieux avisé si, à l'époque du concile de Trente, il eût donné à l'Allemagne ce grand concile « chré

tien, libre et allemand, »> c'est-à-dire luthérien, que les réformés demandaient depuis vingt ans, et s'il se fût emparé du rôle répudié par François Ier? En d'autres termes, Charles-Quint, non content de transiger avec la Réforme, devaitil l'adopter et la patronner pour son propre compte? M. Saint-Hilaire adresse cette question à l'empereur d'Allemagne c'est au roi d'Espagne à répondre...

M. Saint-Hilaire s'est très-peu occupé du roi d'Espagne dans le cours de son septième volume. Il le suit pourtant, mais comme à regret, dans ses deux expéditions africaines, à Tunis, puis à Alger; et il raconte, sans y prendre beaucoup de goût, la conquête du Mexique et celle du Pérou. Son cœur n'est pas là. « L'Espagne, dit Voltaire, n'est qu'un accessoire à ces annales de l'Empire. » M. Saint-Hilaire a trop souvent oublié cet accessoire. Ce serait là un défaut de son livre, si ce n'était aussi le tort de la politique de CharlesQuint. Charles-Quint aime l'Espagne, mais le Nord l'attire; il aime l'Espagne pour la maîtriser, il est vrai, et pour la il court dépenser au loin les trésors qu'elle lui prodigue et qui ne lui suffisent pas, on le sait, son ambition l'obligeant à accepter de l'argent de toute main, aussi bien du roi d'Angleterre que du Pape. Quoi qu'il en soit, il oublie l'Espagne, et M. Saint-Hilaire ne s'est pas cru obligé de s'en soucier, cette fois, plus que son roi lui-même. Je lui sais gré pourtant de nous avoir communiqué, d'après Sandoval, une anecdote faite pour dérider, comme on dit, la gravité de l'histoire, et aussi pour jeter quelque jour sur ces inconvénients de l'absence dans un roi d'Espagne.

rançonner;

....

«< L'Empereur, un jour, à la chasse près de Madrid, se sépara de son cortège et s'acharna tellement à la poursuite d'un cerf, qu'il finit par le tuer. Un vieux paysan passait sur la grande route avec son âne chargé de bois. Charles lui propose de jeter bas le bois et de charger le cerf sur l'âne jus

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qu'à la ville, en offrant de payer plus que le bois ne valait. « Vous me la baillez belle dit le paysan në se doutant «< guère à qui il avait affaire; ne voyez-vous pas que le cerf «< à lui seul pèse autant que l'âne et le bois tout ensemble? « Vous auriez plus tôt fait, vous qui êtes jeune et alerte, « de le charger sur vos épaules. » L'air dégagé du rustaud plut au roi, qui se mit à causer avec lui, en attendant la chasse. « Combien de rois as-tu déjà connus? lui dit-il. « Ah! je suis bien vieux, reprit le laboureur, car j'en ai « connu cinq, depuis le roi don Juan II, qui mourut avant «que j'eusse barbe au menton, jusqu'à ce Carlos qui règne « aujourd'hui. Et dis-moi, mon brave homme, reprit « l'Empereur, selon toi, de tous ces rois quel a été le meil«leur, et quel le plus mauvais? -Oh! le meilleur, répliqua l'ancien, il n'y a pas à hésiter, c'est don Fer« nando; aussi l'a-t-on appelé le Catholique. Quant au plus <«< mauvais, tout ce que je peux dire, c'est que celui que « nous avons me semble assez mauvais comme cela; car il «nous tient toujours en souci, et y est lui-même ; il se pro« mène sans cesse d'Italie en Allemagne, et d'Allemagne en <«< France, et emporte avec lui tout l'argent de l'Espagne. « Enfin, au lieu de se contenter de ses revenus et des tré«sors des Indes, qui suffiraient à conquérir mille mondes, «< il met encore de nouveaux impôts sur les pauvres labou<< reurs comme nous; il n'aura pas de repos qu'il ne nous « ait ruinės. Plût à Dieu qu'il se contentât d'être roi d'Es«<pagne, et il serait encore le souverain le plus puissant du << monde. >>

« Cette naïve expression des sentiments populaires ne déplut pas à Charles-Quint. Il continua à causer avec le paysan jusqu'à l'arrivée de son cortège, et entendit, en une demi-heure, plus de bonnes et franches vérités qu'on n'en disait en dix ans à sa cour. Puis, quand les gentilshommes vinrent s'incliner devant le monarque, le manant reconnut

un peu tard à qui il avait eu affaire : « Ainsi, c'est donc vous «< qui êtes le roi ! » s'écria-t-il d'un air de regret. Et comme Charles-Quint le rassurait d'un air de bonté : « Ah! pardieu! «ajouta-t-il, si je l'avais su, j'en aurais dit bien d'autres ! » Et l'Empereur, cette fois, ne demanda pas son reste. »

Il y avait bien quelque chose à répondre cependant, si ce n'est à ces naïves doléances du paysan espagnol, tout au moins à ceux qui reprochent à Charles-Quint l'abandon où il a trop souvent laissé l'Espagne. L'Espagne était la moins vulnérable des immenses possessions qu'il avait à conserver et à défendre. Au delà des Pyrénées, personne ne songeait à lui disputer la prééminence. Partout ailleurs, il fallait se montrer. Charles s'y résigna assez tard, puisqu'il ne commença pas à faire sérieusement la guerre en personne avant trente-deux ans. Depuis cette époque, aucun souverain de l'Europe ne remplit plus résolument son rôle de roi. J'ajoute qu'aucun autre n'eût mieux compris, en présence de la Réforme, quel était le vrai rôle d'un empereur d'Allemagne. Charles cède et transige sans cesse sur le terrain où on peut croire que sa conscience s'y refuse le plus, sur le terrain religieux. Il cède tant qu'il est le plus fort. Il cède même encore quand on l'a obligé à livrer et à gagner une grande bataille. Vaincu, il résiste aux exigences de ses adversaires; et c'est alors qu'un jour, au moment de quitter son palais d'Inspruck, pour échapper aux approches de Maurice, il écrit à son frère cette lettre admirable, que l'histoire a recueillie : «< Me voyant en nécessité de recevoir une << grande honte ou de me mettre en un grand danger, j'aime « mieux prendre la part du danger, puisqu'il est en la main << de Dieu d'y remédier, que d'attendre celle de la honte. »

.....

M. Saint-Hilaire rend volontiers justice à Charles-Quint, quand il est vaincu. Il l'admire, refusant les conditions des protestants vainqueurs, pendant les préliminaires de Passau: « ..... C'est là, dit-il, le plus beau moment de la vie de

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Charles-Quint! Nous l'avons vu heureux, triomphant, abusant de son triomphe; nous ne l'avons jamais vu si grand ; car sa grandeur est à lui, non à la fortune. Tout lui manque à la fois; il ne se manquera pas à lui-même. On a déchiré sa trame; il la recommencera, mais il ne cédera pas... >> Ainsi M. Saint-Hilaire devient juste pour Charles-Quint, quand il ne craint plus pour la Réforme ; lente justice, réhabilitation tardive ! Qu'importe? il est toujours temps d'être juste. M. Saint-Hilaire a retrouvé dans les dernières pages de son livre les principales qualités de l'historien, l'indépendance et l'impartialité. Dans tout le reste, il a peut-être trop souvent mêlé à ses jugements les préventions qui maîtrisaient sa conscience; mais il a animé son récit de toute l'ardeur de sa foi. La critique devait s'en défier; les lecteurs du septième volume ne s'en plaindront pas. Il n'y a guère, littérairement, d'inspiration meilleure que celle d'une idée dominante dans un cœur honnête. M. Saint-Hilaire n'aurait pas sacrifié la vérité à un système. S'il s'est trompé, c'est avec toute l'innocence et aussi avec toute la vivacité du sentiment religieux.

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