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d'une femme et d'un enfant, et le sort de l'Europe: son choix ne pouvait être douteux, et la résolution magnanime prise par l'Empereur est incontestablement un beau titre à la reconnaissance de ses contemporains et à l'admiration de la postérité.

Je sens en effet, combien il a du lui en couter pour renverser du trône sa fille et son petit-fils; et les condamner à vivre douloureusement sur la terre, sans père, sans époux, sans patrie. Quoique Français, je rends justice à la force d'âme que l'Empereur a montré dans cette mémorable circonstance; mais si le parti qu'il prit alors était convenable, il me semble que celui qu'il paraît vouloir adopter aujourd'hui, serait aussi dangereux qu' impolitique. L'Autriche, dans la position critique où elle se trouve placée par le voisinage, l'ambition, et l'alliance de la Prusse et de la Russie, a besoin d'être protégée et soutenue par un allié puissant; et nul prince n'est plus en état que Napoléon de la sécourir et de la défendre.

-L'Autriche n'a rien à redouter de ses voisins; il règne entr'eux une harmonie que rien ne pourra troubler: leurs principes et leurs sentimens sont les mêmes. M. de Metternich m'a chargé de vous déclarer positivement qu'il n'agissait que d'un commun accord avec les

alliés, et qu'il n'entamerait aucune négociation sans leur assentiment.

Ce mot de négociation me frappa: Puisqu'il faut ne point songer, M. Werner, repondis-je, à rétablir séparément entre l'Autriche et la France l'union et l'amitié que commandent leurs intérêts et leurs liens de famille. Ne renonçons pas du moins à l'espoir d'un accommodement général. Jamais peut-être l'humanité ne fut menacée d'une guerre aussi terrible; ce sera un combat à mort, non point d'armée à armée, mais de nation à nation: cette idée fait frémir. Le nom de M. de Metternich est déjà célèbre; mais de quelle gloire ne serait-il point entouré si M. de Metternich, en devenant le médiateur de l'Europe, parvénait à la pacifier? Et nous mêmes, M. Werner, croyez-vous que nous n'obtiendrions pas aussi une part dans les bénédictions des peuples? Mettons de côté nôtre caractère de négociateurs, et éxaminons' la position des puissances belligérantes, non plus comme leurs agens, mais en hommes désinteressés, en amis de l'humanité! Vous avez, dites-vous, douze cent mille combattans; mais nous en avons eu un million en 1794, et nous les aurons encore. L'amour de l'honneur et de l'indépendance n'est point éteint en France; il embrasera tous les

cœurs, lorsqu'il s'agira de repousser le joug humiliant et injuste que vous voulez nous imposer.

Si le tableau que je vous ai fait de l'état de la France' et du patriotisme dont elle est animée vous paraît infidèle, ou exagéré, venez avec moi; je vous offre un passeport et toutes les garanties que vous pourrez éxiger; nous voyagerons ensemble incognito; nous irons partout où vous voudrez; nous écouterons, nous interrogerons, les paysans, les bourgeois, les soldats, les riches et les pauvres, et quand vous aurez vu, tout vu par vous-même, vous pourrez alors garantir à M. de Metternich, qu'on l'a trompé, et que les efforts des alliés pour nous faire la loi n'auront d'autre résultat que d'ensanglanter inutilement la terre.

L'émotion dont je n'avais pu me défendre, était passée dans l'âme de M. Werner: Je voudrais, me dit-il avec attendrissement, pouvoir seconder vos vœux et concourir avec vous à arrêter l'effusion du sang humain; mais je n'ose me livrer à cet espoir; cependant je rendrai compte à M. de Metternich de la force avec laquelle vous avez plaidé la cause de l'humanité; et s'il peut accepter le rôle de médiateur, je connais assez l'élévation de son âme, pour vous garantir qu'il ne le refusera pas.

Jusqu'alors j'avais évité, pour habituer M. de Metternich à traiter directement avec moi, de mettre en scène M. Fouché. Cependant, comme il m'avait été ordonné de faire usage de ses lettres, je fis naître l'occasion d'en parler à M. Werner; je lui en donnai lecture, et j'eus soin de les commenter de manière à détruire

l'impression fâcheuse que lui fit éprouver, ainsi que je l'avis prévu, la partialité des éloges prodigués à Napoléon. Quand nous fumes arrivés au passage où M. Fouché discutait les inconvéniens d'une république, M. Werner m'arrêta, et me dit que je l'avais sans doute mal compris; qu'il ne m'avait parlé de la république que d'une manière indirecte, et qu'il n'était jamais entré dans la pensée des monarques alliés de. se prêter à son rétablissement; que leurs éf forts tendraient plutôt à étouffer les semences de l'esprit républicain, qu'à favoriser leur dangereux développement. Je lui rappelai la conversation que nous avions eue à ce sujet, et comme il m'importait fort peu d'avoir raison, je passai condamnation.

"Au surplus," me dit-il, en prenant les lettres, "le langage de M. Fouché surprendra fortement M. de Metternich. Il me repetait encore la veille de mon départ, que le duc d'Otrante lui avait témoigné en toutes occasions une haine in

TOM. II.

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véterée contre Bonaparte, et que même en 1814 il lui avait reproché de ne l'avoir point fait renfermer dans un château fort: lui prédisant qu'il reviendrait de l'île d'Elbe ravager de nouveau l'Europe; il faut que M. Fouché pour croire au salut de l'Empereur, ignore totalement ce qui se passe à Vienne; ce qu'on lui a fait dire par M. de Montron et M. Bresson le ramenera sans doute à des idées différentes, et lui fera sentir qu'il doit pour ses intérêts personnels et pour celui de la France, seconder les efforts des alliés."

“Je connais,” lui repondis-je, “les liaisons de M. le duc d'Otrante avec ces messieurs; il n'ajoutera que peu de foi aux paroles qu'ils lui rapporterons. Je regrette que vous n'ayez point été chargé de me les confier lors de notre première entrevüe; elles auraient sans doute produit sur lui une toute autre impression; mais ce qui n'est pas fait peut se faire, et si vous le désirez je vous servirai très-volontiers d'interprête."

"M. de Metternich," répliqua M. Werner, "ne m'a point appris positivement ce qu'il avait chargé ces messieurs de reporter au duc d'Otrante; mais je présume que ce ne peutêtre que la répétition de ce qu'il m'avait ordonné de vous dire."

"En ce cas," repris-je, "vous auriez tort de

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