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gers. Ces limitations ont pour but de leur donner l'indépendance nécessaire pour l'accomplissement de leur mission. Ils ne sont point soumis aux lois pénales, ils échappent à toute poursuite répressive, ils jouissent d'une certaine immunité en matière civile, la franchise diplomatique couvre leur hôtel, leurs archives, ils sont exempts d'impôts, etc., etc.

Il existe encore d'autres exceptions au principe de la souveraineté territoriale, mais elles n'ont pas de rapport avec l'objet de ce chapitre.

Tous les Etats sont donc tenus, par les usages et les coutumes internationaux, à accepter certaines limitations de la souveraineté territoriale. Ces limitations sont d'interprétation restrictive; la tendance scientifique est de les restreindre de plus en plus.

consentir á des limitations de sa Souveraineté.

Les Etats peuvent-ils consentir à des limitations de leur La Belgique peut souveraineté territoriale? La solution de cette question dépend non seulement des principes du droit international, mais aussi des règles du droit public de chaque Etat. I importe donc d'examiner cette question au point de vue du droit belge. Elle peut se formuler dans les termes suivants : « La Belgique peut-elle, sans enfreindre soit les règles du droit international, soit celles du droit constitutionnel belge, consentir à des limitations de sa souveraineté territoriale?

fait pas obstacle.

La réponse n'est pas douteuse au point de vue du droit des Le droit des gens n'y gens.

En principe, tout Etat peut, en vertu de sa souveraineté même, consentir à ce que cette souveraineté reçoive des

restrictions sur son territoire.

pas obstacle.

Mais la neutralité de la Belgique ou le droit constitu- La neutralité n'y fait tionnel belge n'y mettent-ils point obstacle?

La Belgique, de par sa neutralité, n'est pas seulement tenue des obligations de la neutralité en temps de guerre. Elle a aussi des obligations en temps de paix. Elle a notamment

La Constitution n'y fait pas obstacle.

l'obligation de ne pas permettre qu'une puissance étrangère acquière en Belgique une situation juridique privilégiée. Devrait donc être considéré comme violant la neutralité belge, tout abandon des prérogatives de la souveraineté territoriale qui créerait, au bénéfice exclusif d'un Etat, une situation de droit privilégiée

C'est ainsi que M. Rolin-Jaequemyns a pu soutenir avec raison (1), à propos du projet de cession à la France d'une partie importante du réseau des chemins de fer belges, que la Belgique ne pouvait y consentir.

Mais il va sans dire que la neutralité ne peut s'opposer à des limitations de la souveraineté territoriale que lorsqu'il s'agit d'un abandon de souveraineté qui, en constituant un privilège au profit d'une nation déterminée, serait de nature. à mettre son existence, son indépendance en péril. Des limitations de cette nature ne peuvent être nombreuses. Dans tous les autres cas, la neutralité, qui est elle-même une limitation de la souveraineté, ne peut faire obstacle à ce que la Belgique consente à tolérer sur son territoire certains actes d'une souveraineté étrangère.

Mais si la neutralité ne s'oppose pas à ces limitations de la souveraineté, la Constitution ne les défend-elle point?

On a prétendu que les articles 7, 8, 9 et 94 de la Constitution ont cette portée, et qu'ils interdisent le fonctionnement sur le territoire belge de tout tribunal étranger.

L'art. 7 porte : « Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi. » L'art. 8: « Nul ne peut être distrait. contre son gré du juge que la loi lui assigne.» L'art.94 : « Nul tribunal, nulle juridiction ne peut être établie qu'en vertu d'une loi. » L'art. 9: « Nulle peine ne peut être établie qu'en vertu d'une loi. »

(1) Revue de droit international, t. II, p. 287.

On s'est mépris sur la portée de ces articles qui ne visent nullement des renonciations à la souveraineté territoriale; toutes, elles ont pour but d'écarter l'arbitraire de l'administration de la justice.

D'ailleurs, tous ces textes s'en réfèrent à la loi. Toute loi pourrait donc constitutionnellement faire disparaître l'obstacle constitutionnel, à supposer qu'il y en eût un, ce qui n'est pas le cas.

Les conclusions à tirer de ce qui précède peuvent donc se Conclusions résumer ainsi :

I. La Belgique a le droit, sauf les exceptions établies. par les usages internationaux, d'exclure de son territoire l'accomplissement de tout acte de souveraineté d'une autre

nation.

II. La Belgique peut renoncer à ce droit, à la seule exception des renonciations qui constitueraient, au profit d'une nation déterminée, une situation de droit privilégiée mettant son existence en péril.

Qui peut autoriser en Belgique ces limitations de la souveraineté territoriale?

Cette limitation devrait être consentie par un acte du pouvoir législatif qui exerce, dans les conditions établies par la Constitution, les principales prérogatives de la souveraineté nationale. Le pouvoir exécutif n'a nullement qualité pour faire une telle renonciation.

Le pouvoir exécutif ne pourrait pas consentir une telle renonciation par traité, sans soumettre ce traité à l'approbation des Chambres, en vertu de l'art. 68 de la Constitution, car ce traité serait de nature à grever l'Etat et à lier individuellement les Belges.

Exercice de la souveraineté congolaise par Léopold II.

Quid du fonctionne

ment du gouver nement congolais en Belgique?

§ 2. De l'exercice, par Léopold II, de la souveraineté congolaise sur le territoire belge.

Le droit et les usages internationaux permettent aux souverains étrangers d'accomplir sur le territoire étranger certains actes de souveraineté. Ils peuvent sanctionner et promulguer des lois, prendre des règlements et décrets, nommer aux emplois, en révoquer, en un mot exercer toutes les prérogatives de la souveraineté qui leur appartiennent en vertu des lois de leur pays, à condition que ces actes de la souveraineté ne doivent point recevoir exécution sur le territoire étranger.

A supposer, par conséquent, que Léopold II, Souverain du Congo, ne fût point dans une situation particulière, il jouirait déjà en Belgique de toutes ces prérogatives.

Mais le Roi se trouve, en vertu de l'union personnelle existant entre la Belgique et le Congo, dans une situation plus favorable. En effet, l'union personnelle implique nécessairement que le Souverain se trouve dans l'un des pays. La législature d'un de ces pays, en consentant à ce que le Roi devienne Souverain de l'autre, a consenti implicitement mais nécessairement, à ce que le Souverain puisse librement faire sur le territoire tous actes de souveraineté qui, dans les circonstances ordinaires, ne pourraient être faits dans l'autre pays, à condition toujours qu'ils ne doivent point recevoir exécution ou être obligatoires sur le territoire.

Dans aucun cas, le Roi ne pourrait accomplir ou ordonner en Belgique un acte de contrainte en vertu d'une loi congolaise.

$3 - De l'établissement et du fonctionnement en Belgique du Gouvernement central de l'Etat Indépendant du Congo.

Il résulte des principes posés précédemment que l'établissement et le fonctionnement en Belgique d'un Gouvernement

étranger doivent être consentis par une loi ou par un traité ayant reçu l'assentiment des Chambres.

Aucune autorisation de ce genre n'ayant été expressément accordée en ce qui concerne l'Etat Indépendant, le fonctionnement en Belgique du gouvernement de cet Etat est considéré par certains politiciens comme contraire au droit public belge.

On leur objecte que la « résolution des Chambres belges qui autorise l'union personnelle a autorisé par là même le Roi des Belges à organiser en Belgique le gouvernement du nouvel Etat et qu'ainsi c'est d'accord avec notre législature que le Gouvernement du Congo a son siège aux côtés de son souverain, siège qu'il ne pourrait avoir ailleurs (1) ».

Les partisans de l'opinion contraire répondent : « Cette opinion est erronée. L'union personnelle ne suppose nullement que les organismes gouvernementaux des deux pays soient situés dans l'un d'eux. Au contraire, l'union personnelle laisse chaque Etat parfaitement indépendant, chacun conservant son gouvernement sur son territoire. Il en est ainsi dans tous les exemples connus d'union personnelle.

« D'un autre côté, disent-ils, les exceptions consenties au principe de la souveraineté territoriale sont d'interprétation restrictive. L'autorisation donnée au Roi de devenir le Souverain d'un autre Etat n'emporte donc nullement l'autorisation d'établir le siège du gouvernement dans notre pays. Loin que les travaux préparatoires des autorisations des 28-30 avril 1885 fissent prévoir l'établissement du gouvernement du Congo à Bruxelles, la lettre du Roi au conseil des ministres du 16 avril 1885, par laquelle il les prie de demander l'autorisation prévue par la Constitution, porte: « Un nouvel Etat se

(1) DE CUVELIER, t. XX, p. 129.

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