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bles, non pas à un de ces rajeunissements partiels dont je cite quelques exemples (dans mon avant-propos), mais à un rajeunissement total, ou du moins à une restauration des forces de l'économie entière... >>

"

..... L'été passé, dit à son tour un physicien de Lyon, M. Beckensteinher, sur une quantité de papillons de vers à soie éclos, je pris une partie de mâles et autant de femelles qui étaient près de périr (de vieillesse). J'électrisai les mâles positivement pendant quinze minutes..... Après cinq à six minutes d'électrisation, les mâles sortirent de leur engourdissement léthargique et remuèrent les ailes... Je les réunis aux femelles qui avaient déjà pondu leurs œufs; un nouvel accouplement partiel eut lieu. Les femelles, presque expirantes, se ranimèrent et vécurent encore pendant trois jours

avec les mâles électrisės........... »

«Quoique ce fait, ajoute l'auteur 1, ait rapport à des êtres bien éloignés de l'homme, il n'en a pas moins une grande valeur physiologique, et il n'en doit pas moins être considéré comme le rajeunissement très-complet d'animaux réduits par l'âge à un véritable état de décrépitude............. »

Certes, nous voilà bien loin des idées et des théories de M. Flourens. Mais, n'est-il pas permis de le dire? dans le système du docteur Turck comme dans celui de M. Flourens, c'est la nature qu'on pousse à bout, ici par la science, là par l'empirisme (je prends ce mot dans son meilleur sens). Le procédé est différent, le résultat est le même.

Voilà pour le fond du système de M. Flourens, si par hasard et par impossible j'avais raison, moi simple critique, contre lui, savant illustre. Quant à sa diététique, quant à cette foi un peu idolâtre des partisans exclusifs de la sobriété dans la puissance du régime, ne semblent-ils pas, parlons

Le docteur Turck, dans son livre De la Vieillesse, p. 51-52.

franchement, réduire toute la vie humaine à une question de digestion? N'arrivent-ils pas au matérialisme par l'excès de la prudence, à l'égoïsme par une exagération de sagesse? La raison calme peut être aussi chimérique que l'imagination exaltée. En supprimant la passion dans la vie de l'homme, en mettant son cœur au régime et son esprit à la diète, est-on beaucoup plus près de la nature et de la vérité que si on l'affranchissait sans mesure, que si on le délivrait de tous les freins respectables? Ou je me trompe fort, ou ces philosophes si satisfaits et si prévoyants, à qui la sagesse est si douce, la prudence si naturelle et la vieillesse si facile, sont presque toujours des hommes à qui tout a souri et à qui tout a réussi sur la terre. Et Lucrèce nous a représenté, dans son poëme, ces temples que les sages se dressent à eux-mêmes dans la tranquille sérénité de leur âme,

Edita doctrinâ sapientûm templa serenâ,

et d'où ils contemplent sans péril pour eux, et comme du rivage de la mer un jour de tempête, la misérable humanité en proie aux orages et aux détresses de la vie.

C'est peut-être dans un de ces temples que le livre de M. Flourens a été écrit; livre excellent, après tout, substantiel et vif, hardi par l'intention, tempéré par la forme, supérieur par la morale, auquel je ne reproche (mais c'est notre faute, non celle de M. Flourens) que d'être chimérique avec gravité.

III

Le César de Montaigne.

I

16 MARS 1856.

Un jour, il y a longtemps de cela, ce bon M. Parison, qui était un savant modeste et un chercheur infatigable, trouva sur le quai un affreux petit volume relié en basane qu'il paya quatre-vingt-dix centimes. Ce volume était le César de Montaigne, qui vient d'être vendu quatre-vingt-dix louis1 aux enchères de la bibliothèque de M. Parison.

Pour apprécier la joie que dut éprouver notre savant, quand il se vit en possession de ce bouquin incomparable, il faut avant tout se rendre bien compte de ce qui se passe dans l'âme d'un vrai bibliophile quand il découvre un trẻsor. D'abord « l'inventeur » d'un trésor de cette sorte n'a rien à démêler avec l'article 716 du Code civil, lequel dispose: « ..... Si le trésor est trouvé dans le fonds d'autrui, il appartient pour moitié à celui qui l'a découvert, et pour l'autre moitié au propriétaire du fonds. » Le trésor que découvre un bibliophile est bien à lui; et il y a une bonne raison à cela: ce n'est pas seulement sa découverte, c'est son inven

Le César (Cæsaris Commentarii, 1570, petit in-8° bas., n° 1,908 du catalogue) a été acheté 1,550 fr. par M. Techener pour le compte de M. le duc d'Aumale, non compris les frais de vente et de commission; soit à peu près 1,800 fr.

tion, presque son œuvre. Si M. Parison n'avait pas été un lettré de premier ordre, un habile déchiffreur de vieux manuscrits et un collectionneur à outrance, si même il n'eût appartenu, bien avant la création du mot, à cette classe d'érudits qu'on appelle aujourd'hui assez gauchement des montaignologues; si M. Parison n'avait pas réuni tous ces avantages, il n'aurait pas sans doute attaché plus de prix au César de Montaigne que l'étalagiste qui l'estimait si peu, et le précieux volume serait peut-être encore enfoui, à l'heure qu'il est, dans quelque coin poudreux d'une arrière-boutique ou dans quelque armoire aux rebuts.

Et puis, ce n'est pas seulement le goût des lettrés qui fait le prix des livres; c'est la fortune, bonne ou mauvaise. Habent sua fata... Les livres ont leur destinée, les bibliophiles ont leurs caprices; la mode a sa tyrannie, et les érudits baissent parfois la tête comme de simples mortels devant cette reine des salons et des boudoirs. La mercuriale des ventes est sujette à de singulières variations, et la Bourse elle-même n'a pas un cours plus incertain et plus chanceux. Citons en passant quelques dates. De 1808 à 1811, la vogue est aux belles éditions des classiques de l'antiquité; en 1815, elle revient aux vieux livres, gothiques français, imprimés sur vélin, manuscrits avec miniatures, reliures anciennes, ouvrages armoriés. Les Anglais, qui avaient profité d'une trêve pour faire une invasion bibliographique en France après le traité d'Amiens, profitent de la paix pour recommencer la campagne après la Restauration, et ils emportent dans leurs châteaux ces dépouilles opimes qui y sont encore, sous la protection du droit d'aînesse. En 1822, hausse subite des Elzevirs, qui dure plus de quinze ans; puis, vers 1837, pendant que les Elzevirs retombent en baisse, et que les classiques grecs latins sont calme plat, comme disait Nodier, les romans de chevalerie, les mystères et les vieux poëtes sont plus que

et

jamais demandés1. » Depuis vingt ans, même variation. dans la fortune des livres; même inconstance dans le goût et dans le prix des reliures. J'ai connu un amateur (le premier de tous!) qui « déshabillait » impitoyablement tous les vieux livres qui lui tombaient sous la main, sans égard pour les chefs-d'œuvre d'un art plutôt rajeuni que surpassé. J'en connais d'autres qui croiraient déshonorer un maroquin vieux de trois ou quatre siècles s'ils y laissaient mettre la plus légère couche d'or ou de vernis. Qui peut dire les destinées si diverses des Gascon, des Dusseuil, des Derome, des Pasdeloup, des Bradel, des Bozerian? Qui ne sait ce que deviennent souvent, sur le marché, les magnifiques veaux fauves, les vélins satinés, les tranches-files métalliques, les charnières dorées, les brillants écussons qu'admiraient nos pères?

Comment en un plomb vil l'or pur s'est-il changé ?

Comment ce qui avait coûté si cher tombe-t-il à rien? Ou pourquoi ce que vous aviez payé un écu en vaut-il tout à coup cinquante pour avoir vieilli? Tantôt une indifférence sans pitié, tantôt un engouement sans raison. L'amour n'est ni plus capricieux, ni plus passionné, ni plus prodigue. «... Je trouve également naturelle, disait Nodier, l'élégante prodigalité du curieux qui enrichit le Virgile d'Alde et l'Horace d'Elzevir d'un vêtement somptueux, et celle de l'amant qui suspend une rivière de diamants aux épaules de sa maîtresse. La bibliomanie est peut-être encore de l'amour. Une bibliothèque de luxe est le harem des vieillards... » Soit! pourvu que les trésors qu'on y rassemble n'y soient pas possėdės par des eunuques.

Revenons à Montaigne. J'ai montré la mode à peu près

Du prix courant des livres rares dans le Bulletin du Bibliophile. Paris, mars 1837.

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