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excellente position stratégique sur la mer Jaune, permettant de surveille: en même temps Pékin et la Corée. Des travaux considérables ont été faits pour rendre inexpugnable cette position qui est défendue par des troupes nombreuses, approvisionnées en prévision d'un long siège. Port-Arthur n'est cependant pas un abri suffisant pour une flotte de guerre, car sa rade, de dimensions assez étroites — on pourrait la comparer à la rade de Villefranche ne saurait donner asile qu'à un nombre limité de bâtiments. En outre, les travaux du port ne sont pas achevés, malgré l'activité incessante dont a fait preuve l'administration russe. Le bassin de radoub n'est pas terminé ; il ne le sera qu'au printemps. Cette circonstance, et le fait du blocus par les glaces de Vladivostok, poussent la Russie à faire durer les négociations le plus longtemps possible. Par contre, le Japon a un intérêt majeur à brusquer les choses. S'il veut faire la guerre, il doit se convaincre que jamais il ne trouvera occasion plus à son avantage, car le temps travaille pour la Russie dont il améliore et consolide chaque jour la situation en Mandchourie.

Au regard des deux ports de guerre russes, le Japon peut opposer les nombreux ports et rades que présentent ses côtes découpées à l'infini et qui offrent par là même des asiles à profusion pour ses navires. Se modelant sur l'organisation des puissances européennes, l'empire du Soleil Levant a partagé son littoral entre 5 préfectures maritimes : Yokosouka, qui se trouve près de Tokio; Sascho, au sud, dans l'ile de Kiou-Siou, à proximité de la Corée; Kouré, sur la mer intérieure du Japon, que sa situation met à peu près sûrement à l'abri de toute attaque; Maïzoura, à l'ouest de la grande île de Nippon; Ominato, dans la baie d'Avomori, à l'extrémité nord de Nippon. Des arsenaux bien outillés existent dans les trois premiers ports, permettant de réparer les bâtiments du plus fort tonnage; Sasebo, cependant, ne possède pas de bassin de radoub pouvant recevoir les cuirassés.

A côté des arsenaux de l'Etat existent des chantiers privés. Les plus importants sont ceux de Mitsu Bichi, à Nagasaki, employant journellement 5.000 ouvriers environ. Les travaux d'agrandissement qu'on effectue dans les docks leur permettront, une fois achevés, de construire des bâtiments de 20.00.) tonnes. A Kobé, se trouvent les chantiers de Kawasaki, qui sont également fort bien outillés. Yokohama renferme d'importants ateliers de construction et des bassins de radoub suscep

tibles de recevoir des navires de 6.000 tonnes, Ces chantiers n'ont pas toutefois l'expérience pratique des chantiers européens, ainsi qu'en témoigne l'essai assez malheureux que fit aux établissements d'Uraga le gouvernement des Etats-Unis dans une commande de canonnières destinées aux Philippines.

Sous le rapport des arsenaux et des ports, le Japon, qui puise ses forces au cœur même de son empire, paraît donc plus favorisé que la Russie, encore mal préparée et contrariée par la nature même de sa position coupée en deux par toute la masse de la péninsule coréenne.

Si l'on considère maintenant la valeur des deux flottes en présence, il faut reconnaître que la marine japonaise possède des navires construits avec les derniers perfectionnements modernes, une bonne artillerie et un excellent matériel, tout ce qu'il faut en un mot pour arriver au succès. Saura-t-elle tirer de tout cela le meilleur parti? C'est là un point dont la solution reste douteuse. Avec un parfait esprit d'imitation, le Japon a copié, on pourrait même dire calqué, l'organisation maritime des puissances européennes, comme il a copié leur civilisation, comme il s'est approprié le système d'organisation militaire et la tactique de ses instructeurs allemands, ainsi que l'a démontré son plan de campagne en Corée lors de la guerre de 1894.

Si, malgré des fautes graves de l'état-major japonais, les Chinois ont été battus sur mer et sur terre, cela tient surtout au manque d'organisation et d'esprit militaire de leurs troupes et à l'incapacité de leurs chefs. Ce qui a réussi contre les Chinois ne présente que de médiocres chances de succès contre les Russes, nation solide, tenace et rompue au métier des armes.

Une flotte moderne est un outillage excessivement délicat et il faut un doigté consommé pour savoir bien s'en servir. Les Japonais, qui ont créé leur flotte tout d'une pièce, n'ont pas eu le temps matériel nécessaire pour acquérir l'expérience qui est le résultat d'une longue pratique. Aussi leur corps d'officiers, formé un peu hâtivement, semble-t-il être, malgré son intelligence et son esprit ouvert à toutes les connaissances scientifiques, un peu inférieur à la lourde tâche qui paraît devoir lui incomber.

La flotte russe, au contraire, n'a pas eu cette éclosion rapide qui est la caractéristique de la flotte nipponne. Elle s'est formée lentement, progressivement, et son corps d'officiers, qui a depuis longtemps fait ses

preuves, a une expérience des questions navales que ne possèdent pas ses rivaux. Des deux côtés, officiers et marins feront preuve d'une har diesse, d'une bravoure, d'une abnégation et d'un patriotisme qui se vaudront certainement. Et comme les forces des deux adversaires se balancent à peu près également, la victoire restera, en cas de conflit, à celui des deux qui aura le mieux su utiliser l'excellent instrument qu'il a entre les mains. C. CILVANET.

EXPLORATEURS ET VOYAGEURS

AFRIQUE

M. Aug. Chevalier, dont nous annoncions (XXVIII, p. 736) l'arrivée au lac Iro, a exploré ce dernier en pirogue ainsi qu'une partie du cours inférieur du Bahr Salamat, la plus importante artère du Ouadaï. Il a ensuite gagné le sud du Dikakiré, en traversant une région parsemée de pitons granitiques, où vivent, dans des cavernes creusées en plein roc, des Troglodytes dont la taille ne dépasse pas 1,40. Ces petits hommes, qui sont d'un noir cendré, paraissent assez intelligents. Ils vivent du produit de la chasse et de la pêche et se nourrissent surtout de la chair du buffle ou de l'antilope, qu'ils tuent avec des flèches. Il existe chez eux une curieuse coutume: les jeunes hommes, quand ils ont 16 ans, tirent au sort les jeunes filles de 13 ans dont ils font leurs épouses. Ces Troglodytes sont fétichistes et apparentés aux tribus des Nouba du Kordofan. La traversée de ce pays difficile, où un lion a dévoré l'un des porteurs de la mission, s'est effectuée sans aucun acte d'hostilité de la part des indigènes. M. Chevalier a pu arriver sur le territoire du sultan de Baguirmi, qui l'a accueilli avec bienveillance et lui a donné l'appui nécessaire pour continuer ses recherches scientifiques. La mission se trouvait, au milieu d'août, dans la capitale du Baguirmi. Elle écrivait, le 29 septembre 1903, qu'elle allait commencer l'étude de l'archipel Kouri, dans le sud-est du lac Tehad.

Dans une autre lettre adressée à M. le d' Hamy, M. A. Chevalier fait connaitre qu'il a rencontré dans la région du lac Iro une dizaine de peuples dont le nom même était ignoré. Ces peuples appartiennent à la grande famille des Goullas, qui est apparentée aux Baguirmiens. Ces

Goullas sont en quelque sorte des hommes amphibies. Ils vivent au milieu de vastes marais, inondés la moitié de l'année et circulent dans ce milieu pour se livrer à la pêche ou se rendre à leurs cultures avec autant de facilité que s'ils se trouvaient sur une grande route, bien que l'eau leur monte souvent jusqu'à la ceinture et qu'ils soient exposés fréquemment à glisser sur la vase que recouvrent les eaux. La traversée de cette région marécageuse fut la seule difficulté rencontrée par la mission. Cette situation explique pourquoi cette contrée est restée mystérieuse, même pour les Arabes, qui jusqu'à ce jour ne s'approchaient que fort peu de cette contrée peu abordable pour faire des razzias et arrivaient seulement du côté de l'est ou l'accès est beaucoup plus facile.

ASIE

M. E. A. Martel a accompli durant l'automne 1903 une mission dans la région S. O. du Caucase pour le gouvernement russe, en compagnie de plusieurs ingénieurs russes et sous la direction personnelle de M. Yermoloff, ministre de l'agriculture et des domaines. Son champ d'exploitation portait sur le littoral de la mer Noire entre Novorossik et Soukoum Kalé. Cette région longue de 300 kilomètres et large de 30 à 50, s'est trouvée dépeuplée par suite de l'émigration, de 1860 à 1890 des Tcherkesses musulmans qui ont été s'établir en Turquie. Le gouvernement russe s'efforce de repeupler ce vaste territoire où existent d'ailleurs quelques stations balnéaires assez fréquentées comme Sotchi, Gagri, etc. M. Martel a rapporté de sa mission, qui a duré d'août à novembre, de précieux renseignements sur ce pays qui est plein de promesses pour l'avenir et se prête fort bien à l'installation de colonies prospères, mais est encore fort difficile d'accès, en dehors du littoral, les routes n'existant guère à l'intérieur et un projet de chemin de fer de raccordement avec les grandes lignes russes ayant été abandonné, ou tout au moins indéfiniment ajourné.

RÉGIONS POLAIRES

Le dr Charcot, après un séjour assez prolongé à Buenos-Aires, motivé par la nécessité de réparer une avarie, survenue à son navire le Français, s'est mis en route pour les régions du pôle antarctique et est arrivé le 15 janvier 1903 à Ushaïa, à l'extrémité méridionale de la Terre de Feu (1). Voici quel est l'itinéraire que se propose de suivre l'expédition (1) Voir la carte du pôle sud. Rev. Fr., janv. 1904, p. 4

française. Nordenskjöld étant retrouvé, le but du voyage devient exclusivement scientifique. Le dr Charcot, après avoir atteint l'archipel des Shetland du sud, franchira le détroit de Bransfield, gagnera l'archipel de Palmer, dont il s'efforcera de reconnaître les contours et descendra vers la côte ouest de la terre de Graham. C'est là qu'il établira son quartier général pour se livrer aux études scientifiques prévues dans son programme. Pendant ce temps, des croisières seront entreprises à l'ouest, aux îles Pittet Adélaïde, peu éloignées du littoral. Le d' Charcot ramènera son navire au commencement de mars 1904, époque où commence l'hivernage, pour séjourner sur la terre de Graham. Là, des raids à terre seront entrepris dans toute la largeur de la terre de Graham, encore fort mal connue, ou au sud, vers la terre Alexandre Ier, qui est encore à peu près inexplorée. A l'est, des reconnaissances seront poussées jusqu'à la mer de Weddell, c'est-à-dire jusqu'aux régions récemment reconnues par Nordjenskjöld. Ces explorations occuperont toute la fin de 1904 et le début de 1905, c'est-à-dire le printemps et l'été qui suivront l'hivernage prochain. Ce n'est donc pas avant le mois d'avril de 1905 que le d' Charcot compte être revenu en pays civilisé. Si, à cette époque, aucune nouvelle n'était parvenue de l'expédition, c'est que, par suite d'avaries ou même de la perte de son bâtiment, l'expédition, ainsi qu'il est arrivé à Nordenskjöld, se trouverait dans l'impossibilité de gagner, par ses propres moyens, le continent américain. C'est alors qu'une expédition devrait être envoyée à son secours, expédition qui serait d'autant plus nécessaire que le d' Charcot n'a emporté de vivres que pour 2 ans et, qu'à partir de décembre 1905, ses approvisionnements seront sans doute à peu près complètement épuisés. Afin de faciliter sa découverte, au cas de perte de son bâtiment, le dr Charcot s'est avisé du moyen suivant pour faciliter les recherches. Partout où l'équipage aura débarqué et sur les points les plus saillants de son exploration, l'équipage marquera son passage au moyen d'un cairn, c'est-à-dire d'une perche enfoncée au centre d'une pyramide de pierre; et, sur chacun de ces points, il laissera une boîte où seront déposées des instructions qui, s'il se trouvait ultérieurement en détresse, renseigneraient l'expédition venue à son secours sur l'itinéraire qu'il faudrait suivre pour avoir chance d'arriver jusqu'à lui. Grâce à ce procédé, qui faciliterait singulièrement les recherches, il serait sans doute toujours possible de suivre la piste des membres de l'expédition.

XXIX (Février 1904.) N° 302.

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