Page images
PDF
EPUB

La question reviendra donc toujours, en première ligne, à rechercher si l'acte déféré à la justice belge a été fait par l'Etat étranger en vertu de sa puissance gouvernementale. Il y aura lieu de décider la question d'après les principes qui sont appliqués aux questions du même genre soulevées en Belgique. Il y a là-dessus. dans notre pays, une nombreuse jurisprudence.

Il est aussi admis sans conteste qu'un Etat étranger est justiciable des tribunaux belges pour toutes les contestations relatives aux immeubles qu'il possède en Belgique. L'article 3 du Code civil ne laisse aucun doute à ce sujet. La souveraineté belge recevrait une atteinte si certains immeubles situés en Belgique étaient soustraits à la souveraineté nationale.

Les tribunaux belges sont aussi compétents pour juger des procès dans lesquels l'Etat étranger agit comme demandeur. Dans ce cas, il y a soumission volontaire à la juridiction belge et on ne peut jamais voir dans cet acte volontaire une atteinte à la souveraineté de l'Etat étranger.

Les tribunaux belges sont également compétents pour juger les demandes reconventionnelles intentées à l'Etat étranger par une personne que celui-ci a attraite devant la justice belge.

La même solution doit être adoptée pour l'appel des jugements intentés par le particulier contre qui l'Etat étranger a

obtenu une condamnation en première instance.

Tous ces points non douteux ayant été écartés, il est Point controversé. possible de mieux apercevoir le terrain du débat. Les tribunaux belges sont-ils compétents pour juger un procès intenté à un Etat étranger à raison d'un acte accompli par lui comme personne civile?

de l'opinion négative.

M. De Cuvelier doit être rangé parmi les défendeurs les Arguments en faveur plus chaleureux de la doctrine négative. La théorie qu'il

Opinion des auteurs.

adopte a certes le mérite de la netteté. Il se prononce pour l'opinion d'après laquelle les tribunaux belges seraient dans tous les cas incompétents pour statuer sur des actions intentées aux Etats étrangers. Il n'y aurait donc pas lieu, d'après lui, de rechercher si l'acte juridique qui donne naissance au procès a été accompli par l'Etat comme personne civile ou comme personne publique. M. De Cuvelier n'admet d'exception à cette règle, conformément à ce qui a été exposé plus haut, que pour les actions immobilières, les actions où l'Etat étranger est demandeur, les appels contre les jugements obtenus par lui, les demandes reconventionnelles intentées contre lui, et les poursuites en payement des frais d'un procès perdu.

M. De Cuvelier invoque, à l'appui de sa thèse, les arguments suivants qui sont un bon résumé des raisons déduites avant lui par les partisans de l'incompétence.

Tout Etat a des droits illimités à l'indépendance.

L'existence de cette indépendance exclut tout contrôle étranger tendant à la supprimer et à la diminuer. On ne peut donc admettre l'action d'un Etat s'érigeant en juge d'un autre Etat indépendant contrairement à la volonté de ce dernier. Soumettre un pays à une juridiction étrangère, c'est le subordonner à une souveraineté étrangère.

M. De Cuvelier n'admet pas de distinction basée sur la nature privée ou publique du fait ayant donné naissance à la contestation I affirme à ce sujet l'opinion que « distinguer dans un Etat la personne privée et la personne publique est une pure subtilité ». Il est toutefois impartial de reconnaître. que cette phrase n'a pas été écrite par lui et qu'il s'est contenté de la reproduire à l'appui de son opinion.

Bormans, Bontemps, Beltjens et les Pandectes belges, vis Congo et Etrangers (Droit des), se prononcent aussi pour l'incompétence des tribunaux belges. La jurisprudence les a,

jusqu'ici, généralement suivis. Actuellement, toutefois, les tribunaux semblent abandonner cette thèse.

Parmi les défenseurs de la théorie de la compétence, il faut citer, en première ligne, Laurent et De Paepe. M. Spée et les Pandectes belges, vo Exterritorialité, soutiennent la même thèse. C'est avec raison que ces auteurs pensent qu'un Etat étranger, agissant non comme corps politique, mais comme personne civile, est justiciable des tribunaux belges dans tous les cas où ceux-ci sont compétents à l'égard des étrangers suivant la loi du 25 mars 1876.

est juste.

M. De Paepe et les Pandectes belges ont justement reproché L'opinion affirmative à M de Cuvelier d'avoir manqué de réflexion quand il écrivait qu'on ne peut distinguer dans un Etat la personne civile de la personne publique. Cette distinction est, en effet, à la base du droit belge. Le principe de la séparation des pouvoirs ne permet pas qu'aucun acte du gouvernement agissant comme personne publique soit soumis aux tribunaux Si donc l'assertion de M. De Cuvelier était fondée, l'Etat belge ne serait dans aucun cas justiciable des tribunaux. Or, faut-il rappeler que l'article 92 de la Constitution permet aux Belges de soumettre aux tribunaux toutes leurs contestations civiles, même celles qu'ils ont avec l'Etat? Les termes de cet article sont absolus et n'admettent aucune distinction Ils s'appliquent aussi bien aux contestations civiles entre Belges qu'aux contestations civiles entre Belges et étrangers. Il n'y a pas lieu de soumettre à un régime différent les contestations civiles entre les personnes physiques étrangères et les personnes morales étrangères. L'Etat étranger n'est, en ce qui concerne sa vie civile, qu'une personne morale.

Les Etats étrangers puisent incontestablement dans cet article 92 de la Constitution le droit d'intenter des actions. devant nos tribunaux. Pourquoi, dès lors, refuser aux Belges et aux étrangers le droit de les assigner eux-mêmes devant

les tribunaux belges? Cette inégalité de traitement aboutirait à violer les droits des citoyens belges.

cas,

Comment admettre qu'un Etat étranger soit soumis à la juridiction belge au sujet des immeubles, tout en continuant à soutenir que la souveraineté de l'Etat étranger ne lui permet pas d'y être soumis pour les autres actes accomplis par lui en sa qualité de personne civile? Mais, objecte t-on, dans ce il y a conflit de souveraineté et le droit international s'est prononcé en faveur de la souveraineté locale, en vertu de ce principe que la souveraineté s'étend à tout le territoire! On oublie que, dans tous les autres cas aussi, il y a conflit de souveraineté ; il n'y a pas plus de raison dans un cas que dans l'autre de faire fléchir la souveraineté nationale. Le même raisonnement s'applique aux cas, admis par les adversaires de la théorie de la compétence, de la demande reconventionnelle et de l'action en payement des frais d'un procès perdu par l'Etat étranger.

On objecte encore que la distinction entre les actes de l'Etat étranger agissant comme pouvoir politique et les actes de ce même Etat agissant comme personne civile peut présenter de très grandes difficultés. Cette objection est tout aussi fondée en ce qui concerne le droit belge. La jurisprudence. a hésité plus d'une fois au sujet du caractère civil ou politique d'un acte dont la connaissance lui était déférée. Il est arrivé que certains faits ont été successivement et contradictoirement considérés tantôt comme des actes civils et tantôt comme des actes politiques. Cela n'a jamais empêché d'appliquer l'article 92 de la Constitution. La difficulté n'est pas plus insurmontable en ce qui concerne les droits des Etats étrangers.

Il n'est pas impossible d'ailleurs de préciser. Les actes civils de l'Etat sont ceux qui ne supposent point l'exercice. de la puissance publique, ceux qui sont accomplis par l'Etat au même titre que s'ils étaient accomplis par un particulier.

Les actes politiques supposent, au contraire, la puissance publique et ils sont accomplis en vertu de cette puissance. Les premiers sont ceux qu'on peut concevoir comme réalisables par un particulier; les seconds sont ceux qui ne sont point séparables de l'exercice de la puissance publique.

La Cour d'appel de Bruxelles a fait une application de ce principe. Un ancien agent de l'Etat Indépendant intenta à ce dernier, en 1890, devant le tribunal civil de Bruxelles, une action en payement de 15,000 francs de dommages et intérêts pour renvoi intempestif. Il réclamait, en outre, le payement d'une somme d'argent qu'il prétendait lui avoir été retenue à tort par l'Etat.

Le tribunal se déclara incompétent ratione materiæ, en vertu du principe que l'autorité et l'indépendance réciproques des Etats s'opposent à ce qu'un Etat soit soumis à la juridiction d'un autre Etat.

Ce jugement ne faisait donc aucune distinction entre les actes civils et les actes politiques des Etats étrangers.

Appel en fut interjeté. Il fut confirmé, mais l'arrêt n'est pas motivé comme le jugement. Il dit : « A supposer même que l'on puisse admettre, contrairement à la thèse absolue adoptée par le premier juge, que les tribunaux belges soient compétents à l'égard d'un Etat étranger qui se comporte en personne civile et fait des contrats de droit civil, encore faudrait-il reconnaitre que ces tribunaux sont toujours incompétents lorsqu'on leur demande de juger un acte gouvernemental posé par l'Etat étranger dans l'exercice de son imperium, tel notamment la nomination ou la révocation d'un agent » L'arrêt, considérant le renvoi d'un agent comme l'acte du pouvoir politique, se déclara incompétent.

Cet arrêt, on le voit, ne peut être invoqué en faveur de la thèse de l'incompétence.

La Cour, en effet, devait prononcer comme elle l'a fait,

« PreviousContinue »