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CORRESPONDANCE.

A M. le Secrétaire de la Société académique
de Saint-Quentin. (1)

MONSIEUR,

Je trouve à mon arrivée ici, après un mois d'absence, la circulaire adressée par la Société académique à ses membres forains, pour leur annoncer la publication d'un bulletin agronomique, destiné à propager la connaissance des succès obtenus dans la culture. Je ne puis que m'applaudir pour ma part de cette bienfaisante innovation qui permettra à ceux qui, comme moi, recherchent la lumière et la vérité de bonne foi, d'entrer en partage de tout ce que la science et l'expérience révèlent chaque jour à de plus habiles. Je n'ai pas la prétention de pouvoir offrir à mes collègues des choses qui ne leur soient très-familières; si toutefois quelque fait curieux ou utile m'était révélé, ce serait avec empressement que je le soumettrais à leur jugement.

Je n'ai pas cessé de prendre un vif intérêt aux travaux de la Société, et lorsque le temps, ou mes affaires me le permettront, je ne perdrai aucune occasion de venir chercher ses conseils et ses inspirations.

(1) La lettre qui suit s'est trouvée égarée dans les archives de la Société, et n'a pu être publiée dans le dernier No des Annales. La Société s'empresse de réparer, autant qu'il est en elle, un retard tout-à-fait involontaire.

Permettez-moi, Monsieur, de m'adresser à vous pour prier la Société de porter son attention sur un objet de la plus haute importance pour l'agriculture de ce départe

ment.

J'ai visité, dans mon dernier voyage à Paris, la fabrique de noir animal, établie à Grenelle, par MM. Payen et Salmon. Ces messieurs sont parvenus à établir au prix de 5 fr. l'hectolitre une substance, jusqu'à présent beaucoup plus chère, et dont l'agriculture tire un si immense parti, là où son emploi à pénétré, qu'elle l'a fait venir d'Allemagne, de Russie et d'autres contrées éloignées. Le noir animal, fabriqué à Grenelle, et dont le 31. cahier du Cultivateur a parlé avec beaucoup d'éloges et a signalé la supériorité, s'exporte par bateaux sur Nantes. Une moitié environ est envoyée aux iles; l'autre moitié est consommée dans la Bretagne et le Poitou, où sa supériorité sur tous les engrais connus et même sur la poudrette, le fait tellement rechercher, qu'on vient s'en approvisionner de vingt et trente lieues.

C'est surtout pour la culture des légumes, et notamment des choux cavaliers, si étendue dans ces contrées, que le noir animal est si recherché. Un pays comme le nôtre, où la culture de la betterave, des colzats, des carottes, etc., s'étend chaque jour davantage, trouverait, dans cette substance, d'immenses ressources. Si l'on considère que 18 hectolitres de noir, coûtant environ 100 fr., font une excellente fumure pour un hectare de terre, et constituent ainsi le meilleur engrais et surtout le moins coûteux (car 22 voitures du plus médiocre fumier coûteraient davantage ); si l'on a égard à la facilité du transport; si, surtout, l'on observe que le noir a la propriété d'éloigner les insectes et les mulots, et, qu'enfin, il com

muni que à la terre, avec sa couleur, la faculté d'absorber plus de calorique et de procurer une plus prompte maturité aux productions, on reconnaîtra dans cette substance un des plus importans élémens de richesse agricole.

MM. Payen et Salmon m'ont demandé si notre pays pourrait employer une certaine quantité de leurs produits. Ma réponse affirmative et la considération de la triple branche de navigation dont Saint-Quentin est le centre, les disposerait, non-seulement à y faire un dépôt, mais à y créer une fabrique. Mais ils désireraient que des essais fussent faits par les agriculteurs distingués du pays. Ils m'ont donc prié de proposer à la Société académique de Saint-Quentin la répartition, entre ses membres de la section d'agriculture, d'un bateau d'environ 500 hectolitres de noir, qu'ils enverraient et céderaient aux conditions les plus avantageuses possibles. Si nos collègues voulaient faire cette expérience, il en résulterait pour eux et pour notre pays des avantages incalculables; et il ne me semble pas que ces 500 hectolitres doivent être d'un placement difficile entre nous. Quant à moi, je souscris volontiers pour ma part.

Veuillez bien, Monsieur, soumettre à la Société ces courtes observations; elle jugera sans doute à propos de les faire connaître aux membres de la section d'agriculture, et de provoquer de leur part une expérience dont les résultats peuvent être décisifs pour la prospérité de ce dépar

tement.

J'ai l'honneur d'être, etc.

Jh. DE TURENne.

DROIT RURAL.

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Jutroduction.

LONG-TEMPS la nation française a méprisé les travaux de la campagne. Henri IV et son ministre immortel ont été chez elle les premiers qui aient senti réellement l'importance de l'agriculture. La durée du règne d'Henri IV a été malheureusement trop courte, et cette science n'a pas fait les progrès qu'elle devait faire. Son successeur, occupé à pacifier des divisions intestines, n'a point tourné ses regards sur les cultivateurs. Dans le siècle de Louis XIV, qui fut celui des sciences et des beaux-arts, on n'y a donné aucune attention; les arts les plus inutiles ont trouvé des protecteurs et d'habiles écrivains; l'art de cultiver la terre, mère et nourrice commune de tous les hommes, le plus utile de tous et le seul nécessaire, a été le seul qui soit resté dans l'oubli; on l'a abandonné à des mercenaires qui, soumis à de sots préjugés, n'ont cessé de suivre machinalement des méthodes de jour en jour plus imparfaites et plus vicieuses; le gouvernement a négligé d'éclairer le peuple, et l'imagination séduite a semblé destinée à ne devoir considérer cet art que comme un art grossier, ne pouvant avancer, ni reculer.

L'exemple des peuples les plus célèbres de l'antiquité, des Romains; l'exemple des rois, des princes, des empe

reurs les plus sages (1), qui avaient soutenu l'agriculture, en lui consacrant des sommes considérables, en publiant et laissant sur cette importante matière d'excellens écrits, n'avaient pu réveiller une mollesse endormie dans le sein du luxe et de l'oisiveté. Des années malheureuses, des années de disette n'avaient pu prouver à la France que la Providence avait destiné l'homme à la culture de la terre, que c'était là son plus noble et son plus ancien apanage, qu'enfin ce mépris qui se perpétuait, n'était qu'un reste de ténèbres et de barbarie.

Cette opinion paraîtra sévère; je n'ai pas cru, plus en cette circonstance qu'en toute autre, devoir cacher ce que j'avais pensé.

Mais, de nos jours, l'étude de l'agriculture a pris un essor immense, et devient l'objet d'une émulation presque générale.

Des hommes riches, des hommes versés dans toutes les sciences, des administrateurs zélés, appuient de leur autorité et de leurs moyens pécuniaires des expériences coûteuses qui, déjà, en beaucoup de nos départemens, ont eu l'effet, pour ainsi dire, de changer la face de l'ancienne agriculture.

Et la science de l'agriculture est une science nouvelle. Le goût de cette étude se propage dans toutes les classes avec une rapidité telle qu'il semble destiné à caractériser notre siècle et à lui faire donner le surnom du siècle positif.

Une époque unique s'est ouverte pour le bonheur du peuple; partout on s'occupe des moyens de doubler les

(1) Osias, Azarias, Hiéron, Attale, Archélaüs, etc., Jules Capitolin. Dans la vie de cet empereur, Albin dit: Agricolandi peritissimus, ita ut etiam Georgica scripserit.

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