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Message de S. M. l'emperenr et roi au sénat.

Sénateurs,

Nous voulons, dans les circonstances où se trouvent les affaires générales de l'Europe, faire connaître à vous et à la nation les principes que nous avons adoptés comme règle de notre politique.

Notre extrême modération, après chacune des trois premières guerres, a été la cause de celle qui leur a succédé. C'est ainsi que nous avons eu à lutter contre une quatrième coalition neuf mois après que la troisième avait été dissoute, neuf mos après ces victoires éclatantes que nous avait accordées la Pr vidence, et qui devaient assurer un long repos au continent,

Mais un grand nombre de cabinets de l'Europe est platet ou plus tard influencé par l'Angleterre; et sans une solide paix avec cette puissance, notre peuple ne saurait jouir des bienfaits qui sont le premier but de nos travaux, l'unique objet de notre vie. Aussi, malgré notre situation triomphante, nous n'avons été arrêté, dans nos dernières négociations avec l'Angleterre, ni par l'arrogance de son langage, ni par les sacrifices qu'elle a voulu nous imposer. L'ile de Malte, à laquelle s'attachait, pour ainsi dire, l'honneur de cette guerre, et qui, retenue par l'Angleterre au mépris des traités, en était la première cause, nous l'avions cédée: nous avions consenti à ce qu'à la possession de Ceylan et de l'empire du Myssoure, l'Angleterre joignit celle du Cap de Bonne-Espérance.

Mais tous nos efforts ont dû échouer, lorsque les conseils de nos ennemis ont cessé d'être animés de la noble ambition de concilier le bien du monde avec la prospérité présente de leur patrie, avec one prospérité durable: et aucune prospérité ne peut être durable pour l'Angleterre, lorsqu'elle sera fondée sur une politique exagérée et injuste qui dépouillerait soixante millions d'habitans, leurs voisins, riches et braves, de tout commerce et de toute navigation.

Immédiatement après la mort du principal ministre de l'Angleterre, il nous fut facile de nous apercevoir que la connuation des négociations n'avit plus d'autre objet que de couvrir les trames de cette quatrèime coalition étouffée dès sa mais

sance.

Dans cette nouvelle position, nous avons pris pour principes invariables de notre conduite, de ne point évacuer ni Berlin, ni Varsovie, ni les provinces que la force des armes a fait tomber en nos mains, avant que la paix générale ne soit conclue; que les colonies espagnoles, hollandaises et françaises ne soient rendues; que les foudemens de la puissance ottomane ne soient raffermis, et l'indépendance de ce vaste empire, remier intérêt de notre peuple, irrévocablement consacrée.

Nous avons mis les Isles Britanniques en état de blocus, et

nous avons ordonné contre elles des dispositions qui répugnaient à notre cœur. Il nous en a coûté de faire dépendre les intérêts des particuliers de la querelle des rois, et de revenir,` après tant d'années de civilisation, aux principes qui caractérisent la barbarie des premiers âges des nations. Mais nous avons été contraint pour le bien de nos peuples et de nos alliés, à opposer à l'ennemi commun les mêmes armes dont il ne servait contre nous. Ces déterminations, commandées par un juste sentiment de réciprocité, n'ont été inspirées ni par la passion, ni par la haine. Ce que nous avons offert, après avoir dissipé les trois coalitions qui avaient tant contribué à la gloire de nos peuples, nous l'offrons encore aujourd'hui que nos armes ont obtenu de nouveaux triomphes. Nous somines prêts à faire la paix avec l'Angleterre; nous sommes prêts à la faire avec la Russie, avec la Prusse; mais elle ne peut être conclue que sur des bases telles qu'elle ne permette à qui que ce soit de s'arroger aucun droit de suprématie à notre égard, et qu'elle garantisse à notre commerce et à notre industrie la la prospérité à laquelle ils doivent atteindre..

Mais

Et si l'ensemble de ces dispositions éloigne de quelque temps encore le rétablissement de la paix générale, quelque court que soit ce retard, il paraîtra long à notre cœur. nous sommes certains que nos peuples apprécieront la sagesse de nos motifs politiques; qu'ils jugeront avec nous qu'une paix partielle n'est qu'une trève qui nous fait perdre tous nos avantages acquis, pour donner lieu à une nouvelle guerre, et qu'enfin ce n'est que dans une paix générale que la France peut trouver le bonheur.

Nous sommes dans un de ces instans importans pour la destinée des nations; et le peuple français se montrera digne de celle qui l'attend. Le sénatus-consulte que nous avons ordonné de vous proposer, et qui mettra à notre disposition, dans les premiers jours de l'année, la conscription de l'an 1807, qui dans les circonstances ordinaires ne devrait être levée qu'au mois de Septembre, sera exécutée avec empressement par les pères comme par les enfans. Et dans quel plus beau moment pourrions-nous appeler aux armes les jeunes français? Ils auront à traverser pour se rendreà leurs drapeaux les capitales de nos ennemis, et les champs de batailles illustrés par les victoires de leurs aînés.

Donné à Berlin, le 21 Novembre 1806.

(Signé)

NAPOLÉON.

Rapport du ministre des relations extérieures, à S, M. l'em

Sire,

pereur et roi.

Une quatrième coalition s'est formée. En moins d'un mois elle a été confondue. En moins d'un mois la Prusse a vu son

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armée, ses places fortes, sa capitale et ses provinces tombées au pouvoir de V. M. et maintenant elle implore la paix.

Dans les coalitions précédentes, chaque ennemi de la France, dès qu'il était vaincu, demandait aussi et obténait la paix, On espérait que des paix particulières et successives condai raient à une paix générale, honorable et sûre. Trois fois cette espérance a été déçue; trois fois l'expérience a prouvé qu'en suivant le même système de modération et de générosité, la France serait constamment trompée. Chaque coalition dé truite a enfanté une nouvelle coalition, et la France a été menacée d'une guerre éternelle.

L'empire français est parvenu à un degré de puissance et de grandeur que V, M. n'ambitionnait pas. Attaquée de toutes parts avec une fureur sans exemple, et placée dans l'alternative de périr ou de vaincre, la France n'a coinbattu que pour son salut, et victorieuse, elle ne s'est servie de la victoire que pour faire éclater sa modération. Elle n'a point détruit ceux qui la voulaient détruire: elle avait fait d'immenses conquêtes, elle n'en a gardé qu'un petit nombre; elle en aurait encore moins gardé, si les aveugles passions qui rugissaient autour d'elle, ne l'eussent pas mise dans la nécessité de s'agran dir pour se préserver. Aujourd'hui qu'elle est attaquée pour la quatrième fois avec le même esprit de haine et dans les mêmes vues de destruction, V. M. n'a d'autre but que de recouvrer ce qui est indispensable à la prospérité de son peuple, Mais c'est un but qu'elle ne saurait atteindre qu'en profitant de toute la grandeur de ses avantages, et en réservant ses con quêtes comme objets de compensation dans les arrangemens de la paix générale.

Deux puissances ennemies du repos de l'Europe se sont unies pour y perpétuer la discorde et la guerre. Les abjets de leur ambition sont différens, mais une même haine les anime contre la France, parce qu'elles savent que la France ne peut cesser de s'opposer à l'accomplissement de leurs pernicieux desseins. Occupées sans cesse à lui chercher, à l susciter des enneinis, elles emploient à cet effet tous les genres d'artifices et d'intrigues, les menaces, les caresses, la corrup tion, la calomnie; et, quand elles aspirent à tout envahir, à tout opprimer, à tout asservir, c'est la France qu'elles accusent d'y prétendre.

L'Angleterre tend à naviguer exclusivement sur les mers. Elle s'arroge le monopole de tous les commerces et de toutes les industries; et toutes les fois que l'irrésistible force des événemens a obligé la France d'intervenir dans les affaires des petits états ses voisins, et d'y intervenir pour leur repos, I'Angleterre a donné le signal des accusations et des plaintes. La première, elle a sonné l'alarme; et parce que quelques villes ou quelques pays soumis depuis des siècles à l'influence de la France, y étaient encore soumis, elle a présenté la France

comme menaçant l'indépendance des grands états. Etait-ce sur des petits états qui fussent soumis depuis des siècles à son influence, et comme entraînés dans sa sphère d'activité ? N'était-ce pas, an contraire, sur des états considérés dans tous les tems comme principaux en Europe, que l'Angleterre exerça ses violences, lorsque les puissances du nord, qui s'étaient unies pour défendre les principes éternels de la neutraJité, furent forcées de sonscrire à ses prétentions monstrueuses, et de sacritier, avec leurs propres intérêts, les plus chers intérêts de la France? Alors, l'indépendance des nations ne fut pas seulement menacée; elle fut attaquée, violée, et autant qu'il dépendait de l'Angleterre, anéantie. De quoi servit-il que l'Angleierre eût été obligée de reconnaître, par la convention de Petersbourg, un petit nombre de principes que, ni ses sé ductions, ni ses menaces, n'avaient pu faire abandonner? Immédiatement après, elle les foula ouvertement aux pieds, ou les éluda, en abusant de la manière la plus tyrannique à-lafois et la plus insensée, du droit de blocus. Ce droit ne peut, d'après la raison et d'après les traités, s'appliquer qu'aux places investies et en danger d'étre prises. Elle prétendit l'étendre aux hâvres, à l'embouchure des rivières, à des côtes entières, et enfin à tout un empire. Certes, la France ne fut jamais investie et en danger d'être prise par l'Angleterre, et Ja France toute entière a été déclarée en état de blocus. agissant de la sorte, l'Angleterre n'annonce-t-elle pas hautement qu'elle ne reconnaît aucune loi; que les traités ne sont rien pour elle; qu'elle n'admet d'autre droit que celui de la force; et qu'elle répute légitime tout ce qu'elle peut impuné ment faire?

En

Le gouvernement de Russie, quand il devrait être occupé uniquement du soin de vivifier ses immenses états, et d'expier par les bienfaits d'une sage législation et d'une administra tion paternelle, le crime qui fit en un jour descentre du rang des nations indépendantes ane nation ancienne, nombreuse, illustre, et digne d'un meilleur sort, convoite et menace d'engloutir encore le vaste et superbe empire des Ottomans. Les mêmes manœuvres qu'il employa contre la Pologne, ils les employe aujourd'hui contre la Turquie. I souffle dans ces provinces l'esprit de sédition et de révolte. Il excite, il alarme, il soutient les Serviens contre la Porte. Il renouvelle sur la Morée les tentatives qu'il avait faites, mais sans fruits, en 1778. La Valachie et la Moldavie étaient gouvernées par deux chefs infidèles et traîtres; la Porte les avait déclarés tels par un firman, et les avait déposés. La Russie, non contente de leur donner asyle, a fait marcher des troupes sur le Dniester, et menaçant la Porte de lui déclarer la guerre, ella a exigé leur rétablissement. La Porte a eu la douleur de se voir contrainte de remettre en place ses ennemis déclarés, et de déposer les hommes de son choix. Ainsi, son indépendance

a été violée par un attentat qui blesse à la fois la dignité de tous les trônes. Du moment qu'elle n'a plus le choix de ses gouverneurs, elle n'est plus souveraine, elle est vassale, ou plutôt la Valachie et la Moldavie ne lui appartiennent plus que de nom; et ces deux grandes et riches provinces, gouvernées par des hommes vendus à la Russie, sont devenues pour celle-ci une véritable conquête.

Avec de tels ennemis, dont la modération de V. M. n'a pu désarmer la haine, et qui, nonobstant ses victoires, marchent toujours à leur but, n'écoutant que leur passion, et ue respectant aucun droit, V. M. n'est pas libre de suivre les mouvemens de sa générosité. Le penchant même qui la porte à désirer la paix, lui fait une loi de ne se dessaisir d'aucune de ses conquêtes, que l'indépendance entière et absolue de l'empire ottoman, indépendance qui est le premier intérêt de la France, ne soit reconnue et garantie; que les colonies espagnoles, hollandoises et françaises, dont la diversion opérée par les quatre coalitions a seule entraîné la perte, ne soient restitués, et qu'un code général ne soit adopté, conforme à la dignité de toutes les couronnes, et capable d'assurer des droits de toutes les nations sur les mers.

La justice et la nécessité de cette détermination seront universellement senties; elle sera un bienfait pour les alliés de V. M., et pour toutes les villes commerçantes de son empire, qui n'ont été dépouillées qu'à la faveur de ces mêmes guerres, dont les événemens ont mis au pouvoir de V. M. tant de vastes états. Dans tout autre systême, les intérêts de ces alliés et de tant de cités populeuses seraient abandonnés; le fruit des plus étonnantes victoires serait perdu; et la Fance, au milieu de triomphes inouïs, après tant d'exploits qui l'ont agrandie et comblée de gloire, n'aurait aucune perspective de repos; elle n'entreverrait pas l'époque où elle pourrait déposer les armes, se consacrer aux paisibles occupations de l'industrie et du commerce, auxquelles la nature l'appelle, et faire sur un autre théâtre des conquêtes moins éclatantes, mais plus douces, qu'elle n'auroit point achetées par l'effusion d'un sang qui lui est si cher, et qui égalant son bonheur à sa gloire, ne coûteraient à l'humanité aucune larmes.

(Signé)

Berlin, le 15 Novembre, 1806.

CH. MAUR. TALLEYRAND,
Prince de Bénévent.

Bapport du ministre des relations extérieures, à S. M. l'em

Sire,

pereur et roi.

Trois siècles de civilization ont donné a l'Europe un droit

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