Page images
PDF
EPUB

dirigèrent vers l'Est par un sentier très mal indiqué de loin en loin par des tas de pierres. Ils franchirent ainsi un col situé à environ 5.600 mètres et tombèrent à l'est de Baba-Hatsun, probablement dans la vallée du Kiria-Daria. Ils en atteignaient les sources, le 17 septembre. Là, au milieu d'un enchevêtrement inextricable de montagnes et de vallées, il était difficile de se diriger. Renonçant à gagner Roudok, désireux d'atteindre Leh, par la passe de Lanak, voulant à tout prix éviter le désert Aksaï-Tchin, ils prirent une vallée qui... les mena tout droit dans ce désert. Cette vallée, bordée de montagnes infranchissables, se prolonge vers l'Ouest; elle est sablonneuse, renferme deux grands lacs. dont l'un salé, et plusieurs cours d'eau qui s'y perdent. Les effets de mirage, déformant les lacs et donnant l'illusion de l'eau, y sont prodigieux.

Le 25 septembre les voyageurs, arrivés au bout de cette vallée, abordent une chaîne orientée vers le N.-O.; ils la gravissent par un col situé à 5.600 mètres, et tombent dans une vallée de même orientation. Comme à l'Ouest, des montagnes infranchissables limitent cette vallée, il faut la descendre et, malgré la fatigue et la fièvre, souffrir, par surcroît, du manque d'eau. Après avoir enfin découvert une source, abandonnant tout, sauf les vivres, la tente et les couvertures, les voyageurs suivent la rivière qui naît de la source. Elle les mène vers le S.-O.; mais gravissant les crêtes de la vallée dans cette direction, ils parviennent sur un plateau glacial à 5.700 mètres d'altitude et la descente leur en paraît si périlleuse qu'ils rebroussent chemin. Ils reviennent à la rivière, mais épuisés l'un et l'autre, le capitaine souffrant, sans le savoir, d'une phlébite qui lui paralyse une jambe, ils envoient alors deux caravaniers en exploration. Ceux-ci ne reviennent qu'au bout de onze jours, le 13 octobre, ramenant 3 Kirghizes, 4 chameaux, 2 chevaux et 1 mouton. C'est le salut.

Les Kirghizes leur apprennent que la rivière où ils se trouvent est le Karakach et leur proposent de les conduire, non par la passe de Lanak, inconnue d'eux, mais par celle de Karakoroum. Après avoir rassemblé leurs bagages, les voyageurs gagnent, malgré leur souffrance, le campement des Kirghizes trois yourtes au milieu de broussailles où paissent leurs troupeaux. Pendant que le capitaine se rétablit et que son compagnon américain tombe malade, leur caravane s'organise à Potach, localité inhabitée, sise à une journée de marche du camp des Kirghizes. De

là, par la montagne, les voyageurs gagnent la route du Karakoroum, qui relie Yarkand à Leh. Fréquentée depuis des siècles, cette route reste ouverte d'août à novembre, quoique peu praticable, c'est une importante voie commerciale. Pendant la bonne saison, on y croise chaque jour trois caravanes apportant le feutre, les lainages et l'opium du Turkestan, ou les étoffes, le sucre, le thé et les épices de l'Inde. Le sentier qui suit une vallée sablonneuse à pente douce, quoique jonchée de carcasses, est bon jusqu'au col, que l'on atteint par quelques lacets. Aux environs du col, les cadavres abandonnés forment un véritable charnier. La région est en effet désolée; pas une herbe. Il faut emporter du combustible. L'eau qui est rare, est à l'état de glace, et la nuit il gèle à 30 degrés. Les voyageurs franchirent le col du Karakoroum (5.655 mètres) le 26 octobre. Puis traversant le Shayok, ils arrivèrent au glacier de Séchir, où ils échangèrent leurs chameaux contre des yaks.

Séchir est un point d'arrêt. Bien peu de caravanes vont de Yarkand à Leh, ou inversement. A Séchir se fait l'échange des produits. Il n'y a pourtant pas de maisons, mais de petites enceintes de pierres qui abritent les marchandises, objets d'échange. MM. Crosby et Anginieur, guidés par des Tibétains de Ladak, et suivis de yaks qui, quoique lents, ne souffrent pas du froid sur ces hautes latitudes, et très bas sur pattes, ne risquent pas de tomber, traversèrent en quatre ou cinq heures pénibles le glacier de Séchir (5.460 mètres) et arrivèrent le 30 octobre à Panamik, sur un affluent du Shayok, où ils revirent avec plaisir des peupliers, des saules, des abricotiers et surtout des maisons.

Le petit Tibet, où ils étaient ainsi parvenus, est une région des plus curieuses. La population, placée sous la dépendance potitique du maharajah de Kachmir et l'autorité religieuse du Dalaï-Lama, a un aspect tout particulier. Ces Tibétains ont les cheveux longs et la queue comme les Chinois. Leurs femmes portent sur la tête un ornement bizarre, couvert de turquoises, qui descend jusqu'au milieu du dos. Polyandres et polygames, ces gens vivent en famille. Les frères épousent, par exemple, la même femme, et c'est l'aîné qui est reconnu père de tous les enfants. Ces mœurs contribuent à la décroissance de la population. De nombreux couvents de lamas sont perchés en nids d'aigles sur les cimes des montagnes. Des moulins à prières les entourent, et la campagne est couverte de « tchotens », édicules autour desquels il faut tourner à gauche en guise de prière.

Traversant une dernière fois le Shayok, les voyageurs, sur des yaks, franchirent la passe de Kardong (5.560 mètres), glacier à pente très raide, et le 1er novembre, arrivèrent à Leh, capitale du petit Tibet (2.000 habitants. altitude 3.439 mètres). Un bon sentier suivant d'abord l'Indus, passant ensuite par Kargil et le col de Zôji, où tous les 10 milles on trouve des bungalows et des relais de chevaux, conduit à Srinagar. Les voyageurs, après une marche sur l'Himalaya que la neige rendit pénible, atteignirent le 11 novembre cette ville enchanteresse, s'installèrent dans un luxueux hôtel et, quittant enfin leurs peaux de mouton, se déshabillèrent pour la première fois depuis 64 jours. De là, en voiture, ils se firent conduire à Rawal-Pindi pour y prendre le train.

Si la haute région parcourue, dénuée de ressources, n'a aucun avenir, le capitaine Anginieur et son compagnon américain ont vérifié les sources permanentes du Karakach, découvert une route qui traverse le désert d'Aksaï-Tchin et M. Crosby a relevé approximativement, à l'aide de la boussole et du sextant, l'itinéraire suivi.

Enfin, en parcourant cette région déserte, âpre et sauvage, qui sépare les deux empires russe et anglais, on peut se rendre compte combien peu franchissable est la barrière existant entre ces deux puissances. Quant aux Français, leur nom est complètement inconnu dans ces régions, il est remarquable cependant que celui des Francs n'ait pas été oublié. Les indigènes, en effet, ne désignent les Européens que sous le vocable de « Franchis ».

EXPLORATION TOUSSAINT

M. G.-Ch. Toussaint, se rendit comme le capitaine Anginieur, en Kachgarie, mais, au lieu de se diriger vers le Tibet, il prit la direction de Tien-Chan et de la Mongolie.

Le 2 septembre 1903, il partit de Och, dernière ville du Turkestan russe, et gagna Kachgar en 10 jours par le Terek-davân. Se dirigeant ensuite vers le N.-E., il passa à Altyn-Artych (où sont les ruines d'une grande mosquée détruite en 1902 par un tremblement de terre) et reconnut le lac salé Chor-Kel ou Zembil-Koul (en voie de desséchement). Ce lac n'occupe plus qu'une petite partie de son ancien lit, qui forme une dépression allongée de 70 kilomètres. M. Toussaint, par Ptchân et la montagne, atteignit la vallée du Kok-Chaal, qu'il suivit jusqu'à Outch-Tourfan.

Faisant route vers l'angle S.-E. de l'Issyk-Koul, il rencontra, le 29 septembre, au delà de Oury-Tal, le dernier officier chinois de la. frontière. Il franchit ensuite, par un col, une ligne de crête du Tienchan, reconnut le petit lac d'Oukourghen, traversa le défilé blanc (AkBel), puis remonta la rivière Iak-Tach, affluent de la rivière Naryn. L'explorateur, se dirigeant alors vers le nord, franchit la haute arête qui domine l'angle S.-E. de l'Issyk-Koul, puis parvint, à travers de vastes forêts de sapins, à la vallée du Zouko-Sou, sur la rive gauche de laquelle il releva une inscription tibétaine. La descente sur l'Issyk-Koul est escarpée et très difficile à cause des glaces qu'on y rencontre. Le col, qui est assez long, est occupé presque entièrement par une série de petits lacs minúscules.

Près de Slikina, M. Toussaint rencontra un premier poste russe, d'où il gagna Kara-Koul nommée Prjevalsky, du nom du grand voyageur russe, puis la rive septentrionale de l'Issyk-Koul et enfin il se dirigea vers Kouldja. A 25 kilomètres au N.-E. de cette ville, il visita, le 12 octobre, un campement de Kalmouks lamaïstes. Il se rendit après au mazar de Korgos, près duquel il vit les ruines d'une cité nestorienne. Par Djarkent, Kopal, Semipalatinsk et Barnaoul, M. Toussaint rejoignit enfin le chemin de fer transsibérien, dont il se servit jusqu'à VerkhnéOudinsk. Repartant de ce point, il se rendit à Kiakhta, puis à Ourga (19 novembre 1903) et à la lamaserie Mendju-Cri-lamaï-Khit, située derrière la montagne sainte d'Ourga, où sont près de 1.000 lamas. Bien accueilli par le chef (Khoubilgân), il put visiter en détail les yourtes et les installations des lamas, les temples aux salles étroites et sombres, remplies de livres et de figures sacrées et enfin les rochers sculptés, peints et dorés situés sur l'escarpement au bas duquel se trouve la lamaseric. Le voyageur revint à Ourga, puis à Kiakhta, en voiture traînée par des cavaliers mongols. Ayant rejoint le chemin de fer, il fut transporté à Pékin, d'où il visita les tombeaux des Ming. Après un repos de 2 semaines au Japon, il rentra à Paris le 25 janvier 1904.

NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES

AFRIQUE

Algérie Alger concurrent de Gibraltar. Depuis plusieurs années, le port d'Alger fait une concurrence sérieuse à celui de Gibraltar pour les relâches des navires. De 1889 à 1903, en effet, les exportations de charbon du port anglais ont baissé de 78 %, tandis que celles du port algérien ont presque quintuplé. Cela tient à l'infériorité du prix du combustible à Alger, à la supériorité de l'outillage de ce dernier port, et à la facilité des opérations. Pour 1903, Gibraltar n'a plus fourni aux navires que 124 000 tonnes de charbon (soit 43 000 t. de moins qu'en 1902, 95 000 de moins qu'en 1901, et 438 000 (ou 78 %) de moins qu'en 1889), alors qu'Alger a pu en vendre 333 000 tonnes (soit 36000 t. de plus qu'en 1902 et 272 000 t. de plus qu'en 1889).

En 1903, 1860 navires ont relâché à Alger, soit 672 de plus que l'année précédente. Alger a la préférence par suite de sa situation géographique, de ses facilités d'accès de jour et de nuit, de la rapidité des opérations, des garanties que ce port présente comme quantité et qualité de combustible. Les transporteurs trouvent avantage, en s'y arrêtant, à abréger le nombre d'heures qu'il faut sacrifier, en cours de route, pour se ravitailler. Les prix de vente à Gibraltar, s'ils ont été supérieurs à ceux d'Alger pour les contrats et marchés en 1903, ont été, par contre, inférieurs pour les opérations libres. Néanmoins, les avantages du port d'Alger ont déterminé les armateurs à ne pas tenir compte d'une légère augmentation de prix du charbon en raison des autres facilités qu'ils trouvaient pour leurs navires dans ce port.

Maroc Contrôle français des douanes. Le premier acte de la pénétration pacifique de la France au Maroc s'est accompli dans la sphère du régime douanier. A la suite de l'emprunt qu'il a contracté en France, le sultan a donné comme gage du service des intérêts de cet emprunt les recettes des douanes de son empire. Dans le but d'assurer la rentrée des fonds, M. Regnault, consul général de France, a été envoyé à Tanger afin d'organiser un service de contrôle des douanes. D'accord avec le gouvernement marocain, il a installé dans chacun des ports de Tanger, Tetuan, Saffi, Casablanca, Rabbat, Larache, Mogador et Mazagan, un représentant chargé de la surveillance des agents marocains qui restent cependant en fonctions pour la perception des droits. Cette installation s'est faite sans difficultés par suite des instructions données par le sultan. La quote-part à prélever pour le service des intérêts de la dette a été fixée d'un commun accord. Cette première installation d'agents français de surveillance est d'un heureux augure pour la pénétration de l'influence française. Le sultan, de son côté, ne fera qu'y gagner au point de vue de son budget, car le contrôle français aura pour conséquence d'amener une bien plus grande régularité dans le service fort défectueux des douanes marocaines.

« PreviousContinue »