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TROISIÈME PARTIE

Droit public et Droit administratif

TITRE PREMIER

De la souveraineté et de son exercice

Les bases essentielles du droit public belge sont les sui- Principes essentiels

vantes :

I.

La souveraineté réside dans la nation.

II. La nation a délégué l'exercice de la souveraineté à trois pouvoirs principaux : le pouvoir législatif, qui est exercé collectivement par le Roi et les Chambres; le pouvoir exécutif, qui appartient au Roi; le pouvoir judiciaire, qui est exercé par les cours et tribunaux.

III Les trois pouvoirs sont séparés et indépendants. Cette dernière proposition n'est vraie que dans certaines limites

Le Roi n'est, en Belgique, qu'un des dépositaires de la souveraineté nationale. La Belgique est une monarchie constitutionnelle.

du droit public belge.

Tout autre est la situation de l'Etat Indépendant du Principes essentiels

Congo.

du droit public congolais.

La souveraineté ne réside pas dans la nation congolaise. Elle est investie dans la personne du Souverain. Léopold II n'est pas le dépositaire, mais le titulaire de la souveraineté. Tous les droits et tous les devoirs gouvernementaux se résument et s'incorporent en sa personne.

En Belgique, la nation a, dans la Constitution, réglé la délégation des attributs de la souveraineté. Elle y a créé et organisé les pouvoirs, elle y a réglé les formes et les modes de leur action, elle y a garanti certains droits aux citoyens.

Au Congo, le Souverain, étant le titulaire de la souveraineté tout entière, est la source directe du pouvoir législatif, du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire. Il peut, s'il le juge bon, exercer directement et personnellement ces pouvoirs. Il peut, s'il le préfère, en déléguer l'exercice à certains. fonctionnaires ou corps de fonctionnaires. Cette délégation n'a pas d'autre source que sa volonté. Il règle à sa guise la nature, les limites des délégations qu'il consent. Il peut, à tout moment, les révoquer ou les modifier. Sa volonté ne peut rencontrer aucun obstacle juridique Léopold II dirait, à ce point de vue, plus justement que ne le fit Louis XIV: L'Etat, c'est moi. »

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Comme tout le droit public interne, dans les monarchies absolues, procède de la personne royale et comme la volonté du monarque ne peut être entravée, la conception de monarchie absolue exclut celle de Constitution dans le sens propre du mot. Le Souverain peut édicter des règles auxquelles, aussi longtemps qu'elles existent, il subordonne la validité de certains actes faits par lui-même ou par ses délégués. Mais ces règles, il peut les rapporter dès qu'elles lui paraissent gênantes, inutiles ou dangereuses.

Léopold II, titulaire de la souveraineté congolaise, l'exerce sans être tenu par aucun lien constitutionnel. Il est le maître

absolu de toute l'activité interne et externe de l'Etat Indé

pendant (1).

Il peut édicter telles lois qui lui paraissent bonnes pour régler les relations de droit public et de droit privé, sauf le respect dù aux traités L'organisation de la justice, de l'armée, les systèmes financiers, les régimes industriels et commerciaux, sont établis librement par lui. suivant la conception juste ou erronée qu'il a de leur utilité ou de leur efficacité.

Il règle, avec la même indépendance, toutes les relations. extérieures de l'Etat l'envoi et la réception d'agents diplomatiques et consulaires, les traités, les négociations, les alliances, la politique générale de l'Etat dépendent de lui seul.

En un mot Léopold II possède personnellement et exerce personnellement, sauf les délégations qu'il juge utiles, toutes les prérogatives que le droit des gens reconnaît aux Etats souve

rains.

Aucune règle constitutionnelle ne limite l'exercice de ces prérogatives.

Par contre, sa volonté est subordonnée au respect des traités internationaux que l'Etat du Congo a conclus.

Règles.

(1) C'est ce qui est exprimé sous une forme non juridique dans le Rapport du secrétaire d'Etat Van Eetvelde au Souverain, du 25 janvier 1897, Bull. off., p. 41. « Aujourd'hui, c'est à Votre Majesté qu'appartient l'Etat et qu'incombe le soin d'en régler les destinées dans le triple intérêt des populations indigènes, de la mère-patrie et de la civilisation. >>

TITRE II

Des limitations de la Souveraineté

congolaise

Importance des dispositions du traité de Berlin.

Généralités.

Le développement continu des relations économiques, politiques, scientifiques des nations rend chaque année plus nombreuses les limitations réciproques de souveraineté que les États consentent par traités dans leur intérêt et dans l'intérêt de leurs nationaux. On a vu plus haut (1) que l'activité diplomatique de l'Etat Indépendant est déjà considérable.

Il est deux traités qui, à raison de leur importance exceptionnelle, du nombre et de la nature des restrictions qu'ils apportent à la souveraineté congolaise, doivent faire l'objet d'une étude spéciale: ce sont l'acte général de la conférence de Berlin et l'acte général de la conférence de Bruxelles.

Le traité de Berlin surtout a, dans le but de favoriser le commerce de toutes les nations et de sauvegarder les intérêts matériels et moraux des indigènes, établi des limitations si multiples et si diverses de la souveraineté que certains auteurs le considèrent comme la Constitution de l'Etat Indépendant.

Cette affirmation est dangereuse parce qu'on peut en tirer des conséquences inexactes.

(1) P. 57 et s.

constitution.

La Constitution d'un État est, soit accordée par le Souve- Il n'est pas une rain en vertu d'un quasi-contrat, soit faite par la nation qui peut la modifier quand elle le juge utile, sans que, en règle générale, les États voisins puissent intervenir pour interdire ou ordonner ces modifications.

Les restrictions apportées à la souveraineté d'un État, par des conventions internationales, sont d'une nature très différente. L'Etat qui les a acceptées en est tenu vis-à-vis de toutes les puissances signataires et il ne peut les changer ou les supprimer sans le consentement de chacune d'elles. Par contre, l'Etat n'est lié qu'envers les puissances qui ont signé le traité et celles qui y sont restées étrangères ne peuvent s'en prévaloir.

D'autres publicistes ont commis une erreur plus grave encore en pensant que les stipulations du traité de Berlin réduisent l'État du Congo à la condition d'État mi-souverain. Ils oublient que ce traité n'apporte pas seulement des restrictions à la souveraineté de l'État du Congo. Il les apporte aussi, et dans les mêmes conditions, à la souveraineté territoriale de toutes les puissances établies dans le bassin con ventionnel du Congo. La France, le Portugal, l'Allemagne, l'Angleterre, ne possèdent pas, dans leurs colonies congolaises, des pouvoirs plus étendus que l'État Indépendant. Comment pourrait-on soutenir que ces États n'exercent dans le bassin du Congo qu'une mi-souveraineté ?

La conférence antiesclavagiste de Bruxelles a été réunie pour modifier en un point et pour compléter en d'autres points, l'œuvre commencée à Berlin. L'acte général qui renferme le résultat de ses travaux n'est que le prolongement de l'acte général de Berlin.

Les dispositions de ces deux documents diplomatiques peuvent donc être exposées comme si elles ne formaient

Il ne réduit pas l'Etat à la condition d'Etat mi

Souverain.

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