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et s'ils seroient disposés à l'appeler à la tête des affaires de la régence, dans le cas ou je laisserois ma vie sur le champ de bataille. Allez voir le duc de Vicence, causez avec lui, et dans une demi-heure revenez. Je verrai si je n'ai rien de plus à vous dire." Une demi-heure après je revins; l'Empereur était dans son salon entouré du maréchal Ney, et de plusieurs personnages importans. Il me dit, en faisant un geste de la main: Je me repose sur vous; volez.

C'était par de semblables paroles, qu'il savait flatter l'amour propre et exalter le dévouement, je volai à Bâle; s'il m'eut fallu pour justifier l'attente de Napoléon, traverser le Rhin sous le canon ennemi, je l'aurais fait.

Je commençai par faire usage des pouvoirs illimités que l'Empereur m'avait donnés, en prescrivant de ne laisser sortir provisoirement de France aucune des personnes qui arriveraient de Paris. Je ne voulais point me laisser dévancer par l'agent véritable du duc d'Otrante.

Les communications avec Bâle n'étaient point encore interrompues; mais il fallait une permission pour y entrer, une autre pour en sortir, et sur le plus léger soupçon on vous conduisait au directeur de la police, qui, tout en fumant sa pipe, donnait l'ordre selon son bon plaisir de vous mettre à la porte de la ville, ou

de vous jeter en prison. Je me pourvus d'une commission d'inspecteur-général des vivres, et je me présentai à Bâle, sous le prétexte d'y faire de nombreux achats. On est toujours bien reçu des Suisses avec de l'argent.

Je me rendis sans obstacles à l'auberge des Trois Rois, où devait descendre M. Werner; il était déjà arrivé. Je lui annonçai que j'avais été chargé par quelqu'un de Paris de causer avec lui; il me fit voir son bordereau de ralliement; je lui montrai de loin celui dont j'étais porteur, car je savais qu'il ne valait rien. Il avait été écrit de mémoire par notre prisonnier le véritable était resté entre les mains de M. Fouché.

M. Werner commença par me témoigner avec tout le luxe de la politesse diplomatique, le plaisir qu'il éprouvait de me voir; qu'il m'attendait depuis le 1er Mai; (nous étions au 3) et qu'il commençait à craindre que M. Fouché ne se fût point soucié d'entrer en conférence avec le prince. Ce début me fit conjecturer que rien n'avait été encore proposé ni convenu. Je répondis à M. Werner, que le duc d'Otrante avait effectivement montré un peu d'hésitation, parceque la lettre de M. de Metternich laissait quelque incertitude; mais que toujours plein d'estime et de déférence pour le prince, il s'empresserait de lui offrir toutes les preuves de dévoue

ment qui seraient en son pouvoir; qu'il m'avait choisi pour être son interprête, et que je serais charmé de répondre par une confiance sans borne aux nouvelles ouvertures que lui, M. Werner, était sans doute chargé de me faire. J'ajoutai, que M. le duc d'Otrante m'avait recommandé de mettre de côté les formes diplomatiques, et de m'expliquer avec l'abandon que devait inspirer M. de Metternich. Qu'en conséquence, je le priais de m'imiter, et de me dire sans détour ce qu'il attendait de nous.

Il me répondit que M. de Metternich avait conservé la plus haute opinion du mérite de M. Fouché; qu'il avait pensé qu'un homme, tel' que lui, ne pouvait croire que Napoléon se soutiendrait sur le trône; qu'il était persuadé, qu'il n'avait accepté le ministère de la police, que pour épargner aux Français le malheur de la guerre civile et de la guerre étrangère; et que dans cette persuasion il esperait que M. Fouché n'hésiterait point à seconder les efforts que les alliés allaient faire, pour se débarrasser de Bonaparte et rétablir en France les Bourbons.

Je répliquai; que M. Fouché, dont le patriotisme était connu, n'avait pu envisager sans douleur les malheurs dont la France était menacée; mais que jusqu'à présent, il n'avait point

entrevu la possibilité d'y remédier. Souvent, dis-je, on voit mieux de loin que de près; quelles sont sur ce point les vues de M. de Metternich et des alliés? quels moyens pensent-ils qu'on pourrait employer pour se défaire de Napoléon?

M. de Metternich, dit-il, ne m'a point entièrement communiqué ses vues à cet égard. Je suis même fondé à croire qu'il n'y a rien encore d'arrêté, et c'est pour arriver à un résultat certain qu'il a désiré se concerter avec M. Fouché, qui doit mieux connaître que lui le véritable état des choses. Quand aux moyens de se défaire de Bonaparte, il en existe un dont l'issue ne peut-être douteuse: c'est la force; mais les alliés ne voudraient l'employer qu'à la dernière extremité, et ils auraient désiré que M. Fouché eût pu trouver le moyen de délivrer la France de Bonaparte sans répandre de nouveaux flots de sang.

Cette réponse ambigüe me paraissant inquiétante, je repris: Je ne connais que deux moyens de renverser du trône Napoleon: le 1er c'est de l'assassiner! En prononçant ces mots, détournai obliquement les yeux pour ne point embarrasser M. Werner, et l'observer à mon aise. L'assassiner! s'écria-t-il avec indignation: jamais un tel moyen ne s'offrit à la pensée de M. de Metternich. Je n'en doute point; aussi j'ai

commencé par vous exprimer la haute vénération que M. de Metternich m'inspire: le second moyen, continuai-je, c'est de se réunir secrétement, ou, pour dire le mot, de conspirer contre Napoléon, et je ne vois pas trop jusqu'à présent sur qui nous pourrions compter M. de Metternich et les alliés; ont-ils déjà quelques relations d'établies?

Ils n'en ont aucune, me répondit-il, à peine a-t-on eu le tems à Vienne de s'entendre. C'est à M. Fouché à préparer, à combiner ses plans; c'est à lui, que les alliés veulent confier le soin et l'honneur de sauver la France des calamités d'une nouvelle guerre, et de la tyrannie que lui prépare l'Empereur.

Convaincu par la tournure qu'avait pris la conversation qu'il n'existait entre le duc d'Otrante et M. de Metternich, aucune relatione antérieure ; convaincu que la vie de l'Empereur et la sûreté de l'etat n'etaient point menacées, je changeai de langage, et marchai droit au but que je m'étais principalement proposé, celui de chercher à établir sinon un rapprochement, du moins des pourparlers entre la France et l'Autriche.

Les alliés, repris-je, croyent donc qu'il est facile à M. Fouché de soulever la France contre Napoléon? Il fut un tems, il est vrai, où l'on

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