Page images
PDF
EPUB

en voyant mettre, en ce moment même, en question la conservation d'un établissement dont l'influence a été si puissante sur les progrès de l'agriculture française, et qui ne coûte ou peut facilement ne rien coûter au trésor public, lorsque l'entretien et l'augmentation du troupeau seront les seuls objets de dépense.

On ne doit point négliger de dire ici que le nombre de mérinos d'Espagne en France a été augmenté par de nouvelles importations, telles que celle de Gilbert en 1803, pour exécuter un article du traité de Bâle qui l'autorisait; celle de M. Poyferré de Cère, et plusieurs autres qui ont été postérieures ou simultanées, et parmi lesquelles on doit surtout remarquer celle d'une des plus belles réunions de moutons de l'Espagne, et qui a été l'origine du troupeau de Naz, dont les toisons sont comparables, pour la superfinesse du brin et pour l'égalité des diverses parties, aux toisons électorales.

Les droits perçus à l'entrée des produits étrangers, bruts ou manufacturés, ont surtout deux objets : l'un de fournir une portion des impôts indirects nécessaires à l'état; l'autre, de prêter à l'industrie nationale un appui tutélaire, pour lui donner le temps de se préparer à soutenir avec avantage la concurrence des produits étrangers; sous l'un et l'autre rapport, la conservation de droits imposés à l'introduction des laines étrangères importe beaucoup à la prospérité de la France. Sous le premier, elle ne fournit, à la vérité, à l'état, chaque année, que 2 ou 3 millions, qui d'ailleurs deviennent un motif, ou plutôt un prétexte, des demandes de primes à l'exportation des draps, primes qui coûtent annuellement une somme à peu près égale à celle des droits payés à l'entrée des laines, bien que la confection de ces draps exportés n'ait pu évidemment em

ployer qu'une très-minime partie de ces laines. Le second point de vue mérite une bien plus sérieuse attention : en effet, si l'on considère qu'en 1786, il n'existait pas en France un seul mouton de race mérinos, et qu'aujourd'hui il y a 500,000 mérinos de race pure, 3,600,000 moutons de races améliorées par divers croisemens successifs, et enfin 1,400,000 dont l'amélioration est commencée; on verra que depuis 46 ans, 5,500,000 bêtes à laine ont participé plus ou moins à cette amélioration inespérée, dont l'établissement de Rambouillet a été le principe, le modèle et le plus grand provocateur. L'influence de cette disposition sur l'économie rurale de la France a été si grande, qu'en laissant de côté la considération des progrès qu'elle a évidemment fait faire à l'agriculture pendant ces 46 années, et ne s'attachant qu'à son effet immédiat sur l'importation des laines fines, on voit que cette importation, qui était annuellement de plus de 6 millions pour les laines qui venaient directement d'Espagne, et, abstraction faite de celles de même provenance qui étaient importées par d'autres voies, n'est portée dans le tableau d'importation pour 1831, qui vous a été adressé par le Ministre, qu'à 825,923 kil., évalués à la somme de 1,173,487 fr. Il est important de faire remarquer ici que, sur cette quantité, 50,234 kil., évalués 132,177 fr., appartenaient à la lainé dite fine; tout le reste était en laine commune : aucune laine superfine n'a été tirée d'Espagne. En général, il paraît qu'on doit réunir la laine cotée comme superfine avec celle qui est seulement indiquée comme fine; car la première, qui figurait pour environ 150,000 fr. à l'importation, sur les premiers états de douanes qui ont suivi l'année 1820, n'est mentionnée sur l'état de 1831 que pour une somme de 3,719 fr.

L'examen de ce tableau pour 1831 vient offrir une nouvelle preuve à l'appui de ce que la commission a énoncé précédemment, que les primes accordées par le gouvernement à l'exportation des draps sous le nom de draw-back, et qui sont considérées comme un dédommagement du droit perçu à l'entrée des laines employées à la fabrication de ces draps, n'avaient, pour aucune époque, de rapport même approximatif ni proportionnel avec la quotité du droit perçu à l'entrée des laines; quelquefois même le draw-back est supérieur au droit perçu à l'entrée. En 1831, le gouvernement a donné en primes à l'exportation 2,496,728 fr., tandis que le droit perçu à l'entrée des laines n'avait rapporté que 1,733,002 fr. Il est superflu d'ajouter que plus de 9/10 de ces laines étaient classés sous le titre de communes, et n'avaient probablement été employées à la fabrication d'aucune espèce de draps en France, bien loin d'avoir contribué à la confection de ceux qui ont pu servir à l'exportation; et aussi puisqu'en cette même année 1831, sur 3,836,207 kil. de laines importées en France, 3,670,272 kil. sont indiquées comme communes, 165,273 kil. comme fines, et 662 kil. seulement comme superfines. La commission croit devoir ajouter une considération relative à ce sujet, et qui lui est suggérée par l'examen attentif des tableaux officiels qui lui ont été communiqués par le ministre : c'est que, dans l'espace de huit années, depuis 1824 jusques et compris 1831, la totalité des primes payées par le gouvernement pour l'exportation des draps, monte à 18,214,550 fr.; il est bien probable qu'une somme semblable, qui aurait été affectée aux progrès de l'agriculture pendant le même espace de temps, aurait exercé une bien puissante influence sur ces progrès, et aurait notamment assuré à la France la production indi

gène de toute la laine et de tous les moutons nécessaires à sa consommation et à son commerce extérieur, tandis que, d'après le rapport officiel qui vous a été communiqué au nom du Ministre, ces primes accordées à l'exportation des draps semblent n'avoir servi qu'à satisfaire momentanément quelques négocians, puisqu'il résulte de ce rapport que, jusqu'en 1826, et comme l'expéditeur du drap et l'importateur de la laine ne sont presque jamais la même personne, il s'était établi un brocantage de quittances de droits que les expéditeurs se procuraient à vil prix. La loi du 17 mai 1826, qui dispensa l'exportation de tissus de toute justification de droits acquittés et accorda la prime uniforme sur les draps et casimirs, n'est pas davantage une indemnité pour les droits payés à l'égard des laines introduites en France, qui seraient réimportées sous formes de tissus, puisque les draps et casimirs exportés peuvent trèsbien avoir été fabriqués avec des laines françaises.

Il est certainement fort difficile d'apprécier à la simple vue, avec une scrupuleuse exactitude, les degrés comparatifs de superfinesse des laines. M. Ternaux, dans ses écrits instructifs à ce sujet, déclare que les laveurs de laine et les fabricans eux-mêmes ont peine à reconnaître à la vue la différence de finesse entre deux échantillons, dont l'un vaut dans le commerce 8 fr. et l'autre 20 fr. le kil. Votre rapporteur a fait, soit avec MM. Charles, Tessier et Husard, soit avec M. Pouillet, des expériences nombreuses à l'aide du microscope solaire ou de micromètres très-perfectionnés; il a pu ainsi reconnaître avec précision les différences les plus délicates de finesse entre les laines et les poils de divers animaux, et ses expériences ont été favorables aux laines superfines françaises; mais de semblables instrumens ne peuvent être employés à comparer ces qua

lités sur le dos même de l'animal dont on cherche à apprécier la valeur sous ce rapport.

Lorsque l'on considère les immenses progrès que la France a faits dans l'amélioration de ses laines depuis moins d'un demi-siècle, et seulement à l'aide de l'exemple que le gouvernement a donné dans ses établissemens; des sages et utiles instructions qu'il a fait répandre, et des droits protecteurs qu'il a mis sur l'entrée des laines et des moutons étrangers, on est porté à croire qu'en suivant un système si modéré et si dispendieux, on parviendra, par une progression croissante, à obtenir que la France trouve sur son territoire toutes les espèces de laines qui peuvent servir à fournir abondamment en tout temps à sa consommation, et à soutenir la haute réputation dont son habile industrie manufacturière est depuis si long-temps en possession en ce genre de produits.

Il est hors de toute contestation, Messieurs, que la finesse de la laine, à quelque degré qu'on veuille la porter, dépend surtout du choix le plus judicieux et le plus constamment suivi dans les alliances entre les brebis et les béliers; ces alliances peuvent être dirigées, soit vers la plus grande finesse de la laine, soit vers la hauteur de la taille de l'animal, la forme du corps ou l'accroissement des parties charnues, suivant le but que se propose le cultivateur, ou suivant la nature du sol que son industrie doit exploiter pour la nourriture et l'entretien de ces animaux : partout, sans doute, avec des précautions convenables, on peut élever avec succès des mérinos purs ou croisés; mais il y a des localités où les soins indispensables deviennent trop multipliés et trop dispendieux pour le propriétaire. Dans ce cas, il reste encore une vaste carrière à parcourir pour les agriculteurs. Les bêtes à laine grossière sont celles qui manquent le plus

« PreviousContinue »