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Tout est fini! s'écria-t-il en balbutiant; les brigands ont forcé les portes et massacrent tout le monde... Priez, notre dernière heure est arrivée.

En disant ces mots, il s'agenouilla devant le crucifix. Au premier moment, je restai paralysé et incapable de dire une seule parole. Toute la pièce se mit à tourner devant mes yeux, et, quand je revins à moi, le Père n'était déjà plus dans la cellule.

Le premier sentiment que j'éprouvai, et dont je pus me rendre pleinement compte, fut que tout espoir de salut était irrémédiablement perdu, et qu'il était impossible de conjurer la mort, arrivant à pas rapides. Ce sentiment était atroce. Je compris alors parfaitement ce qu'est pour l'homme l'espérance. A proprement parler, pendant toute la durée du siège, cet espoir était resté caché dans mon cœur et avait soutenu mon courage: maintenant, il avait disparu. Je pensai ensuite à ma mère et à l'impossibilité de lui adresser par écrit un dernier adieu; je me figurai son chagrin. Cette pensée fut chassée par l'irritation que me causa la conscience de mon impuissance, qui m'obligeait à attendre, couché et les bras croisés, la mort et, qui plus est, des tortures atroces. Ma gorge se dessécha, tout mon sang afflua au cœur qui commença à battre d'une façon spasmodique. Les pensées se succédèrent dans mon esprit comme des éclairs; je passai en revue tout mon passé. C'était ce qu'on appelle l'adieu à la vie. Et, mon Dieu, comme cette vie me parut précieuse en cette minute! Mais, en même temps, toutes mes pensées se concentraient sur quelque chose d'étrange, d'inexorable, qui s'approchait. C'est la mort qui vient! répétai-je dans ma fièvre, et ma tête faisait des efforts pour calculer les minutes, les secondes... que j'avais encore à vivre! Dans combien de temps, les Chinois, après avoir massacré tous ceux qui sont dans les cours, arriveront-ils ici? Comment entreront-ils dans notre cellule? Par la fenêtre ou par la porte? Alors, surgit devant moi la vision horrible des tortures; on arracherait la peau de mon corps encore vivant, et on me brûlerait avec un fer rouge! Au même moment, j'entendis la voix faible de mon camarade me disant : «< Capitaine, tuez moi! >>

Ces paroles changèrent le cours de mes pensées, et me produisirent une sensation presque agréable : C'est vrai, pensai-je, on peut se soustraire à tous ces supplices; il suffit de presser sur une détente et tout est fini! En attendant, les coups de feu et les cris ne cessaient pas et se

rapprochaient de plus en plus. J'avoue que je ne trouvai pas extraordinaire cette demande de mon camarade qui n'avait pas la force physique nécessaire pour se détruire, et que je ne m'effrayai pas à la perspective d'être obligé de le tuer avant d'en finir avec moi-même. Mon revolver était suspendu à la muraille au-dessus de mon traversin, et soudain mon cœur se serra douloureusement, je croyais l'avoir déchargé entièrement lors de la prise de l'impan, et je ne pouvais me souvenir si je l'avais rechargé ou non. Il n'y avait pas de cartouches à ma portée et je n'avais personne sous la main pour m'en aller chercher.

Je retirai le revolver de son étui, en me contractant sous l'empire de la douleur que me causait ma jambe, car j'avais été obligé de me soulever un peu. J'enfonçai mes doigts dans les logements du barillet, et je constatai avec joie qu'ils contenaient tous les six chacun une cartouche. Je me rappelai seulement alors que j'avais rechargé mon revolver en rentrant à la mission après le combat.

« Allons, il faut régler ses comptes avec la vie », me dis-je avec fermeté, et, j'armai mon revolver.

La fusillade commença à cesser, et dans la cour j'entendis le bruit de nombreux pas précipités. Les voici tout près, pensai-je, et de nouveau mon voisin me dit en gémissant :

« Mais tuez-moi donc au plus vite, je vous en supplie! »... En ce moment il se produisit quelque chose d'inattendu un formidable hourra russe parvint jusqu'à nos oreilles; il gronda de plus en plus sans interruption. Mon esprit était tellement pénétré de l'impossibilité pour moi de vivre plus longtemps qu'au premier instant ce hourra me parut être quelque anomalie. Les centres nerveux étaient tellement atrophiés par tous les événements précédents, que dans la première minute je ne pus concevoir ce qu'était ce hourra, et ce qu'il signifiait. Mais, néanmoins, ma main qui tenait le revolver s'abaissa et je fis un violent effort pour comprendre ce qui se passait dans les ténèbres de la nuit.

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Si ce hourra est l'annonce de la victoire des nôtres — si toutefois on pouvait y songer, étant données les circonstances si même il est l'annonce de l'arrivée de la colonne de secours, alors pourquoi cette fusillade et pourquoi cette nouvelle terrible apportée par le Père?

Mais le hourra retentissait toujours de plus en plus formidable et bientôt il éclata dans la cour. Mon esprit s'éclaircit peu à peu, et soudain je me rendis compte que nous étions sauvés!

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Je ne sais à quelle musique merveilleuse je pourrais comparer ce hourra; il retentit encore aujourd'hui. à mes oreilles! Notre pauvre cellule parut s'illuminer; alors seulement je compris le prix de la vie, et pourquoi la malheureuse humanité s'y cramponnne avec tant d'acharnement!

Quelques secondes plus tard le lieutenant-colonel Roubovskii du régiment de la brigade des chemins de fer nous embrassait; il était venu à marches forcées au secours de notre détachement. A quoi peuton comparer une pareille minute? C'était la résurrection des morts, le commencement d'une nouvelle, d'une seconde vie.

Que s'était-il donc passé? Qu'est-ce qui avait alarmé les pauvres missionnaires, provoqué la fusillade, le trouble, et failli envoyer Bounine et moi dans l'autre monde?

Tout cela s'expliqua par la suite très simplement. Bien qu'en raison de l'arrivée attendue des secours, les commandants de compagnies, ics Pères eussent prévenus leurs Chinois que les Russes arriveraient peut-être dans la nuit, les pauvres guerriers, exténués par cinq nuits passées sans dormir dans les tranchées, et ayant les nerfs tendus au dernier degré, avaient été pris de terreur en voyant une masse s'approcher dans l'obscurité, et avaient ouvert le feu sur elle. Les tirailleurs de la colonne de secours s'étaient élancés à la baïonnette sans répondre et vingt Chinois chrétiens étaient tombés victimes de ce malentendu qui enfin avait été éclairci.

En s'approchant de la mission, le détachement de secours avait fait entendre des appels de clairon, mais on ne les avait pas entendus à cause de la fusillade et du vent violent qui soufflait.

Malgré le proverbe français « tout est bien qui finit bien », j'avoue franchement que je ne voudrais pas revivre une seconde fois ces quelques minutes d'un condamné à mort. Il est incontestable que cette épreuve a été la plus émotionnante que j'ai jamais supportée dans ma vie. Cet épisode de guerre ne peut se comparer à aucun combat, si meurtrier fût-il; parce que, dans ce dernier cas, chaque homme, comme je l'ai dit plus haut, se répète mentalement « avos» (au petit bonheur!) tandis que pendant ce siège tout espoir de rester vivant semblait perdu. >>

Traduit du russe par NIкто.

MARINES RUSSE ET JAPONAISE

La possibilité, et même la probabilité, à brève ou à longue échéance, d'un conflit sanglant entre la Russie et le Japon pour la prédominance dans le nord de l'Extrême-Orient, donne un intérêt tout particulier à l'étude de la marine de guerre de ces deux puissances. Enfermé dans ses îles, l'empire du Soleil-Levant est forcément une puissance mari-. time, puisqu'il ne peut atteindre ses adversaires, en cas d'offensive, qu'à l'aide de sa flotte. Il a donc donné tous ses soins, depuis quelques années, à la création d'une marine de guerre, qui a pris rapidement la première place dans les mers de Chine. Ses succès, dans la guerre contre le Céleste-Empire en 1894-1895, lui ont donné une haute idée de ses forces et ont grandement contribué à donner au peuple japonais une présomption et une suffisance qui ne sont pas sans danger à l'heure actuelle.

De son côté la Russie, voyant naître à l'extrémité de son vaste empire une puissance navale qui ne dissimule pas son ambition de jouer le premier rôle en Extrême-Orient et de prendre la direction politique et commerciale de la race jaune tout entière, n'a cessé de fortifier sa position et de renforcer sa marine, naguère très faible, en Asie, en y envoyant les meilleures unités de son armée navale.

Jusqu'en 1900, c'est-à-dire à l'époque du soulèvement des Boxeurs, la crainte d'un conflit n'apparaissait encore que comme une éventualité lointaine. Mais la Russie ayant été obligée, pour protéger son chemin de fer transmandchourien de mettre une véritable armée en campagne, s'est trouvée dans la nécessité, pour conserver son œuvre, d'occuper au prix de grands sacrifices d'hommes et d'argent, la Mandchourie presque entière. Il est arrivé alors ce qui arrive toujours en pareil cas, comme le montre l'exemple des Anglais en Égypte. La Russie, ne pouvant compter sur la Chine pour maintenir l'ordre en Mandchourie, a pris le parti, après un commencement d'évacuation qui n'eut pas de suite, de prolonger d'une façon indéterminée l'occupation de cette vaste province.

Ce ne fut pas la Chine qui, comme on pourrait le croire, fit alors entendre les protestations les plus énergiques, ce fut le Japon qui, voyant les Russes devenir limitrophes de la Corée, s'effraya à la pensée de les voir prendre pied dans cet empire du « Matin calme », qu'il considère comme ne devant recevoir que son influence. Telle est l'origine de la crise actuelle.

XXIX (Février 1904.) N° 302.

FLOTTE RUSSE

En vue de tenir tête aux prétentions du Japon, la Russie a pris le parti de renforcer progressivement son armée et sa flotte en ExtrêmeOrient. N'ayant pas la pensée d'attaquer l'empire du Mikado, n'ayant d'ailleurs aucun intérêt à le faire, l'armée russe attendra de pied ferme sur le continent l'attaque de l'armée japonaise, si celle-ci parvient à débarquer, soit en Corée, soit en Mandchourie. Mais avant d'en arriver là, il est probable qu'une bataille navale aura donné à l'une ou à l'autre flotte la suprématie dans les mers de Chine.

Presque inattaquable derrière les remparts de Port-Arthur et de Vladivostok, ou à l'intérieur de la Mandchourie, où son armée est concentrée, la Russie entend cependant soutenir la lutte sur mer, et elle y est bien préparée. Ses forces navales sont imposantes, composées des meilleurs bâtiments de sa flotte, montés par des marins entraînés et valeureux, qui apporteront dans cette lutte un appoint moral considérable. Voici, d'après des renseignements précis, la composition des forces russes en Extrême-Orient, en y comprenant les navires en route qui ont passé le canal de Suez.

Les cuirassés d'escadre sont au nombre de 5:

Petropavlovsk

Poltava.

Sevastopol.
Retvisan.

(1894) 10.950 tonnes, 11.200 chevaux, 17 nœuds 5

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Cesarevitch (1). (1901) 13.100

16.500

18

9

Les 3 premiers, construits d'après le même plan, sont des cuirassés à tourelles fermées. Ils sont pourvus d'une ceinture cuirassée sur les 4/5es de la longueur, à 400 mm. au centre et 200 mm. aux extrémités. Ils sont munis de 6 tourelles cuirassées en acier harveyé à 250 mm. Le pont plat est cuirassé à 90 mm.

L'artillerie, la même pour chacun, comprend : 4 canons de 305 mm. par paires dans les tourelles avant et arrière: 12 pièces de 150 mm. à tir rapide; 16 canons à tir rapide et 20 de plus petit calibre. Enfin, ils sont munis de 6 tubes lance torpilles. L'équipage est de 622 hommes.

(1) D'après l'Aide-memoire de l'officier de marine, de Ch. Valentino.

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