Page images
PDF
EPUB

table mise de fonds; s'il lui faut labourer à la bêche la partie de terre où il veut planter des pommes de terre, les planter à la main, enfin, s'il lui faut employer beaucoup plus de tems et de frais pour récolter un arpent de pommes de terre que pour récolter un arpent de blé, la pomme de terre peut lui revenir aussi cher que le blé, surtout si l'on considère que cet aliment n'est pas à beaucoup près aussi substantiel sous un même volume; que l'usage en étant moins général, peut-être par cela même est-il moins salutaire et cela indépendamment de ce que la pomme de terre se conserve plus difficilement sans altération que le blé, et que dès l'approche du printemps elle germe et devient d'un usage insalubre, dangereux même si l'on n'a pris pour sa dessication des précautions qui, par les soins, les frais et le temps qu'elles exigent, peuvent quelquefois ne pas être employées par les pauvres.

Quels changemens les progrès de nos arts et de notre industrie ont-ils déjà apportés et doivent-ils apporter dans notre agriculture? Je n'en sais rien. Un jour, peut-être, verrons-nous de nouvelles machines cultiver nos terres sans lesecours de chevaux et sous la direction d'un seul ou de quelques hommes? Cela est possible. Déjà le battage des grains, les semailles, etc., se font plus économiquement et plus parfaitement par des machines, qu'elles ne se faisaient à bras d'homme; ces inventions nouvelles ont-elles jadis existé? Se sont-elles ensevelies dans la nuit des temps? D'autres soucis, d'autres besoins ne donneront-ils pas aussi un jour pour nous une autre direction à notre industrie, à notre attention, à nos besoins? Cela peut fort bien être. En attendant, il faut en convenir, l'administration générale devient d'autant plus difficile que chacun sait ou croit savoir plus de choses. Aujourd'hui l'administrateur, ainsi que l'agriculteur, le manufacturier et le négociant ont besoin

plus que jamais, non-seulement d'être au courant des connaissances acquises en France, mais de l'être aussi de celles acquises par tous les peuples avec lesquels nous avons des relations commerciales, desquels nous pouvons apprendre des choses utiles et nouvelles. Cependant tout ce qui est borné de sa nature a nécessairement son terme. Telle est la vie de l'homme, telle a été et telle sera la durée des empires les plus florissans. Faisons des vœux pour la prospérité et le bonheur de notre belle France! Qu'un esprit de sagesse, et de concorde de paix fasse de tous ses habitans un peuple de frères, et les portent à tous les sacrifices indispensables au bonheur de tous ! C'est une erreur dont on est toujours péniblement désabusé que d'espérer, dans un état bien organisé, de pouvoir être seul heureux comme par privilége. On ne peut l'être qu'autant que la société en général est heureuse. Pour ramener plus particulièrement cette dernière pensée à mon sujet, je voudrais, s'il était possible, que tous les états comme tous les particuliers sussent établir un juste équilibre entre leurs dépenses et leurs revenus. Des états comme les particuliers se ruinent quand ils étendent leurs besoins et leurs dépenses au-delà de leurs facultés. L'ancien ministre Necker, entre mille erreurs qu'il a professées et qu'on a justement signalées, a soutenu à cet égard une doctrine que la sagesse et l'expérience ont confirmée, et qui fut celle de Sully et de Colbert qui l'avaient précédé ? C'est que les états s'enrichissent ou s'appauvrissent suivant que chaque année la balance de leur commerce extérieur leur est avantageuse ou onéreuse. Je voudrais donc, ainsi que cela a, dit-on, existé long-temps en Angleterre et dans les États-Unis d'Amérique, et peut-être comme cela existe encore aujourd'hui, que nos caprices, nos goûts, nos besoins même, se réglassent sur cette boussole de l'intérêt public,

ainsi qu'en général, pour nos consommations, nous donnassions la préférence aux produits de notre propre industrie sur ceux de toutes les autres parties du globe, fussent-ils, sous certains rapports, plus séduisans; et je voudrais même qu'à cet égard, animées d'un esprit plus réfléchi, les personnes en France les plus riches, les plus à portée de satisfaire leurs fantaisies de toutes espèces, donnassent l'exemple de ne consommer aucune des productions étrangères, les plus estimées et les plus recherchées, qu'après l'assurance qu'elles ne sont pas soldées des envois de numéraires, qui nous appauvrissent; mais par un échange tel de nos productions, qu'en définitive, il soit avantageux à notre commerce et vivifie notre agriculture et notre industrie. (1).

Tribert

(1) Il serait intéressant de connaître combien, depuis 50 ans, il a été importé annuellement en France de sucres étrangers, et ce qu'en définitive cette importation annuelle a eu d'influence sur notre balance commerciale. Je crois que la consommation du sucre étranger s'est progressivement accrue en France, et qu'elle nous est aujourd'hui très-onéreuse. Peut-être une simple diminution dans la consommation des sucres étrangers, des productions des Indes suffirait pour acquitter une grande partie de nos contributions et nous tirer des embarras qui souvent amènent tant de collisions. L'impôt dont l'assiette serait le plus utile serait celui que l'on pourrait mettre sur les facultés employées à servir les habitudes, non-seulement inutiles, mais plus souvent destructives par l'abus qu'on en fait.

Je suis sûr qu'il y a cinquante ans on faisait peut-être un usage dix fois moindre, en Europe, de sucre, de denrées coloniales et des Indes, de thés, de liqueurs spiritueuses, etc. : nos pères en étaient-ils moins robustes ? je ne le crois pas ; je ne sais pas au juste ce qu'on consomme actuellement par an en France de sucres étrangers et de productions des Indes. En Angleterre, la consommation en excède, dit-on, actuellement par an, 250 millions de francs, et la consommation est au moins aussi forte en liqueurs

I" APPENDICE AU MÉMOIRE DE M. TRIBERT

Sur la législation et le commerce des Céréales.

Le peuple, aux époques de la cherté des céréales, se trompe presque toujours sur les causes qu'il attribue à des accaparemens, à des complots capables de l'affamer et de l'exciter aux émeutes. Souvent cette cherté ne peut être attribuée qu'à l'insuffisance des récoltes et d'autres fois à un accroissement momentané du numéraire en circulation, circonstance qui élève le prix des grains dans la proportion de l'augmentation générale de tous les objets de consommation et de la main-d'œuvre. On a déjà vu, par une précédente note, que la consommation de la France, par mois, en céréales, ne s'élève pas à moins de cent millions; or il n'y a que de très-puissans capitalistes qui pourraient avancer des sommes aussi élevées; et on ne peut en supposer un seul, assez mal inspiré pour se hasarder à des spéculations de cette nature, non moins dangereuses que coupables. Le peuple, dans les chertés des grains, augmente toujours le mal; ses inquiétudes, ses turbulences le portent à s'opposer dans l'intérieur à la libre circulation des céréales, qu'il est d'autant plus important alors de ne pas gêner que cette circulation libre peut seule contribuer à l'exact répartition indispensable. Pour que la cherté ne se change pas en disette, le peuple n'a rien de mieux à faire

spiritueuses et fermentées. On remarque en général partout que les excès des uns suffiraient pour pourvoir aux nécessites des autres, si on faisait un sacrifice à l'intérêt général.

alors, que d'avoir confiance dans les administrations supérieures, qui ne peuvent avoir un autre intérêt que le sien, celui de pourvoir à tous les besoins et par tous les moyens possibles à ce qu'exigent les circonstances. Des disettes de grains sont actuellement plus rares en France qu'elles ne l'ont jamais été et entraînent à moins de malheur, ce qu'on me semble ne devoir attribuer qu'à des progrès faits dans la législation sur le commerce des céréales. Le gouvernement ne peut et ne veut pas plus qu'il ne le voulait et ne le pouvait jadis, se livrer directement au commerce des céréales, il en résulterait les plus graves inconvéniens. Il ne lui est d'ailleurs attribué aucun fonds pour pourvoir à la subsistance des départemens, qui éprouveraient les effets de la disette; mais de tous temps, comme aujourd'hui, les gouvernemens ont eu en leur puissance des moyens pour assurer la subsistance de la capitale de la France, celle des armées et des villes où la population est la plus considérable : ces moyens se multiplient à l'infini. L'un des plus efficaces est de ne permettre, dans les grandes villes, le libre exercice de bou→ langer qu'aux personnes pouvant justifier d'un approvisionnement de céréales suffisant pour plusieurs mois au moins. L'adjudication de la fourniture du pain aux troupes, aux maisons de charité, aux prisonniers, etc., est aussi faite sur adjudications avec toutes les garanties qui assurent son exacte exécution; toutes ces précautions jointes aux lois les plus sages sur le commerce des céréales, et aux mesures prises pour la prompte et sure exécution de ces lois, me semblent ne devoir plus permettre en France la moindre crainte d'éprouver la famine.

« PreviousContinue »