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soutenir pendant dix ans l'état actuel de la guerre; telle est la position de la France.

Cette guerre a donc été peu offensive; mais elle est loin d'avoir été inactive, la France a été garantie. Elle s'et créé des forces jusqu'à ce jour inconnue. Elle a perpétué dans le sein du pays ennemi un principe d'inquiétude sans remède; et par une prudence et une énergie sans relâche, elle a conquis pour toujours la confiance du Continent, d'abord un peu ébranlée par le début d'une guerre incendiaire qui pouvait mettre l'Europe en feu, et dont le progrès a été arrêté par des efforts assidus de surveillance, de modération, de fermeté et de sagesse.

Quelle est la situation de l'ennemi? Le peuple est en armes; et pendant que le besoin secondé du génie, nous a fait inventer une nouvelle espèce de marine, le besoin et la frayeur ont forcé le cabinet anglais de substituer partout les piques aux armes ordinaires de la guerre. Ce cabinet est partagé entre des projets d'invasion et des projets de défense. Il prodigue d'inutiles retranchemens; il hérisse les côtes de forteresses; il établit et déplace sans cesse ses batteries; il cherche s'il ne pourrait pas arrêter ou détourner le cours des fleuves. Il projette des inondations sur ses propres campagnes. L'indolence des villes est dans ses camps; la turbulence des camps est dans ses villes.

L'Irlande, les Indes, les rivages même de l'Angleterre sont un objet perpétuel et indéterminé d'inquiétudes. Tout ce qui appartient à l'Angleterre, est incessamment menacé par 1500 bâtimens, qui composent notre flotille, aujourd'hui par 60 vaisseaux de ligne, et par une armée valeureuse que les premiers généraux de l'univers commandent. La plus effrayante de toutes les menaces ne serait-elle pas celle de la patience facile qui nous ferait persister pendant dix ans dans cet état d'arrêt et d'attente qui laisse à nos hostilités l'intelligence et le choix des lieux, du tems et des moyens de nuire.

Ces considérations et ce contraste enssent dû, ce me semble, inspirer au gouvernement anglais la sage résolution de faire les premières démarches pour prévenir les hostilités; il ne l'a point fait. Il a laissé tout l'avantage de cette initiative honorable. Toutefois, il ́a répondu aux propositions qui lui ont été faites; et si on compare sa réponse aux déclamations si houteusement célèbres de lord Grenville, en l'an 8, j'aime à le dire, elle n'est pas dépourvue de modération et de sagesse. Je vais avoir l'honneur de vous en faire la lecture.

Lettre de Lord Mulgrave à S. Exc. M. de Talleyrand, ministre des relations extérieures.

Sa Majesté a reçu la lettre qui lui a été adressée par le chef du gouvernement français, datée du deuxième jour de

ce mois.

Il n'y aucun objet que sa Majesté ait plus à cœur que de saisir la première occasion de procurer de nouveau à ses sujets les avantages d'une paix fondée sur des bases qui ne soient pas incompatibles avec la sûreté permanènte et les intérêts essentiels de ses états. Sa Majesté est persuadée que ce but ne peut être atteint que par des arrangemens qui puissent en même tems pourvoir à la sûreté et à la tranquillité à venir de l'Europe et prévenir le renouvellement des dangers et des malheurs dans lesquels elle s'est trouvée enveloppée. Conformément à ce sentiment, sa Majesté sent qu'il lui est impossible de répondre plus particulièrement à l'ouverture qui lui a été faite, jusqu'à ce qu'elle ait eu le tems de communiquer avec les puissances du Continent avec lesquelles elle se trouve engagée par les liaisons et des rapports confidentiels, et particulièrement avec l'empereur de Russie, qui a donné les preuves les plus fortes de la sagesse et de l'élévation des sentimens dont il est animé, et du vif intérêt qu'il prend à la sûreté et à l'indépendance de l'Europe. (Signé)

Downing-Street, 14 Janvier, 1805.

MULGRAVE.

Le caractère qui domine dans cette réponse est vague et sans détermination. Une seule idée se montre avec quelque précision, celle du recours à des puissances étrangères; et cette idée n'est point pacifique; une intervention superflue ne doit point être réclamée, si on n'a pas l'envie d'embarasser les discussions, et de les rendre interminables. Le résultat ordinaire de toutes les négotiations compliquées, est d'aigrir les esprits, de lasser les bonnes intentions, et de rejeter les états dans une guerre devenue plus ardente par le dépit de tenta tive de rapprochement sans succès.

Cependant dans une question qui tient à une multitude d'intérêts et de passions qui sont loin d'avoir jamais été en harmonie, il ne faut pas s'arrêter à un seul indice.

Le tems nous dévoilera bientôt le secret des résolutions du gouvernement d'Angleterre. Si ces résolutions sont justes et modérées, nous verrons finir les calamités de la guerre; si, au contraire, cette première apparence de rapprochement n'était qu'une lueur trompeuse, destinée seulement à servir des spéculations de crédit, à faciliter un emprunt, des rentrées d'argent, des achats et des entreprises, alors nous saurions sans incertitude à quel point les dispositions de l'ennemi sont implacables et obstinées, et nous n'aurions plus qu'à rejeter -loin de nous des espérances d'un attrait dangereux, et à nous confier sans réserve en la bonté de notre cause, à la justice de "la Providence et au génie de l'empereur.

En attendant que de nouvelles lumières nous éclairent sur Fobscurité de la situation actuelle des affaires, sa Majesté l'empereur a pensé que la révélation imparfaite que sa Majesté

le roi d'Angleterre a jugé à propos de faire des premières démarches de la France, exigeait de sa part une exposition complète de ce qu'elle a voulu, de ce qu'elle a fait, et de la ré ponse du gouvernement anglais.

En même tems elle me charge d'annoncer qu'elle trouvera toujours une satisfaction réelle et chère à son cœur, de faire connaître au sénat et à son peuple, par des communications franches, entières et jamais douteuses, tout ce qui tiendra aux grands intérêts de sa prospérité et de sa gloire, toutes les fois que cette communication sera compatible avec les principes de la politique et avec les règles de la prudence.

Après ce rapport, un membre a dit qu'il convenait de faire une adresse à S. M, 1. pour la remercier du nouveau témoignage de confiance que le sénat venait de recevoir, par la communication de ce rapport si remarquable et si important, et que suivant l'usage du sénat dans les matières politiques, cet objet devait être renvoyé à une commission spéciale.

Le sénat a nommé au scrutin cinq commissaires pour lui faire un rapport à ce sujet dans une prochaine séance. Ce sont MM. Barthelemy, Cacault, Hédouville,le maréchal Perignon, et M. François (de Neufchâteau) président du sénat.

CORPS LÉGISLATIF.

Présidence de M. Fontanes.

Séance du 15 Pluviose.

M. le président annonce que des orateurs du gouvernement doivent se rendre aujourd'hui à la séance pour porter la parole au nom de sa Majesté. On introduit MM. les conseillers d'état Ségur, Dessoles et Begouen. Le premier de ces

orateurs monte à la tribune.

M. L. P. Ségur, orateur. Messieurs, sa Majesté a voulu que vous fussiez instruits par une communication officielle, de faits récens qui intéressent notre situation politique.

Sa Majesté, depuis qu'elle a été élevée à la dignité impériale, a pensé que cette situation nouvelle et les circonstances qui l'y avaient placée, pouvaient naturellement lui faire concevoir des espérances de paix.

L'ennemi désabusé du vain espoir qu'il avait fondé sur nos divisions et sur les chances d'un pouvoir électif, se trouvait dans une position qui devait le disposer à écouter des conseils plus modérés. L'empereur a fait ce que le général Bonaparte avait fait avant le passage de la Drave, ce qu'avait fait le premier Consul avant que d'être forcé de combattre à Marengo. Il a écrit à S. M. Britannique la lettre dont nous allons vous donner la lecture.

(L'orateur donne lecture de cette lettre.Voyez l'article sénat.)

Cette lettre, Messieurs, convenait à la dignité d'une puissance qui connaît sa force et ne veut pas en abuser. Le caractère et les actions de l'empereur ne permettaient pas d'y soupçonner de la faiblesse.

A cette lettre, le ministère britannique a fait une réponse, non pas telle qu'il la devait à des ouvertures aussi franches et aussi pacifiques, mais dont les termes du moins, si on les compare à ceux dont il se servit en l'an 8, dans d'autres circonstances, ne blessaient pas les convenances et permettaient d'espérer des communications plus utiles.

(L'orateur donne lecture de la réponse du ministre Britanni que. Voyez l'article sénat.)

La lettre et la réponse seraient restées dans le secret du gouvernement, comme tous les actes préliminaires, dont le but est de conduire à des négociations effectives, si le message du roi d'Angleterre à son parlement n'en eût appelé la publicité.

Ce message, Messieurs, qui annonce de la part de la France des communications pacifiques, n'est plein que d'aigreur, d'ac cusations et de reproches. On y feint une pitié insultante pour une nation généreuse qu'on a subitement attaquée au sein de la paix, dont on a saisi, pillé, détruit les vaisseaux navigans sur la foi des traités, et on s'étonne qu'elle ne s'abaisse pas à des explications vis-à-vis d'un ennemi qui la traite en brigand, et qu'à des hostilités elle ait répondu par une déclaration de guerre. On y annonce des liaisons, une correspondance, des rapports confidentiels avec des puissances du Con tinent.

On s'y efforce d'établir l'idée d'une coalition qui n'existe point, et qu'il serait impossible de réaliser. La France est trop grande pour s'abaisser à discuter des injures.

Elle doit à un allié cruellement outragé, non pas une vaine pitié, mais le plus constant et le plus fidèle appui. La France n'a point d'ennemi sur le Coutinent, elle n'a avec aucune puissance continentale aucune discussion qui puisse s'attacher à sa querelle avec le ministère britannique.

L'Autriche, la Prusse, l'Allemagne toute entière veulent la paix et la veulent avec la France. Depuis peu de jours encore, l'empereur a reçu de leurs dispositions amicales les assurances les plus positives.

L'empereur Alexandre eût empêché la guerre si l'Angleterre eût voulu accepter sa médiation; il l'eût peut-être étouffée depuis, si ses ministres à Paris et à Londres eussent suivi les intentions qu'il avait alors. L'intervention de la Rossie, trèsutile pour prévenir des hostilités, ne peut l'être également lorsqu'il est question de les terminer. L'Angleterre n'a rien à redouter de cette puissance, et ne se croit point intéressée à garder de ménagement avec elle; toute l'Europe le sait; les événe mens de l'an 9 l'ont démontré, le gouvernement britannique

GGG

l'a prouvé. Si l'Angleterre aujourd'hui veut tirer parti de quelques communications confidentielles, ce n'est certaime▾ ment pas pour montrer des dispositions plus pacifiques; son but est de faire croire à une apparente coalition, mais elle n'a pour elle aucune chance de succès; ces espérances sont illusoires, car à Petersbourg aussi bien qu'à Vienne, aussi bien qu'à Berlin on regarde comme des attentats aux droits des gens comme une injure à tous les souverains, l'attaque des frégates espagnoles en pleine paix, l'assassinat en pleine paix de 300 victimes innocentes immolées par les canons de l'Angleterre ou ensevelies daus les flots, la prise en pleine paix d'un régiment espagnol, l'arrestation dans la Mediterranée de 80 bâtimens de toutes les nations, et cette violation perpétuelle de la liberté des mers, le domaine commun de tous les peuples.

Ces correspondances, ces rapports confidentiels ne sont donc que des chimères, des prétextes vains pour échapper aux négociations de la paix, C'est toujours ce système perfide qui cherche à semer des guerres sur le Continent, pour éterniser le monopole d'un seul peuple et opprimer le commerce de tous. C'est ce même esprit qui, pour autoriser la violation du traité d'Amiens, créait dans nos ports des armemens imaginaires, effrayait la nation anglaise de projets destruc

teurs.

Si la voix de l'humanité n'est pas entendue, ils seront bien coupables ceux qui exposeront leur patrie à des dangers, dont celui qu'ils accusent d'en être l'artisan, aura tenté constamment de la défendre. Les politiques éclairés de tous les pays, la nation anglaise elle-même tardivement désabusée, ont blamé l'aveugle opiniâtreté du gouvernement anglais, lorsqu'en l'an 8 il perdit l'occasion favorable qu'on lui présentait pour faire une paix honorable. Peut-être la grandeur actuelle de la France est-elle une conséquence de cette faute politique. L'avenir fera connaître les effets d'un aveuglement si obstiné, Nous n'avons rien à redouter, et peut-être dans dix ans notre position pour traiter, sera-t-elle plus avantageuse encore. En guerre comme en politique il est des occasions qu'on ne retrouvera plus et qui laissent pendant des siècles le regret de les avoir laissé échapper. Si telle doit être la destinée de l'Angle terre, il ne restera à la bravoure française qu'à déployer toute son énergie, et à triompher enfin de cet esprit ennemi de la liberté des mers et de la tranquillité des nations.

Le corps législatif donne aux orateurs du conseil d'état acte de la communication qu'il vient de lui faire au nom de S. M., et airète qu'il va se former en comité général pour délibérer sur cette communication.

MM. les conseillers d'état quittent l'assemblée, qui se forme de suite en conférence particulière. La séance étant rendue publique, M. le président annonce qu'il vient d'être arrêté,

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