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à exiger des autres le respect qu'ils ne gardent pas pour eux-mêmes, et à demander pour leurs gouvernements au dehors la considération qu'ils leur refusent au dedans! Quoi qu'il en soit, Sobieski ressentit vivement l'outrage, et il s'en plaint, dans sa correspondance familière, avec une amertume touchante : " Aujourd'hui, » écrit-il à sa femme, celle qu'il ne manque jamais de nommer la seule joie de son âme, sa charmante et bien-aimée Mariette, a aujourd'hui (septembre 1683), nous avons l'air de pestiférés que tout le monde évite, tandis qu'avant la bataille (de Vienne) mes tentes, qui, Dieu merci! sont assez spacieuses, pouvaient à peine contenir la foule des arrivants... Et maintenant il ne nous reste plus qu'à gémir en voyant périr notre armée, non pas sous les coups de l'ennemi, mais par la faute de ceux qui nous doivent tout... Tekeli veut s'en remettre entièrement à ma décision. J'en ai fait part l'empereur; mais je vois qu'il ne se soucie plus de moi. Ils en sont revenus à leur ancienne fierté; ils ont l'air même d'oublier qu'il y a un Dieu au-dessus d'eux!... » C'est ainsi que s'exhalait, dans une confidence familière, l'indignation du héros. En public, il souriait à l'outrage. A Louis XIV, qui avait pris fait et cause pour le Turc, comme on disait alors, il adressait ses félicitations de la délivrance de Vienne, comme au fils aîné de l'Église et au roi trèschrétien. A Léopold il disait, en recevant sa vaniteuse et ingrate visite sur les glacis de Vienne délivrée : «Sire, je suis bien aise de vous avoir rendu ce petit service. C'était se venger en homme d'esprit, si ce n'était en roi.

Tout le monde sait comment finit la longue histoire du roi Sobieski; ou plutôt on ne le sait bien qu'après avoir lu le livre de M. Salvandy, qui est rempli de révélations curieuses sur ce qu'il appelle la fin du règne et de la maison de Jean III. Rien n'est plus dramatique et plus dramatique

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ment raconté. La fin des Atrides est plus horrible; elle n'est pas plus triste. C'est la différence de la fiction à la vérité. Sobieski traîne longtemps son impuissante vieillesse entre les mutineries de ses nobles et les querelles de sa maison. Ces dissensions lui survivent, et il lègue, comme Alexandre, la guerre civile et le partage à son pays et à sa famille: sanguine parentabitur !... Lui mort, les portes de son palais sont outrageusement fermées à sa dépouille, et le libérateur de Vienne attend pendant trente-six ans un tombeau. Sa race est dispersée. L'hérédité qu'il avait rêvée pour ses fils, la seule de ses pensées peut-être qui n'eût pas la grandeur de la Pologne pour objet, ce rêve de sa faiblesse conjugale va rejoindre dans le néant qui les a tous engloutis tant de projets avortés. La trop charmante et trop bien-aimée Mariette va cacher dans un exil inquiet la honte désormais trop publique d'avoir trompé l'affection du héros et trahi sa mémoire...... « D'où vient, dit M. de Salvandy en finissant, d'où vient que cet homme si bon et si grand a eu l'âme rongée de chagrin ; que les affections ́et la puissance, que la vie publique et la vie privée lui ont été également amères; que ses fils grandirent sous ses yeux dans ces lâches désordres qui les ont perdus; qu'envié du monde il a vécu, il est mort dans le désespoir?.. Est-ce un de ces caprices de la fortune qui étonnent la conscience? Non; Jean Sobieski avait eu un grand tort dans sa vie, et sa vie l'a expié. Quand il poursuivit, quand il obtint la main de l'éblouissante madame Zamoyska, il n'y avait pas trois semaines que le généreux Zamoyski, dont la tendresse avait élevé Marie d'Arquien au comble des honneurs et de la fortune, venait de descendre au tombeau; sa cendre n'était pas froide encore. Jean devait se dire qu'une femme si prompte à mettre en oubli et à outrager l'homme qui lui dévoua sa vie n'était pas digne d'un autre amour; qu'elle flétrirait toute son existence au lieu de l'honorer

et de l'embellir; qu'elle mettrait au sein de ses enfants les poisons dont le sien était rempli, qu'elle saurait méconnaître quelque jour son nouvel époux comme elle insultait au premier.... La passion aveugla Sobieski; et de tous les événements celui-là est assurément le plus digne d'excuse aux yeux du monde ! Mais il est des hommes qui ont le devoir de se montrer élevés au-dessus de la foule par le caractère autant que par la fortune. Quand l'empire désor donné d'une femme peut influer sur le sort des nations, faut-il s'étonner que Dieu le châție?... L'histoire bien faite serait le tableau des justices du ciel......... »

J'ai détaché cette page tout entière du livre de M. de Salvandy, non-seulement parce qu'elle résuine à merveille un des chapitres les plus touchants de son histoire, mais parce qu'elle caractérise jusqu'à un certain point la manière de l'auteur, cette façon vive, passionnée, chaleureuse, intrépide de prendre parti, non sans exagération quelquefois, pour son héros contre tous et pour la morale contre lui. Peut-être, en effet, en résumant ces épreuves qui remplirent la vie du roi Sobieski, le généreux écrivain en a-t-il parfois forcé la mesure. Sobieski a fini tristement, comme toutes les grandeurs finissent, même sans déchéance. Mais sa vie avait été presque constamment brillante d'un radieux éclat, et elle avait eu tout le bonheur que peut donner la gloire sans la conquête, le trône sans la puissance et un mariage tout rempli d'amour. La correspondance de Sobieski avec Marie-Casimire, si souvent et si utilement citée par son historien, prouve surabondamment qu'il aima sa femme. L'avait-il aimée trop tôt? l'aima-t-il trop tard? fut-il un époux malheureux, ridicule peut-être, en même temps qu'un glorieux vieillard et un héros redouté? La chronique a pu le dire; l'histoire peut le répéter. Mais ce sont là péchés véniels, et Dieu ne s'en souvient pas.

Tout compte fait, grand homme de guerre et glorieux

chrétien, Sobieski est un des plus beaux noms de l'histoire moderne; et il a eu un bonheur, après sa mort, que tous les grands hommes n'ont pas eu, que César et Condé attendent encore: Sobieski a son historien, et il n'en aura jamais un meilleur.

VI

Washington.

19 NOVEMBRE 1855.

Je ne sais rien, dans l'histoire moderne, de plus instructif, de plus moral, de plus honorable et en même temps de plus encourageant pour le genre humain que la vie de Washington, telle que M. Guizot l'a autrefois résumée et jugée dans un écrit célèbre, telle que M. Cornélis de Witt l'a récemment racontée 1. La plupart des grands hommes, par cela même qu'ils sont grands, dépassent plus ou moins le niveau commun de l'humanité. Quelques-uns sont placés si haut, qu'aucune émulation ne peut les atteindre. D'autres font payer cher aux peuples qu'ils conduisent le profit de leur domination et le spectacle de leur grandeur. Presque tous ont laissé aux hommes de glorieux souvenirs et de tristes leçons. Washington a vécu près de soixante-dix ans; il a fait la paix et la guerre; il a été général, administrateur, député, constituant, tour à tour chef d'une armée et d'un gouvernement, et cela au milieu de crises formidables et dans le conflit de toutes les passions que déchaîne une révotion, même légitime; et Washington n'a laissé que de bons exemples.

Nous admirons de loin les grands hommes; personne ne songe à les imiter. L'humanité accepte en tremblant les biens

1 Histoire de Washington et de la fondation de la république des ÉtatsUnis, précédée d'une Étude historique sur Washington, par M. Guizot. Paris, 1855.

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