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y eut, dit l'auteur, un piége qu'Ozanam n'évita point... Oserai-je dire, quoique Dieu l'ait absous en bénissant son union, qu'il était encore bien jeune (il avait trente ans) pour une félicité si ennemie des grandes muses... » Les muses des anciens étaient vierges. Celles de la France moderne sont laïques. Elles épousent le siècle, et elles n'en sont pas moins pures pour unir à l'adoration de Dieu le culte de la raison, de l'humanité et de la liberté.

1. . Prosit mihi vos dixisse puellas, a dit Juvénal.

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Notre siècle a découvert tant de choses qu'il n'est pas prouvé qu'il ne finira pas par découvrir aussi quelque recette infaillible et universelle pour ne pas mourir. Il a supprimé l'espace, il est en train de supprimer la douleur. Pourquoi ne supprimerait-il pas la maladie et même la mort? Voici, en attendant, un savant du premier ordre, un secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, un des hommes les plus autorisés et les plus écoutés dans toutes les questions qui se rattachent à l'histoire naturelle et à la physiologie comparée, voici M. Flourens, un érudit de beaucoup d'esprit et un homme d'esprit de beaucoup de sens, qui ajoute, de son autorité privée, tout un quart de siècle à la vie humaine; qui fait ce miracle sans bruit, sans fanfares, et même sans injures à l'adresse du prochain, avec assurance et simplicité, et qui en donne de si bonnes raisons, qu'il n'est pas nécessaire, pour le croire, d'y mettre toute la complaisance que nous avons si facilement pour, ceux qui nous flattent. Il est difficile en effet de lire le livre de M. Flourens et de ne pas se croire, après l'avoir lu, un peu plus immortel qu'auparavant.

On a longtemps discuté sur la durée probable de la vie. humaine; et les moyennes que la science et la statistique en

* De la Longévité humaine et de la quantité de vie sur le globe (Paris,

ont données tour à tour ont varié suivant les époques. « En général, disait Voltaire, l'âge commun auquel l'espèce humaine est rendue à la terre, dont elle sort, est de vingt-deux å vingt-trois ans tout au plus, selon les meilleurs observateurs. De mille enfants nés dans une même année, les uns meurent à six mois, les autres à quinze; celui-ci à dix-huit ans, cet autre à trente-six, quelques-uns à soixante; trois ou quatre octogénaires, sans dents et sans yeux, meurent après avoir souffert quatre-vingts ans. Prenez un terme moyen chacun a porté son fardeau vingt-deux ou vingttrois années 1... » Ainsi vingt-deux ans en moyenne, voilà ce que Voltaire accordait à l'humanite il y a un siècle. Il est vrai qu'il en parlait bien à son aise. Quand il marquait ainsi la limite de la vie humaine, Voltaire approchait de quatrevingts ans, et il n'avait jamais eu plus d'esprit. De son côté Buffon disait, presqu'au même temps, que la vieillesse est un préjugé; que si nous nous sentons vieillir, c'est la faute de notre arithmétique. « L'homme qui ne meurt pas de maladie, ajoutait-il, vit partout quatre-vingt-dix ou cent ans. » - «Si l'on observait les hommes, dit-il ailleurs, on verrait que presque tous mènent une vie timide et contentieuse, et que la plupart meurent de chagrin... »

Quoi qu'il en soit, et en prenant un milieu entre cette limite impitoyable que Voltaire assignait à l'humanité, et cette longévité exceptionnelle que Buffon lui accordait sans trop dire comment, la science était parvenue de nos jours à une conclusion plus équitable et plus vraie sans doute. Elle fixait, si je ne me trompe pas, la moyenne de notre vie à trente-cinq ans; et nous en étions là, tous tant que nous sommes, plus ou moins résignés à notre sort, et prenant le plus que nous pouvions, du moins par l'espérance, la part du voisin, quand M. Flourens est arrivé avec son livre qui

Dictionnaire philosophique, art. Age.

ouvre toute une carrière nouvelle à cette passion de longėvité, chimère et tourment de la vie humaine, et qui, subordonnant la statistique à la physiologie, relègue ainsi tout le vieil attirail de notre arithmétique sur le second plan.

Il faut se contenter de faire l'exposition de ce système de M. Flourens; car, si extraordinaire qu'il soit, si conjectural qu'il paraisse, il n'appartient qu'aux savants de profession et d'inspiration de le discuter. M. Flourens fait à l'humanité un cadeau d'apparence si magnifique, que, dût-on compter plus tard avec lui, il faut commencer par lui rendre grâce; et les critiques de la littérature sont bien placés pour remplir, sous toute réserve de la part des savants, ce premier rôle de gratitude et de courtoisie. Laissons donc la parole un moment à M. Flourens. Ne discutons pas. Tout le monde sait que le secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences. met un talent de style d'uné rare distinction au service d'une sagacité fort inventive. Il y a donc double profit à l'écouter. Il est de ceux qui vous charment avant de vous convaincre. Si la conviction n'arrive pas, le plaisir reste.

Posons d'abord ce que nous demandons la permission d'appeler le principe générateur de toute la doctrine biologique de M. Flourens :

La durée normale de la vie d'un homme est d'un siècle.

... Une vie séculaire, voilà donc, ajoute l'auteur, ce que la Providence a voulu donner à l'homme. Peu d'hommes, il est vrai, arrivent à ce grand terme; mais aussi combien peu d'hommes font-ils ce qu'il faudrait faire pour y arriver? Avec nos mœurs, nos passions, nos misères, l'homme ne meurt pas, il se tue... »

Comment M. Flourens est-il arrivé à ce résultat, si positif et si hardiment formulé, de quinze ans de recherches persévérantes et d'expériences infatigables? Le voici Buffon

avait posé un problème dont il n'avait pu donner rigoureusement la solution: M. Flourens l'a trouvée. Buffon avait dit : « La durée totale de la vie peut se mesurer en quelque façon par celle du temps de l'accroissement... » Puis il avait donné à la croissance humaine tantôt trente ans 1, tantôt quatorze 2, faisant durer l'homme de quatre-vingt-dix à cent ans dans les deux cas. On le reconnaît à cette incertitude de ses prémisses: une chose manquait à Buffon, comme le remarque très-bien M. Flourens, c'est d'avoir connu le signe certain qui marque le terme de l'accroissement. « Je trouve ce signe, dit simplement et victorieusement M. Floudans la réunion des os à leurs épiphyses. »

«... Tant que les os ne sont pas réunis à leurs épiphyses, l'animal croît dès que les os sont réunis à leurs épiphyses, l'animal cesse de croître.

« On a vu, par mon précédent chapitre, que, dans l'homme, cette réunion des os et des épiphyses s'opère à vingt ans.

« Elle se fait, dans le chameau, à huit ans; dans le cheval à cinq; dans le bœuf, à quatre; dans le lion, à quatre; dans le chien, à deux; dans le chat, à dix-huit mois; dans le lapin, à douze; dans le cochon d'Inde, à sept, etc., etc.

<«< Or l'homme vit quatre-vingt-dix ou cent ans; le chameau en vit quarante; le cheval, vingt-cinq; le bœuf, de quinze à vingt; le lion vit environ vingt ans ; le chien, de dix à douze; le chat, de neuf à dix; le lapin vit huit ans; le cochon d'Inde, de six à sept, etc., etc.

«Le rapport indiqué par Buffon touchait donc de bien. près au rapport réel. Buffon dit que chaque animal vit à peu près six ou sept fois autant de temps qu'il en met à

1 Histoire des animaux, t. II, p. 74.

2 Histoire du cheval.

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