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Le but de la pétition a-t-il été atteint, je l'ignore. C'est un sujet de trop haute portée législative que je n'ai pas suivi avec exactitude, comme étant étranger à mes lumières.

Mais je me rappelle aussi qu'à cette époque, M. Ternaux, dont le nom est européen, a répondu à cette pétition, et a fait valoir des motifs puissans de son improbation; j'ai partagé et je partage encore son opinion. Je regrette beaucoup de n'avoir pas cette opinion sous la main, je crois que sa copie serait ma meilleure réponse au refus de la pétition actuelle.

La commission de la Société émet la crainte que la baisse des laines ne fasse faire un pas en arrière aux progrès de l'agriculture; je trouve cette crainte peu fondée : ce n'est pas le prix élevé des laines ni des bestiaux qui fait prospérer l'agriculture, c'est l'éducation progressive des cultivateurs. Donnez-leur une éducation relative; que le fils d'un cultivateur, comme l'a dit, avec tant de raison, M. Dombasle, ne soit pas tenu d'apprendre à écorcher un mauvais latin, mais à savoir bien son français, à posséder les connaissances élémentaires de la botanique, de la géométrie et de l'art vétérinaire; mettez-lui dans les mains un Olivier de Serre, un Cours d'Agriculture de l'abbé Rozier et de l'Institut; s'il n'est pas cultivateur après cela, cherchez à découvrir ses goûts, faites-lui faire tout ce qu'il voudra, mais ne gâtez pas le métier.

Que le fils d'un cultivateur voyage, qu'il fasse son tour de France, comme le charron, le maréchal, le bourrelier; à son retour, si les laines baissent, il saura remplacer ses troupeaux par d'autres bestiaux, ou il les doublera en supprimant toutes ses jachères, et au lieu que la loi, par une plus grande liberté de commerce, lui ait nui, elle aura été le sujet d'une augmentation de 30 p. 100 de ses bénéfices.

Les progrès de l'agriculture ne demandent qu'une émulation dirigée par des hommes instruits; n'en arrêtons pas le cours par de petits intérêts cantonnaux.

Il y a trente ans, tel drap qui ne vaut aujourd'hui que 30 fr. l'aune, valait alors 55 à 60 fr.; les laines valaient également le double de ce qu'elles valent aujourd'hui.

Eh bien l'agriculture a-t-elle diminué ses troupeaux? au contraire elle les a augmentés, et je suis persuadé que si j'avais la statistique du gouvernement d'alors, je prouverais par des chiffres la vérité de mon assertion.

Aussi, qu'est-il arrivé de la baisse des draps? une immense augmentation de consommation, progression vraiment mathématique; car tel qui pouvait avoir un habit, en a maintenant deux; et de la classe de ce dernier à celui qui peut en avoir un pour 30 fr. l'aune, il y a au moins la progression d'un à trois: ainsi, si un million d'individus ont pu, il y a trente ans, acheter un habit à 60 fr. l'aune, maintenant ce même nombre représente deux millions et trois millions de ceux qui, par la baisse, ont atteint la faculté d'y mettre 30 fr.; nous trouvons cinq millions

contre un.

De là est résulté le développement immense de nos grandes fabriques; ce développement a eu ses inconvéniens, chose inséparable d'une grande et nouvelle branche d'industrie; car si les fabriques ont confectionné des matières pour six millions d'individus, il s'est trouvé un excédant d'un million, ce qui a fait languir le commerce manufacturant, et même tomber beaucoup de maisons; mais ce mal est inhérent à la chose même, il faut que balance se fasse. Malheur à la trop grande ou trop tardive spéculation!

Mes observations sur l'introduction des bestiaux étran

gers sont basées de la même manière plus de bestiaux, plus de viande à consommer, et s'il y a baisse de 50 p. 100, nous atteindrons aussi cinq contre un de consommateurs; nous obtiendrons en outre une grande diminution dans nos cuirs et nos suifs que nous tirons de l'étranger, de là augmentations de tanneries, etc., etc. Je ne terminerai pas, Messieurs, ces observations générales sans vous en citer une aussi de mémoire, faite, je crois, par un de nos collègues.

Il demandait, il y a quelques années, que l'on mit par un tarif très-élevé, ce qui équivaut à la prohibition, des empêchemens à l'introduction des lins de la Belgique, parce que les cantons de Moy et Ribemont cultivent un lin grossier. Il aurait donc fallu que, pour faire prospérer quelques cultivateurs maladroits, ou n'employant qu'un terrain peu propre à la culture du lin, toute la France mit des chemises de lin et encore ne se servit que de linge de grosse toile.

Que faisaient-ils les cultivateurs de lin de ces cantonslà, lorsque la Belgique et la Hollande étaient réunies à la France? Et qu'auraient-ils fait, si la Belgique lui avait été réunie, ce qui cependant n'a tenu qu'à un fil?

Combien de fois, Messieurs, n'a-t-on pas fait également le procès aux machines en faveur du travail à bras d'homme; les machines l'ont gagné victorieusement espérons que de même les prohibitions seront vaincues par un grand et large système d'introduction d'objets étrangers, compensé par une exportation de nos produits, de nos vins, par exemple, qui ne demandent qu'une amélioration dans le défectueux système de nos douanes, pour fournir par leur sortie, la vie et le bien-être à un tiers de la France.

Les prohibitions ou les taxes aux entrées ne sont pas

seulement des entraves au commerce, elles sont l'empêchement le plus grand à l'industrie et aux progrès de tout genre.

Leurs effets se font sentir spécialement sur les sucres, objets maintenant en discussion. Je vais avoir l'honneur de vous exposer quelques observations à ce sujet; tout général qu'il est, il est aussi local, puisque nous avons plusieurs fabriques de sucre indigène ou de betteraves.

Le gouvernement commence à sentir que le sucre de betteraves va bientôt, par le bas prix de ses produits, ruiner le commerce des colonies. Que propose-t-il pour soutenir ces dernières ? Il propose de frapper d'un droit le sucre indigène; ce produit de la plus belle découverte, à peine née, il veut l'anéantir, et pourquoi? Pour soutenir dix ou quinze mille colons que nous avons dans nos chétives îles.

Sans ces îles malheureuses, sans leurs produits de sang, nous aurions le sucre à soixante ou quatre-vingts centimes la livre. Mais aussi nous n'aurions plus d'esclaves; cet horrible droit du fort contre le vaincu, serait anéanti; la France ne pourrait plus dire: je suis libre chez moi, et j'ai des esclaves !!!

L'abolition de la traite deviendrait une vérité; alors aurions-nous besoin de défendre cet infâme trafic, si nous n'avions plus les motifs qui le font faire ?

Je me suis souvent demandé: mais que fait le gouvernement des esclaves qu'il saisit à ceux qui font la traite? Il les vend à son profit à ceux qui les auraient achetés de ceux sur lesquels ils ont été saisis.

Les hommes demandent : faut-il des esclaves ?

Le gouvernement et les colons répondent, oui: il en faut pour soutenir les colonies. C'est-à-dire, pour nous faire

payer ce sucre trente à quarante pour cent plus cher que nous ne payerions sans elles, et persévérer dans un contrasie qui fait frémir la nature.

Ce n'est pas ici la place d'exposer les moyens qui militent pour ou contre l'esclavage. Quittons vite ce sujet, il donne des nausées.

Mais j'oserai émettre une opinion; je pense donc que si les nègres saisis étaient amenés en France, qu'ils y fussent instruits à peu près avec le mode que l'on emploie pour les sourds et muets, qu'ils apprissent notre langue, et que des savans apprissent la leur ou leurs différens dialectes, on obtiendrait d'eux une sorte de connaissances que nous n'avons que très-imparfaites, leurs mœurs, leurs usages, leurs religions; ensuite on en formerait des régimens coloniaux qui iraient avec nos hommes studieux et généreux reconquérir leur propre patrie il leur serait bien permis de rentrer dans le sein des contrées qui les auraient vendus.

C'est alors qu'appuyés par nous, par l'instruction que nous leur aurions donnée, ils fonderaient de nouveau ces colonies anciennes que l'on se plait à citer, ou bien nous pourrions les placer dans nos propres colonies pour en faire des propriétaires. Car tôt ou tard ceux actuels en seront expulsés par un déluge de sang, comme l'ont été ceux de Saint-Domingue. Cette digression sur les sucres m'a été suggérée par une pétition de quelques habitans du département du Nord, qui demandent au contraire qu'on établisse des droits sur les sucres indigènes, parce qu'ils craignent que la propagation de la culture de la betterave ne vienne au point d'envahir toutes les terres nécessaires à la culture des céréales. Pauvres cultivateurs !!!

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