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HARVARD COLLEGE LIBRARY

GIVEN IN MEMORY OF ARCHIBALD CARY COOLIDGE

OCT 21 1930

LES ANGLAIS AU TIBET

CONSIDÉRATIONS POLITIQUES

Il y a déjà longtemps que les Anglais nourrissent le projet de soumettre le Tibet à leur influence, mais jusqu'à présent les différentes tentatives qu'ils ont faites dans ce sens ont échoué. Le Tibet s'est toujours obstinément refusé à toute influence de la part des étrangers en général, et des Anglais en particulier. Il semble même que les Tibétains se méfient plus spécialement des Anglais comme tendraient à le prouver les récits de l'explorateur suédois Sven Hédin et du capitaine russe Kozlov. Le premier rapporte que, lorsqu'il fut arrêté, par les Tibétains à environ cinq étapes de Lhassa, le bambo (sous-gouverneur de la province) vint le trouver dans son camp avec une escorte de 67 soldats et lui déclara • qu'étant Anglais il lui fallait rebrousser chemin ». Lorsque le bambo apprit que Sven Hédin n'était pas Anglais il se montra plus bienveillant à son égard.

Quant au capitaine Kozlov, il a également constaté que les Tibétains n'aiment pas les Anglais : « Il suffit, dit cet officier, qu'un Européen soit blond et qu'il ait les yeux bleus pour qu'immédiatement les Tibétains soient mal disposés pour lui. » Quand ces derniers surent que le capitaine Kozlov et ses compagnons étaient de nationalité russe et venaient du nord, ils se tranquillisèrent et changèrent d'attitude. Les autorités locales se mirent même à la disposition des membres de l'expédi tion pour les aider à se procurer des vivres.

Les Anglais ont d'ailleurs déjà eu maille à partir avec le Tibet; en 1886 une troupe de guerriers tibétains a envahi le Sikkim, état protégé par les Anglais, et s'est avancé jusqu'à une centaine de kilomètres de Darjiling. En 1888, après des négociations longues et infructueuses avec Pékin et Lhassa, les Anglais ont repoussé cette invasion par la force des armes. Les Tibétains, qui ont une véritable passion pour la construction de murailles, en élevèrent une à cette époque au défilé de Jelep-la, situé à plus de 4.000 mètres de hauteur et mettant en communication le Sikkim avec la vallée du Chumbi. Toutefois, dès qu'ils furent sérieusement attaqués, les Tibétains prirent la fuite et furent poursuivis par les Anglais jusqu'à une courte distance au delà du territoire britannique. Aussitôt après cet incident, les Anglais ouvrirent avec le Tibet de nou

velles négociations qui se terminèrent en 1890 par la conclusion d'un traité déterminant le tracé de la frontière anglaise, autorisant l'ouverture de marchés et donnant des facilités au trafic commercial des Indes anglaises avec le Tibet. C'est précisément la non-observation de ce traité par les Tibétains qui a causé le conflit armé imminent entre ces derniers et les Anglais.

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<< Depuis 1890 jusqu'à nos jours dit le Times-les Tibétains ont systématiquement violé notre frontière, et, de plus, ils n'ont rempli aucun de leurs engagements en ce qui concerne le trafic commercial. L'oligarchie qui gouverne Lhassa détient le commerce chinois dont elle tire en grande partie sa richesse, et met obstacle à l'importation de toutes les marchandises provenant des Indes anglaises. >>

N'ayant pas la possibilité d'exercer une pression directe sur le gouvernement de Lhassa, les Anglais se sont adressés à la Chine qui considère le Tibet comme un état vassal, mais ils n'ont pas obtenu, tout d'abord, de résultats satisfaisants. Enfin l'an passé, l'Angleterre a réussi, par l'intermédiaire de la Chine, à obtenir du gouvernement tibétain que ce dernier consentît à désigner plusieurs fonctionnaires munis de pleins pouvoirs pour examiner, avec des commissaires des Indes anglaises, les questions de frontières et de commerce en litige. La localité désignée comme point de rendez-vous des représentants des deux gouvernements était Khamba-jong.

A la fin de juin dernier, le secrétaire d'État pour les Indes, lord Hamilton, interpellé au Parlement anglais au sujet du bruit qui courait de l'envoi d'une expédition au Tibet, répondit à peu près en ces termes : « Le gouvernement de la Grande-Bretagne prend des mesures préparatoires pour envoyer des commissaires dans l'une des villes tibétaines les plus proches de la frontière du Sikkim, où ils se rencontreront avec des fonctionnaires du Dalaï-lama munis de pleins pouvoirs. >>

La seule route de communication entre le nord-est des Indes et le Tibet traverse le Sikkim, élat vassal de l'Angleterre, qui est situé entre le Népal et le Bhoutan. Une ligne ferrée a été construite jusqu'à Darjiling; elle est prolongée au nord jusqu'à la frontière du Sikkim par une route ordinaire. Mais les seules sentes existant pour traverser le Sikkim, franchir l'Himalaya et déboucher dans le Tibet n'étaient guère accessibles même à des bêtes de somme avant le printemps dernier. Il était done de toute nécessité, pour les Anglais, de construire une route leur dou

nant accès au Tibet. Or les Tibétains en autorisant imprudemment les Anglais à désigner, comme lieu de rendez-vous des commissaires des deux gouvernements chargés de négocier, Khamba-jong, situé sur le versant nord de l'Himalaya, ont fait le jeu de leurs adversaires. Cette autorisation a permis aux Anglais de prendre ce que lord Hamilton appelait, comme on l'a dit plus haut, « des mesures préparatoires », c'est-àdire de construire une route allant de la frontière du Sikkim à Khambajong. En effet, au commencement du printemps dernier, le 37° bataillon de sapeurs et une compagnie de mineurs ont commencé la construction de la route en question. Au mois de juillet, le colonel Younghusband et M. White, munis de pleins pouvoirs, se sont rendus à Khamba-jong avec une escorte armée évaluée par les uns à 300 et par les autres à 600 hommes.

Dans le courant de septembre, le gouvernement de Lhassa, ayant eu connaissance des travaux entrepris par les Anglais pour construire une route, et informé qu'un détachement de troupes accompagnait les commissaires, comprit les véritables intentions du gouvernement des Indes. Ce fut alors que le Tibet se refusa à toute discussion, tant que les soldats anglais seraient sur son territoire. Le colonel Younghusband, laissant son escorte fortement retranchée à Khamba-jong, retourna aux Indes, pour exposer la situation à lord Kitchener, qui décida l'envoi au Tibet d'une expédition militaire.

Les Anglais, disposant d'une route pour se rendre au Tibet, et déjà maîtres de la localité occupée par l'escorte du colonel Younghusband, ont résolu de ne pas laisser échapper une aussi belle occasion. Il est évident que, dans ces conditions, le succès d'une expédition militaire au Tibet est presque assuré. Les Anglais se proposent d'occuper la vallée tibétaine du Chumbi, située entre le Sikkim et le Bhoutan, puis de marcher vers le nord et de s'emparer de Gyangtsé, localité située à environ 250 kilomètres au sud-ouest de la ville sacrée du Tibet, Lhassa, résidence du pape des boudhistes, le Dalaï-lama.

« Si les Anglais, écrit le Novoé Vrémia, réussissent à mettre leur plan à exécution, ils seront maîtres du Tibet, car, de Gyangtsé, leurs troupes menaceront constamment Lhassa. Le prestige de l'Angleterre, si sérieusement ébranlé par la guerre contre les Boers (la nouvelle de cette guerre est parvenue jusque dans les régions les plus inaccessibles du continent. asiatique), sera alors complètement rétabli aux yeux d'un demi-milliard

de boudhistes, et la Grande-Bretagne aura en Asie une influence prépondérante, du fait même qu'elle établira son autorité sur le sol sacré du Tibet. On ne peut pas espérer que les Tibétains puissent résister aux Anglais, et les empêcher de franchir l'Himalaya; les forces des deux parties sont trop inégales. Mais cependant, il serait possible d'arrêter la marche des Anglais, en opérant une diversion sur quelque point, ce qui serait particulièrement désagréable aux hommes d'état anglais. >>

Le Novce Vrémia dit encore que le voyage de lord Curzon au golfe Persique, entrepris dans le but d'affermir l'influence anglaise dans les régions situées à l'ouest des Indes, se trouve complété par l'expédition militaire envoyée au Tibet, qui aura pour conséquence de reculer les frontières des Indes au nord-est.

Le gouvernement anglais considère comme une insulte le refus du Tibet d'envoyer des représentants à Khamba-jong; il en prend prétexte pour organiser une expédition militaire. « A ceux qui seraient disposés. à critiquer cette mesure, lisons-nous dans le Times, nous rappellerons les paroles prononcées par sir Joseph Hooker, il y a plus de 50 ans, et qui sont encore plus vraies aujourd'hui qu'à cette époque :

« N'oublions pas que les Asiatiques interprètent comme de la faiblesse les concessions que nous leur faisons. Il est impossible d'espérer que des gens, qui ne peuvent vivre en bonne harmonie avec qui que ce soit, entretiennent avec nous des relations amicales. Nous aurons beau les menacer de notre force, nous serons considérés par eux comme de simples fanfarons, tant que nous ne nous déciderons pas à les châtier pour leurs insultes préméditées. Aucun gouvernement n'est plus tolérant et plus sincèrement désireux de la paix que celui des Indes anglaises, mais ce même gouvernement ne peut conserver une attitude pacifique, qu'en exigeant en même temps le respect et la rigoureuse application des traités qu'il conclus avec les Chinois des Indes. >>

RENSEIGNEMENTS GÉOGRAPHIQUES

Dans un article intitulé « L'expédition du Tibet », et publié par le Times, sir Douglas W. Freshfield déclare que les renseignements géographiques que l'on possède sur le Tibet sont généralement faux; il fait de cette région une description que nous résumons ci-dessous.

Le Tibet n'est pas uniquement constitué, comme on l'affirme fréquemment, par des plateaux stériles situés au delà de l'Himalaya. Entre le

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