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l'héroïsme et la discipline, l'audace intelligente et la bonne tenue, la science et l'inspiration. Et ce que les Français ont fait alors en Amérique, ils l'ont toujours fait et partout. Ils sont, quoi qu'on en puisse dire, et une fois sous le drapeau, le peuple discipliné par excellence; c'est là le secret de leur prééminence militaire. Mais n'insistons pas. Justice est faite, et par la plume de M. Cornélis de Witt lui-même, à qui une contradiction ne coûte pas quand elle profite à la vérité.

J'en dirai autant d'une certaine tendance à regretter, dans l'établissement de la Constitution américaine, l'exclusion des principes et des prétentions aristocratiques. Quelle que fût en effet la situation de quelques colonies du Sud, et notamment de la Virginie et des Carolines, où le sol, comme M. Guizot le fait remarquer, appartenait en général à de grands propriétaires, où le droit d'aînesse maintenait la perpétuité des familles, où l'Église était dotée, où la législation civile de l'Angleterre, si fortement empreinte de son origine féodale, avait été maintenue presque sans réserve; il est bien évident qu'une organisation pareille n'avait jeté de profondes racines ni dans les idées ni dans les mœurs, puisqu'au premier souffle de la révolution tout fut emporté sans résistance. Comment retenir, en effet, sur le sol qui avait dévoré ses soldats, ce simulacre vieilli de l'aristocratique Angleterre? Comment relever l'édifice après en avoir jeté les débris à tous les vents?

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L'aristocratie est, de toutes les institutions humaines, celle qui se prête le moins à une reconstruction artificielle. On disait autrefois que Dieu lui-même ne pouvait pas faire un gentilhomme, français. Washington n'aurait pu refaire un seigneur virginien. Avait-il « les goûts aristocratiques »>,

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comme M. de Witt paraît le croire, parce qu'il recommande quelque part de préférer, dans le choix des officiers, les gentlemen aux premiers venus, c'est-à-dire les gens instruits et bien élevés à ceux qui ne le sont pas? Nos écoles militaires ne sont pas instituées pour autre chose, et elles ne passent pas cependant pour être des pépinières de gen. tillâtres. Quoi qu'il en soit, respectons la noblesse partout où elle existe, si elle se respecte; ne refaisons pas l'aristocratie où elle n'a que faire.

Sous toutes ces réserves, j'aime et j'estime le livre de M. Cornélis de Witt. L'Histoire de Washington est une lecture saine et morale, où l'auteur a mis ce parfum de candeur et de jeunesse qui mêle le charme à l'austérité. Il n'y a pas beaucoup de livres qui aient ce mérite d'être écrits. par de très-jeunes auteurs sous l'inspiration d'une pensée grave, d'une foi sincère et d'un pieux souvenir. M. de Witt a choisi l'histoire de Washington comme un sujet qui devait plaire à son nom illustre, et pour lequel il trouvait tout auprès de lui non-seulement d'utiles conseils, mais un noble exemple. Et qu'on ne dise pas qu'il n'est pas besoin d'un mèrite extraordinaire pour faire un bon livre sous les yeux de M. Guizot. Je crois, au contraire, que le mérite est grand de se faire lire après lui. C'est celui de M. de Witt. Qu'un pareil succès lui suffise et qu'il l'encourage. Pour le moment et pour longtemps, ses amis ne lui en souhaiteront pas un autre.

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M. Louis Blanc raconte (tome VII, page 181 de son histoire) que, dans la nuit du 2 au 3 septembre 1792, Panis et Sergent, comme administrateurs de police, avaient signé et adressé au directeur de l'Abbaye l'ordre que voici :

« Monsieur, vous ferez sur-le-champ enlever les corps des personnes de votre prison qui n'existent plus. Que, dès la pointe du jour, tout soit enlevé et emporté hors de Paris, dans des fosses profondes bien recouvertes de terre. Faites, avec de l'eau et du vinaigre, laver les endroits de votre prison qui peuvent être ensanglantés, et sablez par-dessus.... « A la mairie, ce 3 septembre, une heure du matin.

« PANIS, SERGEnt. »

1 Histoire de la Révolution française, t. VI, VII, VIII (de la fin de 1791 au 2 juin 1793). Paris, 1854-1856.

Mais Panis et Sergent avaient eu beau faire le sang, effacé dans la cour de l'Abbaye, est resté sur leur nom et sur leur mémoire. Et de même, M. Louis Blanc a beau plaider les circonstances atténuantes dans le récit des crimes commis durant la période révolutionnaire qu'il nous raconte aujourd'hui; il a beau sabler par-dessus le 20 juin, le 10 août, le 2 septembre, le 21 janvier; - tache de boue ou tache de sang, la marque est restée. Telle est, avant. toute discussion de détail, l'impression que m'a laissée la lecture de ces trois volumes; et cette impression, je la dis comme je la ressens, si vive qu'elle soit.

Pour M. Louis Blanc, la Révolution ne commence guère qu'avec Robespierre conventionnel, et elle finit avec lui. Pour nous, Robespierre n'est pas seulement le tyran et le bourreau de la Révolution française, il en est le sophiste et le corrupteur. « Une seule révolution, celle de 1789, écrit Madame de Staël, a été faite par la puissance de l'opinion. Depuis cette année, presque aucune des crises qui ont eu lieu en France n'a été désirée par la nation 1. » M. Louis Blanc commence au 10 août et il arrête au 9 thermidor le mouvement régénérateur de la France, qui ne reprend, selon lui, et pour bien peu de temps, qu'en février 1848. Pour nous, comme pour madame de Staël, la véritable régénération du pays commence en 89 et s'arrête en 92 devant la tyrannie des factions. La Convention nationale n'a ni gouverné ni constitué la France moderne. Elle l'a exploitée et opprimée. La Révolution de février, je le reconnais, a été tout près de renouer la chaîne qui l'eût rattachée, comme le désirait M. Louis Blanc, aux doctrines politiques et économiques de Robespierre. Les théories étaient toutes prêtes. Les hommes d'action ont manqué.

Mais ne revenons pas sur ces querelles. M. Louis Blanc

1 Considérations sur la Révolution française, t. II, p. 57.

peut se donner la satisfaction d'écrire l'histoire de la Révolution française comme un avant-propos à cette dangereuse dictature qu'il a exercée un moment. Il peut dire de l'homme qui prononça devant la Convention nationale, le 24 avril 1793, ce fameux discours sur la propriété, telle que le jacobinisme la concevait, comme un droit purement relatif et social; il peut dire de Robespierre : « L'homme qui écrivit les lignes citées plus haut s'est creusé, sur un de ces sommets au-dessous desquels se forment les nuages, un tombeau où ne saurait le troubler le væ victis de l'histoire !... Quant à nous, descendons de ces nuages de l'hallucination socialiste. Allons droit aux faits. Essayons de discerner leur caractère véritable sous les déguisements qui les couvrent. Cherchons la vérité, si hideuse qu'elle puisse être, sous la plus brillante argumentation: Montrons la fange immonde sous le sable doré.......

Pour la grande masse des lecteurs, l'histoire de la Révolution française n'est plus à faire. Nous ne parlons pas des livres : il n'y a pas deux historiens de la Révolution qui s'accordent entre eux, et pourtant le public sait par cœur cette、 histoire si peu certaine. Elle est écrite dans la conscience du genre humain. On peut raffiner sur le détail, varier à l'infini les systèmes, multiplier les informations, puiser à des sources nouvelles, soit à Londres, soit à Paris, aux Archives de France ou au British Museum; on peut joindre la controverse au récit, discuter M. Michelet, récuser M. de Lamartine, réfuter, s'il est possible, M. de Barante, coudre à de longs chapitres de narration d'interminables épilogues; on peut faire tout cela, et je reconnais que M. Louis Blanc l'a fait sur quelques points avec supériorité et presque toujours sans ennui pour ses lecteurs. Mais, en fin de compte, à quel résultat arrive-t-on? On laisse un peu plus embrouillées qu'elles ne l'étaient les mille questions que soulèvent les grands événements de la période terroriste;

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