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Conflit avec les sociétés commerciales.

concessionnaire de l'exploitation de certains produits du domaine jouit du privilège exclusif, du monopole de se livrer à cette exploitation. Une fois le principe de la propriété des terres vacantes par l'Etat admis, toutes les conséquences indiquées plus haut s'en déduisent naturellement et logiquement. Aussi est-ce ce principe même qui a été discuté. On a soutenu que l'attribution à l'Etat de la propriété de terres vacantes entraînait une violation du traité de Berlin.

Cette opinion n'est pas admissible. Aucun article de l'acte général ne peut être invoqué en sa faveur. Le § 1er de l'art. V ne vise en aucune façon l'attribution des terres vacantes à l'Etat; il ne s'agit là ni de la constitution d'un monopole international ni d'un acte commercial.

L'attribution des terres vacantes à l'Etat n'est d'ailleurs ni une mesure exceptionnelle ni une innovation de l'Etat Indépendant. Elle existe dans presque tous les Codes européens, et elle est réalisée dans toutes les législations coloniales. La France et le Portugal, qui sont liés par le traité de Berlin dans les mêmes conditions que 1 Etat Indépendant, n'ont pas I manqué d'appliquer le même principe à leurs possessions congolaises.

Un conflit aigu éclata en 1892 entre l'Etat du Congo et les sociétés commerciales fondées pour exercer le commerce au Congo (1). Des explorations hardies avaient révélé, dans les années précédentes, le cours de l'Ubangi, de l'Uellé et du Bomu. La région nouvelle, très peuplée, était très riche en ivoire et en caoutchouc. Ce fait attira en même temps l'attention du gouvernement de l'Etat Indépendant et de la Société commerciale du Haut-Congo. Le gouvernement espéra trouver dans l'exploitation du domaine public dans ces régions les

(1) Consulter à ce sujet le Mouvement géographique de 1892. Il contient toute une série d'articles et de documents relatifs au conflit.

ressources nécessaires pour équilibrer son budget et la société commerciale, poussée par un très légitime désir de tirer parti des richesses du pays, y installa, en septembre 1891, diverses factoreries qui commencèrent le trafic de l'ivoire et du caoutchouc.

Or, au moment même où se fondaient ces factoreries, le Roi-Souverain signait à Bruxelles, le 21 septembre 1891, un décret qui n'a pas été publié au Bulletin officiel, et qui ordonnait aux commissaires de district de l'Aruwimi-Uellé de l'Ubangi et aux chefs d'expédition du haut Ubangi de prendre d'urgence les mesures nécessaires pour conserver à la disposition de l'Etat les fruits domaniaux, notamment l'ivoire et le caoutchouc. Le décret motivait cet ordre en invoquant les frais considérables de premier établissement dans ces contrées. Le 14 février 1892, le commandant de l'expédition de l'Oubangi-Uellé notifiait aux agents des sociétés commerciales établis dans la région, qu'il était décidé à faire valoir rigoureusement les droits de l'Etat sur ses domaines et à ne plus permettre aux indigènes de distraire à leur profit et à vendre l'ivoire et le caoutchouc qui en sont les fruits. Il menaçait de considérer comme receleurs les commerçants qui leur achèteraient désormais de l'ivoire et du caoutchouc

Par une autre circulaire de la même date, le commandant de l'expédition, se basant sur des événements récents qui seraient venus démontrer que l'établissement de maisons de commerce en amont de Yakoma constituait un danger public, fermait au commerce toute la région en amont de ce point.

Le commissaire de district de l'Equateur prit le 8 mai 1892 une décision par laquelle, après avoir constaté qu'aucune concession pour l'exploitation du caoutchouc domanial n'avait été accordée, il ordonnait que tout le caoutchouc fût remis à l'Etat contre numéraire.

Ces mesures déterminèrent le conflit. Les sociétés com

merciales prétendirent que le décret et ses mesures d'application étaient contraires au traité de Berlin, parce qu'ils entravaient la liberté commerciale en les mettant dans l'impossibilité de vendre et d'acheter et en constituant un monopole au profit de l'Etat. La presse quotidienne discuta la question avec beaucoup d'âpreté et finalement une transaction intervint qui conciliait les intérêts des parties.

La question a souvent été très mal posée. La légalité du décret du 21 septembre 1891 ne peut être mise en question. Celle des mesures prises par les commissaires de district est douteuse, non pas au point de vue des principes du traité de Berlin, mais au point de vue du droit congolais luimême.

La législation congolaise a posé ce principe humanitaire que les droits acquis des indigènes doivent être respectés. Le décret du 14 septembre 1886 porte, notamment à l'art. 2, que les terres occupées par les indigènes, sous l'autorité de leurs chefs, continueront d'être régies par les coutumes et usages locaux. Ce décret suppose le respect des droits d'exploitation du caoutchouc par les indigènes dans les forêts où ils exerçaient cette exploitation au moment de la constitution du domaine privé. Des décrets postérieurs ont consacré cette interprétation.

Si l'on se place à ce point de vue, la légalité des mesures prises par le chef d'expédition de l'Oubangi-Uellé et par le commissaire de district de l'Equateur, en exécution du décret du 29 septembre 1891, est très contestable. Ces mesures seraient inattaquables s'il était prouvé que les indigènes des régions de l'Oubangi-Cellé n'exploitaient pas le caoutchouc dans certaines portions de forêts avant la constitution du domaine privé. S'ils exerçaient ce droit antérieurement, ils avaient conservé et pouvaient légitimement se trouver détenteurs de caoutchouc recueilli soit avant, soit après le

décret du 1er juillet 1885. Dès lors, ils pouvaient le céder librement au plus offrant.

En résumé, le décret du 29 septembre 1891 était inattaquable, mais les mesures prises en exécution de ce décret étaient critiquables On pouvait invoquer contre elles non pas le traité de Berlin, mais le droit congolais. Elles pouvaient être considérées comme une violation du droit des indigènes.

TITRE III

Le Territoire

Frontières.

CHAPITRE [er

LE TERRITOIRE PROPREMENT DIT

La configuration actuelle des frontières de l'Etat Indépendant n'a été arrêtée qu'à la suite d'une série de conventions internationales qu'il suffira de signaler ici. Les résultats de ces arrangements sont consignés dans la déclaration de neutralité du 24 décembre 1894 (1) remplaçant celle du 1er août 1885 (2).

Les frontières du nord ont été réglées par les conventions suivantes :

1° Convention franco-congolaise du 5 février 1885 (3);
2° Convention franco-congolaise du 22 novembre 1885 (4) ;
3° Protocole franco-congolais du 29 avril 1887 (5);
4o Convention congo-portugaise du 25 mai 1891 (6);
5o Convention franco-congolaise du 14 août 1894 (7)

(1) Bull. off., 1894, p. 258.

(2) Bull. off., 1888, p. 237.

(3) BANNING, p. 118.

(4) BANNING, p. 133.

(5) Mouvem, géogr., 1888, 62.
(6) Mouvem. géogr., 1891, 47.
(7) Bull. off., 1894, p. 255.

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