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En premier lieu, sous l'empire de cette ordonnance, les auteurs ont pensé que la disposition de cet article 8, qui sans doute, selon eux, n'avoit trait qu'à la prohibition du testament nuncupatif, n'empêchoient pas celui qui ne pouvoit parler de faire un testament olographe. Serres le dit formellement, Institut. au dr. fr., liv. 2, tit. 12, § 3. Pothier, traité des Donations testamentaires, chap. 3, §3, sup pose cette possibilité dans la rigueur de la loi. İl craignoit seulement les surprises relativement au testament olographe du sourd et muet de naissance; et M. Bergier, dans sa note sur Ricard, que j'ai déjà citée, admet sans difficulté que le sourd et muet qui sait lire et écrire, peut faire un testament olographe.

En second lieu, l'ordonnance de 1735 ne fait plus loi, et de ce que dans le Code civil, il ne se trouve pas de disposition semblable à l'art. 8 de cette ordonnance, on doit conclure, en combinant l'article 970 du Code, avec l'article 979, que, dans l'intention du législateur, la faculté de faire un testament olographe est restée à celui qui ne peut parler, quelle que soit l'origine de cette impossibilité.

Mais ce que j'ai dit sur le muet, ne doit s'entendre que de celui qui est réduit à l'impossibilité absolue de parler. On ne peut l'appliquer à celui qui parleroit même avec une grande difficulté, mais qui enfin peut se faire entendre. Justinien en avoit fait la remarque dans le même paragraphe des Institutes, que j'ai déjà cité relativement au sourd. Nam et mutus is intelligitur qui eloqui nihil potest, non qui tarde loquitur.

285. Jen'ai fait aucune différence entre celui qui est simplement muet et le sourd-muet de naissance. Il n'en existe aucune en effet, quant à la faculté de tester, même d'après l'article 979. Ils sont tous compris sous ces termes : «< en » cas que le testateur ne puisse parler, mais » qu'il puisse écrire, etc. »

Les législateurs romains, notamment dans la loi 10, au Code, qui testam. fac. poss. vel non, en accordant à celui qui ne pouvoit parler la faculté de tester, pourvu qu'il sût écrire, supposoient que celui qui étoit sourd et muet de naissance ne pouvoit jamais profiter de ce bénéfice, parce qu'on le croyoit hors d'état d'en remplir les conditions. Aussi Ricard, partie 1 n° 131, s'explique dans le sens de cette impossibilité. Cependant Catellan, liv. 2, chap. 49, cite un arrêt de 1679, qui déclara valable le testament d'un sourd - muet de naissance mais qui étoit capable, par le moyen de l'écriture, de toutes sortes d'affaires.

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Grâce au zèle et aux talens des célèbres abbés de l'Epée et Sicard, on ne seroit pas étonné aujourd'hui de voir des testamens faits et écrits avec netteté et intelligence par des sourds-muets.

C'est sans doute aux merveilles opérées par ces deux bienfaiteurs de l'humanité, que faisoit allusion M. Bigot-Préameneu, lorsqu'il disoit, dans son exposé des motifs du titre des donations et testamens: « Depuis que par les heu>> reux efforts de la bienfaisance et du génie les » sourds-muets ont été rendus à la société, ils » sont devenus capables d'en remplir les de»voirs et d'en exercer les droits. » M. Bigot ne

s'expliquoit pourtant que sur la faculté qu'a le sourd-muet qui sait écrire de manifester sa volonté pour accepter une donation, la seule dont il soit parlé dans l'article 936 du Code, et la loi garde le silence à son égard sur la faculté de donner. Quoiqu'on puisse raisonnablement remarquer quelque différence entre la capacité active de donner et la capacité passive de recevoir à titre de donation, et qu'on ne puisse pas toujours induire de l'établissement de cette dernière capacité. l'existence de la première, il y a néanmoins tout lieu de penser que le sourd-muet de naissance, qui seroit capable par l'écriture de manifester une volonté, pourroit faire une donation entre-vifs. Tel est le résultat de ce que disoit Ricard, n° 128 et 129, puisqu'il soumettoit la validité des donations et des testamens des muets, des aveugles, des sourds, à la seule question de fait de savoir si l'infirmité empêchoit, ou non, de donner ou de tester, et que la difficulté qu'il se faisoit relativement au

sourd-muet de naissance dérivoit seulement de

la supposition d'une impossibilité absolue de manifester une volonté dans ce cas.

Tel est encore le sens dans lequel s'expliquoit Pothier, traité des Donations entre-vifs, section 1, art. 1", page : « Un sourd et » muet, disoit-il, qui ne sait pas écrire, ne peut » donner des signes certains de sa volonté; » d'où il suit qu'il est dans le cas de l'interdic» tion, et par conséquent qu'il ne peut donner >> entre-vifs. Il en est autrement de celui qui >> est seulement sourd ou muet. »

Mais, osons le dire, la législation est en ar

rière

rière de ce qu'a fait une administration sage et éclairée, en protégeant aussi efficacement les travaux des deux illustres amis de l'humanité que je viens de nommer. On conçoit bien que les sourds-muets qui ont acquis une intelligence propre à leur faire donner sans inconvénient des consentemens, peuvent non-seulement donner et tester, mais qu'encore ils sont capables de tous autres engagemens de la société civile à laquelle ils participent. Mais on conçoit aussi que la certitude de ces engagemens peut être soumise, à raison de l'état physique de ces personnes, à des formes particulières; que les notaires ou autres officiers publics ne devroient pas être livrés au choix de celles que leur délicatesse peut leur inspirer; et que pour éloigner les entraves et vaincre les difficultés, il seroit à désirer qu'ils pussent suivre des formes fixes qui seroient établies par la loi même. C'est seulement alors qu'on pourroit vraiment dire que les moyens sont en harmonie avec la fin.

286. Ce que je viens de dire dans cette section ne peut recevoir une application directe au testament militaire, à celui fait en temps de peste, et à celui fait sur mer.

Ces espèces de testamens, ainsi que je l'ai déjà remarqué, sont sujettes à des formes particulières, dans lesquelles il faut se renfermer, sans qu'on puisse en faire de mélange avec les formes des autres testamens. Ces formes particulières ont trait à celles du testament par acte public, mais avec cette grande difference, que ces espèces de testamens, qu'on peut regarder comme privilégiées, demandent moins

Tome II.

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de solennité, et qu'elles peuvent être reçues par des officiers publics autres que des notaires; en sorte que, dans ces cas, on ne doit reconnoître d'autres empêchemens que ceux qui, dans la nature même des choses, s'opposeroient à ce que les formalités exigées par la loi fussent remplies. Ainsi, par exemple, ceux qui ne pourroient parler, ne pourroient faire de ces sortes de testamens, parce qu'ils seroient hors d'état de manifester une volonté.

J'observerai seulement que quelque part, et dans quelque position qu'un Français ait fait un testament olographe, ce testament doit avoir son effet, de la même manière et pour le même temps que doit l'avoir, d'après la loi, tout testament olographe quelconque. Ce n'est plus alors un testament privilégié, c'est un testament ordinaire, fait sous une forme admise généralement pour tous les citoyens qui peuvent remplir les conditions exigées par la loi pour la validité d'un pareil testament.

CHAPITRE II.

Des différentes espèces de legs, des obligations et des droits des légataires.

LE mot legs a été pris de tout temps

287. pour un don fait par testament; en sorte que ce mot ne seroit point employé dans sa véri

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