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nier principe.

Un décret du 9 août 1893 (1) permet d'étendre ce principe. Extension de ce derIl reconnaît aux natifs le droit de continuer à étendre leurs cultures sur les terres vacantes qui entourent leurs villages aussi longtemps que le mesurage officiel de ces terres vacantes n'a pas été effectué. Il en résulte que, aussi longtemps que subsistera ce décret, il faudra considérer comme terres soumises au régime indigène et restant par conséquent en dehors du domaine privé de l'Etat, non seulement les terres qu'occupaient les indigènes à la date du 1er juillet 1887, mais aussi toutes les terres occupées depuis par les indigènes dans les conditions de l'article 6 du décret du 9 août 1895

Vient maintenant une question plus délicate encore: c'est celle de savoir ce qu'il faut entendre par les mots, terres occupées par les indigènes?

L'interprétation de ces mots soulève diverses difficultés qui doivent être examinées une à une.

OC

signifie pas terres actuellement cupées.

Les procédés de culture indigènes, semblables à ceux des Terres occupées ne autres races primitives, consistent souvent dans une exploitation par assolement. Les terres, après avoir été cultivées. pendant un certain temps, sont laissées en friche. Les cultures sont alors établies sur un autre point du territoire de la tribu. I se fait ainsi un véritable roulement. Les terres, laissées en friche, réacquièrent peu à peu une fertilité suffisante pour être remises en culture.

Faut-il considérer comme terres occupées, dans le sens de l'ordonnance du 1er juillet 1885 et du décret du 14 septembre 1886, seulement les terres actuellement occupées? Ne faut-il pas plus tôt admettre que, au point de vue de la législation foncière, toutes les terres occupées périodiquement par les indigènes leur sont conservées et sont exclues du domaine. privé? L'interprétation extensive doit être préférée. Il n'est

(1) Bull. off., p. 189.

Terres occupies ne signifie pas terres cultivées.

pas possible que le législateur n'ait pas voulu tenir compte des procédés de culture des indigènes, si imparfaits qu'ils fussent. Les terres laissées en friche ne sont pas abandonnées; le fait de les laisser reposer constitue un des modes de l'exploitation agricole des noirs. Des terres, précédemment cultivées par les indigènes, n'entrent donc dans le domaine privé que quand elles sont définitivement abandonnées par eux; c'est alors seulement qu'elles redeviennent vacantes.

Une autre question d'interprétation de l'ordonnance du 1er juillet 1885 est plus grave et plus importante.

Doit-on entendre par terres occupées par les indigènes seulement les terres cultivées par eux, celles sur lesquelles ils établissent, selon les régions, des plantations de riz, de manioc, de maïs ?

Ne doit-on pas, au contraire, adopter l'interprétation plus large, qui considère comme occupées par les indigènes, non seulement les terres qu'ils cultivent, mais aussi celles dont ils tirent parti sans les cultiver?

L'interprétation extensive est la seule juste. Si le législa teur avait voulu restreindre la portée des dispositions qu'il adoptait, il lui eût été facile d'employer les mots « cultivées par les indigènes » au lieu de ceux « occupées par les indigènes >>.

Le mot « occupées» a été utilisé à dessein pour écarter l'éventualité d'une interprétation trop étroite.

D'un autre côté, l'ordonnance s'est évidemment inspirée de l'esprit du traité de Berlin relatif au respect des droits acquis. Or, le traité de Berlin vise les droits civils de toute espèce. Le législateur a donc voulu viser par les mots «< terres occupées par les indigènes », toutes les terres cultivées ou non, boisées ou non, sur lesquelles les indigènes exerçaient des droits civils à la date du 1er juillet 1885.

Il en résulte que l'ordonnance protège :

L'ordonnance protège :

et de propriété des indigènes.

1o Les droits d'usage ou de propriété des indigènes, quelle Les droits d'usage que soit d'ailleurs l'organisation collective, familiale ou privée de la propriété. Les indigènes ne pourraient, sous aucun prétexte, être dépossédés des terres qu'ils cultivaient ou sur lesquelles ils avaient établi des constructions, que d'après les règles établies en matière d'expropriation d'utilité publique ;

minières.

2o Les exploitations des produits miniers établies à la date Leurs exploitations du 1er juillet 1885. - Ce principe est formellement proclamé par l'article 5 du décret du 8 juin 1888 (1). Les indigènes peuvent continuer les exploitations qu'ils pratiquaient pour leur compte et dans les conditions où ils les pratiquaient au moment du décret ;

3o Les droits de cueillette des indigènes.

Ces droits ont Leurs droits

une grande importance à raison de la valeur du caoutchouc et des autres produits végétaux. Les terres sur lesquelles les indigènes exploitaient le caoutchouc à la date du 1er juillet 1885 étaient occupées par eux dans le sens de l'ordonnance. Cette interprétation a été adoptée par le gouvernement, dans un décret du 5 décembre 1892 qui, malheureusement, n'a pas été publié. Toutefois, il y est fait allusion à diverses reprises dans le Bulletin officiel (2) et ces mentions permettent de conclure que ce décret reconnaît les droits des indigènes. relativement à l'exploitation du caoutchouc, dans les conditions où ils les exerçaient avant la promulgation de l'ordonnance du 1er juillet 1885. L'art. 4 de ce décret ordonne (3) en effet d'ouvrir une enquête sur le point de savoir si les natifs exploitaient le caoutchouc à cette date et sur la nature de cette exploitation Le décret proclame le respect de ces droits

(1) Bull. off., 1893, p. 235.

(2) Bull. off., 1893, p. 3, 9 et 214; 1896, p. 8. (3) Bull. off., 1893 p. 3.

de cueillette.

Quid des droits de chasse et de pêche?

et ordonne de les consigner dans un registre spécial tenu par le conservateur des titres fonciers; l'inscription emporte constatation légale de ces droits dans les limites qu'elle détermine 1). Les indigènes conservent le droit d'exploiter commercialement si leur exploitation était commerciale au moment de l'ordonnance du 1er juillet 1885.

Le principe est juste. Il serait intéressant de connaître le texte du décret afin de vérifier si l'enquête est organisée de façon à sauvegarder les droits des indigènes.

Qui fait cette enquête? Est elle contradictoire? Les négociants européens devraient être admis à y intervenir. Ils ont un intérêt évident à prouver que les forêts ne font pas partie du domaine privé.

Que faut-il décider des droits de chasse et de pêche des indigènes? Ce sont des droits acquis qui doivent être respectés. Toutefois, il est évident que ce principe ne peut faire obstacle à ce que le Gouvernement de l'État réglemente, dans l'intérêt général, les droits de chasse et de pêche, les restreigne et les supprime même dans les cas de nécessité absolue. Il serait inadmissible que, sous prétexte qu'une plaine ou forêt constitue un territoire de chasse, on ne puisse y établir aucune exploitation agricole ou industrielle.

L'évolution économique du pays ne pourrait être retardée pour des intérêts aussi minimes. Le développement du pays procurera d'ailleurs aux indigènes des ressources d'une autre nature, mais plus productives et plus avantageuses.

(1) Le Bulletin officiel de 1895, p. 8, contient une communication du directeur de la justice portant que le Gouverneur général ayant déclaré close l'enquête prescrite par l'art. 4 du décret du 5 décembre 1892, et lui ayant communiqué l'enquête, il l'a examinée sans y relever qu'il fût constaté que les indigènes exploitaient le caoutchouc dans un but commercial, dans la région de la Lulua Il n'est pas dit qui avait fait l'enquête, ni comment elle avait été faite.

D'autres conflits surgiront entre les intérêts des indigènes et les nécessités du développement économique du pays. On peut supposer, par exemple, que dans certaines forêts, les indigènes exploitent la gomme copale sans exploiter le caoutchouc, source de richesses plus importante. L'Etat pourra concéder à des particuliers l'exploitation du caoutchouc dans ces forêts. Comment concilier les droits des indigènes avec ceux des concessionnaires du caoutchouc? Le cas échéant, il faudra procéder par voie d'expropriation et d'indemnité aux indigènes. La matière est délicate et devra être étudiée de près.

Probabilité de conflits de droits.

En résumé, font donc partie du domaine privé de l'Etat Résumé. <«< toutes les terres sur lesquelles des non-indigènes ne possèdent pas de droits de propriété dûment enregistrés et toutes celles que les indigènes n'occupent pas dans le sens qu'il faut donner à ce mot ».

Le droit de propriété de l'Etat sur les terres vacantes emporte propriété de tous les produits du sol et du sous-sol, quels qu'ils soient.

Font aussi partie du domaine privé de l'Etat, en vertu de la législation sur les mines, toutes les richesses minérales contenues dans tout le territoire de l'Etat, même dans le sol des terrains appartenant à des particuliers.

Le décret du 8 juin 1888 (1) porte, en effet, que l'aliénation par l'Etat des terres qui lui appartiennent et l'enregistrement. des terres effectués conformément aux dispositions sur le régime foncier ne confèrent aux acquéreurs et aux propriétaires de ces terrains aucun droit de propriété et d'exploitation sur les richesses minérales que le sol peut renfermer. Ces richesses minérales demeurent la propriété de l'Etat. Appartiennent aussi à l'Etat et font partie du domaine privé.

(1) Bull. off., 1893, p. 235.

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