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1899 et de 1900, n'a donc avancé à l'Etat Indépendant du Congo qu'une somme totale de 31,850,000 francs.

D'un autre côté, des lois du 29 juillet 1889 et du 29 juin 1895 ont fait des avances à la Compagnie du chemin de fer du Congo.

Cette société étant une compagnie privée de commerce, l'étude de ces lois n'entre pas dans le cadre de cet ouvrage.

CHAPITRE VIII

DES DROITS RÉSULTANT POUR LA BELGIQUE DU TESTAMENT DU ROI

ET DE LA CONVENTION DE REPRISE

pas obstacle à l'acquisition de colo

nies.

On a soutenu (1) que la neutralité de la Belgique lui inter- La neutralité ne fait dit l'acquisition de colonies. Le raisonnement déduit en faveur de cette opinion peut se résumer dans les termes suivants : « Un Etat neutre ne peut entreprendre aucune guerre offensive. Son action militaire doit se borner à la défense de son territoire. Il doit s'abstenir de tout acte qui directement ou indirectement peut l'engager dans un conflit ne touchant. pas d'une manière exclusive à son intégrité nationale et à son indépendance. Comment, dès lors, pourrait-il acquérir des colonies? Si ces colonies sont attaquées, les puissances garantes de la neutralité belge n'interviendront pas. Et alors deux hypothèses sont possibles: si la Belgique abandonne

lement exigible, en même temps et dans les mêmes conditions que les avances faites par la Belgique à l'Etat Indépendant du Congo, en exécution de la convention du 3 juillet 1890.

Art. 3. Un crédit s'élevant à 6,850,000 francs est ouvert au département des finances. Il sera couvert, soit par les ressources générales du Trésor, soit par des émissions de titres de la dette publique.

(1) DESPAGNET, La neutralité belge et l'Etat du Congo, Revue Bleue, V. 53, p. 778. Etude sur les protectorats, p. 296 et s.

ses colonies sans combattre, elle manquera au premier devoir de la souveraineté, qui est la protection contre les ennemis du dehors; si elle vient au secours de ses colonies, elle fera la guerre pour autre chose que la défense de son territoire garanti et violera sa neutralité. »

Cette opinion se rattache directement à une théorie soutenue par quelques auteurs de droit international et qui tend en fait à réduire les Etats perpétuellement neutres à la condition d'Etats mi-souverains. Cette théorie est généralement et justement combattue.

La neutralité permanente de la Belgique comporte évidemment une limitation de sa souveraineté. Mais cette limitation doit, comme toutes les limitations de souveraineté, s'interpréter respectivement; les partisans de l'opinion adverse pèchent contre ce principe inattaquable, car ils ne peuvent la soutenir qu'en la basant sur une interprétation extensive de la limitation de souveraineté qu'entraîne la neutralité perpétuelle.

Une puissance perpétuellement neutre ne doit s'abstenir que des actes qui, en eux-mêmes, comme tels, constituent des actes d'hostilité ou les entraînent nécessairement. Des opérations de guerre, faites par eux, violent leur neutralité, si elles ne sont pas entreprises pour repousser une attaque. De même, les neutres ne peuvent garantir la neutralité d'une autre puissance, ou signer des traités d'alliance offensive, parce que ces actes les obligent nécessairement, les contrai-. gnent absolument, dans des cas donnés, à participer à des hostilités.

Il faut revendiquer avec énergie le droit des puissances neutres d'accomplir tous les actes de la vie internationale qui ne répondent pas à ces conditions. Tout Etat a le droit de vivre, de se développer, d'essayer de consolider son existence. Si un neutre estime que l'acquisition de colonies

est utile à ses intérêts, en vertu de quels principes prétendrait-on la lui interdire? Accomplit-il un acte d'hostilité en étendant sa souveraineté sur des territoires vacants? Est-ce manquer à l'obligation de mener une vie internationale pacifique, que d'occuper un territoire, de l'organiser, de tirer parti de ses richesses naturelles? Un Etat, en pratiquant la colonisation, ne sert pas seulement ses intérêts; il travaille pour l'humanité en général.

Acquérir des colonies et les gouverner sont des actes d'activité essentiellement pacifique. Sans doute, les colonies peuvent, comme les faits les plus anodins de la vie des peuples, devenir des causes de difficultés internationales. Heureusement, la guerre n'est pas le seul moyen d'apaiser des conflits de cette nature. La guerre n'est que la dernière, l'extrême ressource. Si donc une puissance perpétuellement neutre avait à certain moment des difficultés avec un Etat quelconque au sujet de ses colonies, elle pourrait toujours chercher dans les négociations internationales, dans les bons offices et la médiation de nations amies, dans l'arbitrage, la conciliation de ses intérêts avec ceux de l'Etat adverse. On ne pourrait, jusqu'à ce moment, lui reprocher aucun acte qui constituerait la violation la plus légère de sa neutralité.

Mais peut-être l'Etat adverse, abusant de la situation spéciale du neutre, va-t-il envahir sa colonie? Il faut remarquer, avant d'aller plus loin, que ce danger n'est pas à craindre en ce qui concerne les relations de la Belgique avec le Congo, car la Belgique puiserait dans l'acte général de la conférence de Berlin, le droit de neutraliser sa colonie le jour même où elle l'acquerrait. Quelle attitude prendrait l'Etat neutre le jour où sa colonie serait envahie?

Il pourrait, si pénible que dût lui être ce sacrifice, protester au nom de l'équité et du droit, contre l'injustice commise, et renoncer à faire triompher sa cause par les armes.

Testament du Roi

Comment pourrait-on, alors, l'accuser de violer ses obligations pacifiques? On n'ose point le soutenir, mais on invoque, pour éviter la difficulté, les devoirs de la souveraineté, qui consisteraient pour tout Etat dans l'obligation de défendre son territoire. C'est là une notion toute nouvelle qu'on voudrait introduire dans la science du droit international. Ce devoir de la souveraineté, à supposer qu'il existe, n'est qu'un devoir moral, et on ne peut baser sur lui aucun raisonnement juridique.

Ces considérations établissent nettement que l'annexion du Congo à la Belgique ne pourrait rencontrer aucun obstacle dans la neutralité de notre pays. C'est, d'ailleurs, l'opinion dominante dans la science du droit des gens (1). La question n'a plus d'ailleurs qu'un intérêt théorique, car sa solution affirmative a été admise par toutes les puissances européennes lorsque fut présenté aux Chambres, en 1895, le projet de transformation de l'Etat Indépendant en colonie. La France ellemême, qui était la plus directement intéressée à soutenir l'opinion négative, a reconnu, en concluant le traité du 5 février 1895, que la Belgique peut, malgré sa neutralité, acquérir des colonies.

Le 9 juillet 1890, en même temps qu'il déposait le projet de ratification de la convention du 3 du même mois (2), le gouvernement belge donnait communication à la Chambre des représentants d'un testament (3) que Léopold II avait fait un an auparavant, le 2 août 1889.

Par ce testament, le Roi, agissant évidemment en qualité

(1) Voy. notamment les ouvrages les plus récents: RIVIER et ULLMANN, Völkkerrecht, § 18, p. 58.

(2) Voyez plus haut, p. 120.

(3) 2 août 1889.

Nous Léopold II, Roi des Belges, Souverain de l'Etat Indépendant du Congo.

Voulant assurer à notre patrie bien aimée les fruits de l'oeuvre que,

de propriétaire de droits de souveraineté territoriale sur l'Etat du Congo, déclare « léguer et transmettre après sa mort à la Belgique tous ses droits souverains sur l'Etat Indépendant du Congo, tels qu'ils ont été reconnus par les déclarations, conventions et traités, intervenus depuis 1884 entre les puissances étrangères, d'une part, l'Association Internationale du Congo et l'Etat Indépendant du Congo, d'autre part, ainsi que tous biens, droits et avantages réservés à cette souveraineté ».

Il résulte de ce testament que le Roi se considère comme propriétaire de la souveraineté sur l'Etat Indépendant du Congo. C'est là un étrange assemblage de mots, encore qu'il paraisse répondre actuellement à la réalité des faits. Sans doute n'a-t-on plus vu depuis des siècles transmettre des droits de souveraineté en vertu d'un acte de droit privé.

Le Roi lègue à la Belgique ses droits de souveraineté, tels qu'ils existent, avec tous les biens, droits et avantages qui y sont attachés. A supposer, par conséquent, que la Belgique, à

depuis de longues années, nous poursuivons dans le continent africain avec le concours généreux et dévoué de beaucoup de Belges;

Convaincu de contribuer ainsi à assurer à la Belgique, si elle le veut, les débouchés indispensables à son commerce et à son industrie et d'ouvrir à l'activité de ses enfants des voies nouvelles,

Déclarons, par les présentes, léguer et transmettre, après notre mort, à la Belgique tous nos droits souverains sur l'Etat Indépendant du Congo tels qu'ils ont été reconnus par les déclarations, conventions et traités intervenus depuis 1884 entre les puissances étrangères, d'une part, l'Association Internationale du Congo et l'Etat Indépendant du Congo, d'autre part, ainsi que tous biens, droits et avantages réservés à cette souveraineté.

En attendant que la législature belge se soit prononcée sur l'acceptation de nos dispositions prédites, la souveraineté sera exercée collectivement par le conseil des trois administrateurs de l'Etat Indépendant du Congo et par le Gouverneur général.

Fait à Bruxelles, le 2 août 1889.

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