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suivant les temps et les circonstances. Elle doit favoriser les cultures les plus utiles, entraver, proscrire même celles qui seraient préjudiciables aux premières. Ainsi, en supposant par exemple que les récoltes des céréales devinssent insuffisantes en France, parce qu'on emploierait une trop grande quantité de terrc de première qualité à la culture des betteraves à sucre, peut-être faudrait-il mettre sur cette sorte de culture une imposition équivalente à la défense de s'y livrer, parce qu'on ne satisfait avec le sucre qu'un besoin factice, au lieu que le blé et le scigle sont des besoins de première nécessité.

Il est un principe fondamental sur lequel il est essentiel de tomber d'accord avant toutes discussions relatives à la législation sur les céréales et les autres produits de la culture: c'est qu'il est on ne peut plus important pour un état de se rendre le plus indépendant qu'il est possible de tous les autres pour ses besoins indispensables. S'il était parfaitement sage et prudent, il ne serait jamais que volontairement leur tributaire, et ne contracterait d'habitudes et de besoins que ceux qu'il serait assuré de pouvoir satisfaire par les produits de son sol et de son industrie.

Ce principe établi et reconnu, examinons s'il est nécessaire de soumettre le commerce des céréales à des réglemens particuliers, et s'il ne serait pas plus avantageux de le laisser entièrement libre, sans astreindre les céréales à aucun droit à leur entrée et à leur sortie. Beaucoup de personnes ont envisagé cette question importante sans réfléchir assez sur les conséquences, et ils se montrent encore aujourd'hui les défenseurs de l'entière liberté du commerce des grains, malgré les leçons de l'expérience. On a toujours vu que, lorsque les blés étaient plus chers chez les étrangers, on pouvait souvent, en moins de trois semaines,

dégarnir entièrement, ou à peu près, la France de grains par nos trois grands fleuves: la Seine, la Loire et le Rhône; et que lorsque la disette et le besoin de grains venaient à succéder en France à l'excès d'abondance, il fallait souvent, suivant les saisons, les temps plus ou moins favorables, près de trois mois aux grains pour remonter ces fleuves et rentrer dans les mêmes endroits d'où on les avait trop imprudemment expertés. En d'autres temps l'extrême abondance des blés étrangers et leur introduction sans aucun droit et au plus bas prix est venu décourager entièrement notre agriculture et l'anéantir même pour quelques années. Le seul remède que l'expérience et la réflexion ont fait trouver aux deux inconvéniens également graves de la liberté indéfinie du commerce des céréales, a été de n'en permettre l'exploitation et l'importation que moyennant des droits réglés, et que l'une ou l'autre ne puisse avoir lieu que lorsque la France aurait à souffrir de leur prix trop bas ou trop élevé. La formation d'un tel tarif est à la vérité une chose fort difficile, qui doit varier continuellement par une infinité de considérations différentes, qui font de cette branche de l'administration générale une véritable science dans laquelle on fait chaque jour de nouveaux progrès et où on ne devient plus habile qu'en raison du plus grand nombre de faits positifs que l'on recueille et d'expérience que l'on acquiert. Aussi je crois aujourd'hui nécessaire de ne pas passer plus d'une année sans examiner de nouveau cette législation, pour y apporter tous les changemens et toutes les modifications que de nouvelles circonstances rendent nécessaires (1).

(1) Est-il plus avantageux que le tarif des droits à l'entrée ou à la sortie de France, des céréales, soit réglé par de lois que par des simples ordon

Supposons en effet, Messieurs, que les progrès de nos arts et de notre civilisation soient tels que toutes nos grandes routes soient changées en routes de fer, comme il y en a déjà quelques-unes en Angleterre et même en France; qu'au moyen de ces routes, et par le nouveau et puissant moteur en usage ( la vapeur de l'eau ), toutes les parties de France puissent être approvisionnées en aussi peu de temps qu'on peut aujourd'hui les en dégarnir: sans contredit, la législation et le commerce des céréales devront alors être envisagés sous les nouveaux rapports que ces changemens feront naître. Jusque-là, et dans tous les temps même, il est extrêmement sage de n'adopter les idées nouvelles qu'après le plus mûr examen. Des hommes de beaucoup d'esprit ont de tous temps rivalisé entre eux pour en présenter de plus extraordinaires les unes que les autres et dont la mise en pratique aurait entraîné les plus fâcheuses conséquences. C'est ainsi que je me souviens d'avoir lu dans ma jeunesse, dans les Annales de Linguet, ce moyen par lui proposé à la France, pour n'avoir plus à redouter les disettes, d'aller nous approvisionner, avec nos vaisseaux, du riz nécessaire à notre consommation et dont la culture ne coûte rien ou presque rien dans quelques parties des Grandes-Indes; or, de substituer cet aliment à celui de la farine de nos céréales. L'adoption d'une telle idéc

nances sous la responsabilité des ministres ? Les lois sur cette matière ne me semblent pouvoir établir que des principes généraux pour servir de régulateurs. Mais comme les circonstances changent souvent, quelquefois même promptement et qu'on n'est pas toujours maître de rendre des lois dans les temps les plus opportuns, il me semble qu'il est indispensable que le minsitère ait une très-grande latitude pour pouvoir prendre sans retard toutes lesmesures d'exceptions, que peuvent exiger des circonstances particulières et quelquefois urgentes.

aurait eu pour inconvénient de rendre la France tributaire. des Indes, de faire abandonner presqu'entièrement en France la culture des blés et seigles, de nous exposer à la famine à l'occasion de la première guerre qui pourrait entraver la libre circulation de nos vaisseaux et enfin de faire passer tout notre numéraire dans les Indes, dont les habitans n'étant assujétis à aucun de nos besoins n'achètent que peu des produits de notre agriculture ou de notre industrie (1).

C'est ainsi que d'un côté l'envie de se distinguer, en se jettant dans des routes nouvelles et inconnues, et de l'autre la crainte des disettes, ont fait proposer des mesures si peu réfléchies qu'elles n'ont pas besoin d'une réfutation sérieuse. Quelques personnes ont même proposé la culture du riz en France, sans prendre en considération que sans aucun avantage réel, ce serait un système en opposition avec celui bien plus raisonnable, du desséchement de nos marais; d'autres ont proposé des greniers d'abondance, d'enterrer dans des cylindres de terres cuites des blés les années où ils sont à bas prix pour les années où ils sont

(1) Admettons que la population de la France soit seulement en ce moment de trente millions d'âmes, et que la consommation par jour et par tête soit seulement en blé ou seigle de 15 centimes, les Français, habitués à leurs céréales, s'ils n'en cultivaient plus, ne seraient rien moins que tributaires des étrangers d'un milliard 642 millions 500 mille francs, somme excédant le total des contributions annuelles. Suivant une ordonnance du 15 mai, insérée au bulletin des lois, n° 163, 2° partie, la population de la France est aujourd'hui de 32 millions 560 mille 934 habitans. Au lieu de calculer le prix de la consommation en céréales à 15 centimes par individu, en la portant seulement à 10 centimes par jour et par individu, la consommation totale, à raison de 365 jours 174 par an, serait encore d'un milliard 189 millions 288 mille 114 francs 35 centimes; somme immense qui, à ce titre, mérite la plus grande attention.

rares et chers; toutes choses reconnues plus ou moins inadmissibles ou dangereuses. Nous n'avons heureusement plus de famines depuis beaucoup d'années; quant au prix des blés, il a plus ou moins varié, mais on aurait peut-être tort de croire que l'élévation plus ou moins grande du prix des céréales est toujours en proportion directe de leur moindre ou plus grande abondance. La rareté plus ou moins grande des numéraires, entre divers pays, établit une extrême différence dans le prix des denrées également abondantes dans des pays où l'argent est plus ou moins rare. Par exemple, toutes choses égales d'ailleurs, il fait plus cher à vivre à Londres qu'à Paris, et le taux de l'intérêt de l'argent reste plus bas en Angleterre qu'en France; cela ne tient nullement à ce que certaines denrées sont plus abondantes dans un des deux pays que dans l'autre, mais tient à des considérations d'un autre ordre que ce n'est ici nullement la place d'examiner.

La législation sur les céréales doit donc avoir seulement pour objet d'en maintenir les prix à un taux qui ne dépasse jamais les facultés de la classe manouvrière, et cependant de les maintenir à un taux où le cultivateur puisse continuer d'avoir intérêt à les cultiver. Le problême certes, n'est pas facile. La pomme de terre paraît contribuer chaque année à la nourriture d'un plus grand nombre de personnes. J'ai ouï dire qu'un hectare planté en pommes de terre peut nourrir au moins huit fois plus de personnes que si le même espace avait été ensemencé en blé. Je ne sais si cela est parfaitement et généralement exact, mais en supposant que cela soit, il est à considérer, je crois, que la pomme de terre ne peut-être, comme le blé, un objet de grande culture, et que par conséquent elle doit nécessairement être l'objet d'une culture bien plus restreinte pour le manouvrier; le tems qu'il emploie à une culture est une véri

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