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vinssent au nom de la liberté, à leur faire tourner contre lui les armes qu'il leur aurait données. Prévention funeste! qui lui fit placer sa force autre part que dans le peuple, et lui ravit par conséquent son plus ferme soutien.

Au moment où la population de Paris témoignait à l'Empereur et à la patrie le plus fidèle dévouement, le tocsin de l'insurrection retentissait dans les campagnes de la Vendée.

Dès le 1er Mai, quelques symptomes d'agitation avaient été remarqués dans le Boccage *. Le brave et infortuné Travôt par fermêté, par persuasion, était parvenu à rétablir l'ordre; et tout paraissait tranquille, lorsque des émissaires de l'Angleterre vinrent de nouveau rallumer l'incendie.

M.M. Auguste de la Roche-jaquelin, d'Autichamp, Suzannet, Sapineau, Daudigné, et quelques autres chefs de la Vendée, se réunirent. La guerre civile fut résolue. Le 15 Mai, jour convenu, le tocsin se fit entendre; des proclamations énergiques appelèrent aux armes les habitans de l'Anjou, de la Vendée, du Poitou; et l'on parvint à rassembler une masse confuse de sept à huit mille paysans.

*Foyer ordinaire de la rébellion.

Les agens Anglais avaient annoncé que le marquis Louis de la Roche-jaquelin apportait aux provinces de l'Ouest des armes, des munitions, et de l'argent. Les insurgés se portèrent aussitôt à Croix de Vic pour favoriser son débarquement. Quelques douaniers réunis à la hâte s'y opposèrent, mais vainement: la Rochejaquelin triomphant remit entre les mains des malheureux Vendéens les funestes presens de l'Angleterre *.

La nouvelle de ce soulevement, que des rapports inexacts avaient considérablement éxagéré, parvint à l'Empereur dans la nuit du 17. Il m'appela près de son lit, me fit mettre sur la carte les positions des Français et des insurgés, et me dicta ses volontés.

Il prescrivit à une partie des troupes stationnées dans les divisions limitrophes, de se porter en toute hâte sur Niort et sur Poitiers: au général Brayer de se rendre en poste à Angers, avec deux regimens de la jeune garde;

* Les sécours si pompeusement annoncés par les émissaires royalistes se reduisirent à 2400 fusils et à quelques barils de poudre. Les chefs de l'insurrection, trompés dans leur attente, reprochèrent amérement à M. de la Rochejaquelin de les avoir abusés et compromis par de fausses pro

messes.

au général Travôt de rappeler ses détachemens et de se concentrer jusqu'à nouvel ordre; des officiers d'ordonnances expérimentés furent chargés d'aller reconnaître le terrein, et le général Corbineau, dont l'Empereur connaissait les talens, la modération, et la fermeté, fut envoyé sur les lieux pour appaiser la révolte ou présider en cas de bésoin aux opérations militaires. Toutes ces dispositions arrêtées, l'Empereur renferma tranquillement les yeux, car la faculté de goûter à volonté les douceurs du sommeil était une des prérogatives que lui avait accordé la nature.

Des dépêches télégraphiques apportèrent bientôt des détails plus circonstanciés et plus rassurans. "On sut que les paysans, auxquels on avait donné l'ordre de fournir seulement quatre hommes par paroisse, avaient montré de l'hésitation et de la mauvaise volonté, et que les chefs avaient eu beaucoup de peines à rassembler quatre à cinq mille hommes, composés en grande partie de vagabons et d'ouvriers sans ouvrage." On sut enfin que le général Travôt ayant été instruit du débarquement et de la route; qu'avait suivi le convoi, s'était mis à la poursuite des insurgés, les avait atteint en avant de St. Gilles, leur avait tué trois cents hommes, et s'était emparé de la majeure partie des armes et des munitions.

L'Empereur pensa que cette émeute pourrait se résoudre autrement que par la force, et adoptant à cet égard les vues de conciliation proposées par le général Travôt, il chargea le ministre de la police d'inviter M. M. de Malartic et deux autres chefs Vendéens, M. M. de la Beraudiere et de Flavigny, de se rendre en qualité de pacificateurs près de leurs anciens compagnons d'armes, et de leur remontrer que ce n'était point dans les plaines de l'Ouest, que le sort du trône serait décidé; et que l'expulsion définitive, ou le rétablissement de Louis XVIII, ne dépendant ni de leurs efforts ni de leurs revers, le sang Français qu'ils allaient verser dans la Vendée serait inutilement répandu.

Il transmit l'ordre au général Lamarque, qu'il venait d'investir de la direction suprême de cette guerre *, de favoriser de tout son pouvoir les négociations de M. de Malartic; il lui prescrivit en même tems de déclarer formellement à la Roche-jaquelin et aux autres chefs des insurgés, que s'ils persistaient à continuer la guerre civile, il ne leur serait plus fait de

* L'Empereur avait destiné ce commandement en chef au duc de Rovigo, ou au général Corbineau; mais il prévit qu'on serait peut-être obligé d'en venir à des mésures de rigueur; et il ne voulût point qu'elles fussent dirigées par un officier attaché à sa personne.

quartier, et que leurs maisons et leurs propriétés seraient saccagées et incendiées *.

Il lui recommanda aussi de presser le plus vivement possible les bandes de la Vendée, àfin de ne leur laisser d'autre espoir de salut qu'une prompte soumission. Mais cette recommandation était superflues. Déjà le général Travôt par des attaques imprévues, des marches savantes, des succès toujours croissans, était

* L'Empereur considéra cette mésure rigoureuse comme une juste réprésaille des moyens employés par les chefs Vendéens pour recruter leur armée. Voici ces moyens.

la

Lorsque les familles qui règnent dans la Vendée ont résolu guerre, elles envoyent l'ordre à leurs agens de parcourir les campagnes pour prêcher la révolte et pour indiquer à chaque paroisse le nombre d'hommes qu'elles doivent fournir. Les chefs d'insurrection de chaque paroisse désigne alors les paysans qui doivent partir, et leur enjoignent de se rendre tel jour, à telle heure, au lieu fixé pour le rassemblement. S'ils y manquent, on les envoye chercher par des bandes armées, composées ordinairement des hommes les plus redoutés dans le pays; s'ils résistent, on les menace de les fusiller ou d'incendier leur maison; et comme cette menace n'est jamais vaine, les malheureux paysans obéissent et partent.

On a prétendu que l'Empereur avait donné l'ordre de mettre à prix la tête des chefs des insurgés; les instructions données au ministres de la guerre ont été transcrites par moi, et je ne me rappelle nullement qu'il y fut question d'un ordre semblable.

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