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naux. Mais le problème de son existence politique n'était rien moins que résolu, et l'avenir étant couvert à tous les yeux d'un nuage impénétrable, la nouvelle carrière ouverte aux acquéreurs offrait plus d'un danger à courir. Ceux qui, les premiers, osèrent les braver en liant leur fortune à la Révolution méritèrent bien de la patrie; on leur doit le crédit public et peut-être la liberté.

Cependant l'opinion générale ne paraît pas avoir sanctionné cet arrêt, et le titre d'acquéreur de domaines nationaux est devenu, pour ainsi dire, synonyme de ceux de dilapidateur, d'usurpateur de la fortune publique. C'est en vain que l'on croirait avoir aperçu le motif d'un jugement aussi unanime dans l'esprit de jalousie qui peut bien se communiquer à quelques individus isolés, mais qui ne saurait appartenir à toute la masse; c'est en vain qu'on le chercherait encore dans le scandale de l'éviction soufferte par quelques familles induement réputées émigrées : il est bien plus naturel de le voir dans la disproportion énorme que la dépréciation progressive du papier-monnaie a établie, presque généralement, entre la valeur positive des biens vendus et leur produit réel; en sorte que ces mêmes biens étant justement regardés comme le patrimoine de tous, ceux qui, après s'en être rendus acquéreurs, ont profité du bénéfice de la dépréciation du signe représentatif, se trouvent réellement placés, vis-à-vis chaque portion de la masse, comme le serait un voleur adroit et heureux vis-à-vis d'une famille qu'il aurait impunément dépouillée.

Une situation si critique ne saurait durer plus longtemps sans compromettre la délicatesse et la loyauté des acquéreurs nationaux, les droits même de ceux qui sont étrangers à ces acquisitions, la tranquillité de tous, et depuis longtemps l'intérêt public et particulier réclament à cet égard, une mesure qui serait tout à la fois expiatoire et conservatrice.

Les lois qui ont autorisé la vente des biens nationaux, la constitution qui l'a proclamée comme garantie de la foi publique, la justice du gouvernement, tout assure aux acquéreurs une possession paisible, entière, irrévocable; il y a plus, la Nation ayant, par l'organe de ses représentants, renoncé solennellement à la lésion, ne peut plus s'en ressaisir aujourd'hui. Cette action rétrograde, outre qu'elle donnerait à la législation française un caractère indécent da versatilité, porterait au crédit public une mortelle atteinte. Ce serait même envers la classe estimable des acquéreurs nationaux une sorte d'ingratitude publique... et l'on est loin de vouloir conseiller une mesure alarmante et désastreuse.

La question nous paraît donc se réduire à ce point: la Nation a-t-elle, ou non, le droit d'exiger des acquéreurs de ses domaines le prix réel de leur évaluation? L'affirmative parait incontestable, si l'on considère que cette évaluation faite en valeur métallique, aux termes de la loi de 1791, d'après les baux antérieurs et les contributions, ou ensuite de ventilation et d'estimation par experts, avait une base fixe, légale, uniforme, et qu'il était

établi en principe que l'on ne recevrait aucune enchère au-dessous de cette valeur; il n'en est pas de même du prix auquel les fonds ont été vendus, car il est telles adjudications dont le principal, nonobstant l'élévation des enchères, et par l'effet même du déclin progressif du papier-monnaie, ne représente pas l'évaluation de l'objet aliéné; d'autres qui, à la vérité, l'outrepassent; et un plus grand nombre encore dont les payements, faits à des époques plus ou moins reculées, sont dans une plus grande discordance.

Ce n'est donc pas le prix auquel l'adjudication a été tranchée qu'il faut prendre pour base de l'opération qu'on propose, attendu qu'il donnerait lieu à des calculs arbitraires sur la réduction du papier-monnaie à l'infini, mais bien le prix de l'évaluation du fonds aliéné, combiné avec la valeur du papier-monnaie à l'époque des payements, soit d'après l'échelle de dépréciation des diverses localités, soit d'après une échelle générale à former, qui tiendrait la balance entre toutes les autres.

De l'application de ce principe découle une conséquence heureuse dans l'exercice de la justice distributive, car alors l'acquéreur qui a donné une plus grande preuve de confiance, en réalisant sur-le-champ ou dans le délai indispensable aux négociations d'usage, le prix de son adjudication, se trouverait aussi, par l'effet des enchères, avoir payé à peu de chose près la valeur estimative; au lieu que celui qui ne s'est acquitté qu'après un laps de plusieurs années et dans un temps peut-être où la dépréciation du papier-monnaie avait réduit le principal au-dessous de la valeur des intérêts même d'une seule année, ne pourrait plus jouir d'un bien qu'il possédait, pour ainsi dire à titre gratuit, sans en rapporter la valeur fixe et réelle d'après l'évaluation; et certes! dans cette hypothèse il aurait bien moins à se plaindre que si, incontinent après la suppression du papier-monnaie, ou bien à l'époque de son plus grand discrédit, lorsque le prix des adjudications s'élevait communément à raison de cent pour un, on l'eût forcé d'en réaliser le montant en numéraire; car alors il eût pu représenter avec vérité qu'en poursuivant à la chaleur des enchères l'adjudication dont il était revêtu, il avait calculé que la dépréciation progressive du papiermonnaie en réduirait d'autant le prix, et lui en faciliterait le payement, et, en effet, cette dépréciation existant depuis une époque antérieure à la vente, devenait, pour ainsi dire, une condition naturelle et nécessaire de l'adjudication.

Cela posé, il se présente ici deux questions secondaires à résoudre; l'une, si les acquisitions faites de plusieurs domaines, à différentes époques, par le même individu, devraient être cumulées pour fixer son état de situation? l'autre, s'il devrait être astreint à rapporter, du moment de son envoi en possession, les intérêts des capitaux en leur faisant, toutefois, subir une réduction proportionnelle aux payements partiaires qui ont eu lieu successivement?

Sur la première de ces questions, l'équité réclame l'affirmative, parce que l'acquéreur étant une fois engagé dans une première adjudication, surtout dans le cas de la division d'un domaine en plusieurs lots, si le premier lui est échu à des conditions moins onéreuses, il s'est trouvé forcé par la convenance de se rendre adjudicataire, à tout prix, des lots subséquents; or la règle devant être la même pour le vendeur et pour l'acquéreur, il ne serait pas naturel que celui-ci fût obligé de rapporter un excédent de prix sur une portion, tandis que les autres lui offriraient matière de compensation légitime.

Sur la seconde question relative au rapport des intérêts, il paraît encore de toute justice d'y astreindre l'acquéreur, par la seule raison que celui-ci étant entré en jouissance au moment de son adjudication, le vendeur s'est trouvé tout à la fois, privé de sa propriété et des intérêts qui la repré

sentent.

On voit qu'il ne s'agit point de faire revivre l'action en lésion, mais sculement de donner à la loi sur les aliénations son exécution stricte el littérale. Ce serait au contraire admettre en quelque sorte la lésion en principe, que de vouloir que l'adjudication faite pour un prix équivalent à l'évaluation primitive devint la base d'un supplément ou d'une surcharge': mais non l'évaluation qui a précédé la vente étant la valeur légale et irrévocablement reconnue du fond aliéné, il y a eu insuffisance de prix, si, à l'époque du payement, le papier ne représentait pas réellement le principal de cette évaluation, comme il y aurait eu, de droit, nullité dans la vente si l'on eût reçu des enchères au-dessous de cette valeur.

Tel est le moyen qui a paru propre à consolider de plus en plus les alié nations nationales, et à confirmer les adjudications, même celles dont les enchères se trouveraient n'avoir pas égalé la valeur de l'estimation primitive, et qui, par là même, seraient dans le cas d'être attaquées de nullité: à quoi on renoncerait en obtenant le juste prix de l'évaluation déterminée par la loi.

Sans doute il n'est pas d'acquéreurs dont l'intérêt bien entendu, la bonne foi, la délicatesse, ne sollicitent une loi d'après les principes que l'on vient d'établir. Son premier effet sera de calmer les craintes qu'on ne cesse de leur inspirer, d'apaiser à leur égard le cri de la conscience publique, et de la forcer enfin à leur restituer toute la considération qui leur est due.

L'intérêt de l'État ne vient pas moins à l'appui de cette mesure salutaire; et d'abord elle présente dans ses résultats une riche et féconde hypothèque des secours annuels ou viagers que la patrie doit à ses défenseurs; et l'on pourrait dire, en cette occasion, que les domaines nationaux, dont la vente a, sans contredit, eu pour objet de soutenir la guerre de la liberté contre la coalition de l'Europe, ont recouvré leur première destination, alors même qu'ils n'existent plus.

Une considération non moins frappante, c'est la prompte et juste indem

nité qu'un tel projet assure à ces familles nombreuses et jadis opulentes, qu'une erreur funeste a dépouillées et qui, en obtenant du gouvernement leur réhabilitation civile, n'ont pu conserver l'espoir de rentrer un jour dans des propriétés dont la vente est irrévocable; or donc, ces familles étant aux droits de l'État par rapport aux acquéreurs, trouveraient, dans les suppléments à effectuer entre leurs mains, une ressource certaine, et un nouveau motif de bénir la sagesse du gouvernement. Alors que de haines éteintes! que de germes de discorde étouffés! Qui pourra mettre des bornes à la splendeur de la patrie, lorsqu'une fois la France, heureuse par ses lois et par l'union de ses citoyens, puisera dans la confiance et le crédit public une garantie nouvelle de l'exécution de ces vastes plans qui doivent porter si haut un jour la gloire de ses destinées? Que ne fera point un gouvernement tel que le nôtre, avec les immenses ressources qu'il peut d'un seul mot faire éclore? Une grande impulsion communiquée du centre à tous les points de la circonférence; les travaux publics recevant une activité nouvelle; des canaux de navigation ouverts de toutes parts, et se ralliant aux deux mers; la France devenue l'arbitre des nations et le siège principal du commerce de l'Europe: tels sont les avantages que le plan projeté assure et dont les résultats heureux flattent les vœux et les espérances des Français (").

(1) Les passages en italique sont soulignés dans le mémoire de Vuillier.

CHRONIQUE.

La Commission centrale s'est réunie le 13 juin 1907, sous la présidence de M. Aulard, en l'absence de M. Jaurès, empêché.

Étaient présents: MM. Camille Bloch, Brette, Caron, Chevreux, Dejean, Deville, Douarche, F. Faure, Gide, Guillemaut, Sigismond Lacroix, E. Réveillaud, Schmidt, Seligman, Tuetey, ainsi que MM. Bayet, de Saint-Arroman, Charpentier et de Bar. Excusés: MM. Gerbaux et Sée.

Après lecture et adoption du procès-verbal de la séance précédente, M. Caron, secrétaire, donne lecture d'un rapport sur les travaux de la Sous-Commission depuis la dernière réunion plénière.

M. Aulard souhaite la bienvenue à M. Chevreux, inspecteur général des bibliothèques et des archives, récemment nommé membre de la Commission. Les commissaires responsables rendent compte de l'état des publications en cours ou en préparation. Toutes celles dont l'exécution est prévue sur l'exercice 1907 sont en bonne voie.

M. Aulard donne lecture d'une «Instruction complémentaire sur la publication des cahiers de paroisses», rédigée par la Sous-Commission. Cette instruction est approuvée.

MM. Brette, C. Bloch et Caron lisent des rapports sur plusieurs propositions nouvelles de publications émanées de Comités départementaux. Elles concernent les cahiers des sénéchaussées de Ploërmel et de Gourin (éditeur M. Estienne), les dossiers de la vente des biens nationaux dans le département des Bouches-du-Rhône (éditeur: M. Moulin), les cahiers des bailliages de Bourges et de Vierzon (éditeur : M. Gandilhon). Après échange de vues, ces trois propositions de publications sont adoptées.

:

Au nom de la Sous-Commission, M. Aulard propose deux publications nouvelles à effectuer par les soins de la Commission centrale : 1° réimpression, avec introduction, par les soins de M. Caron, des «Tableaux de dépréciation du papier-monnaie», publiés en l'an vi, réédités en 1825, aujourd'hui presque introuvables, et qui constituent un instrument de travail indispensable, dont sont actuellement privés nombre de Comités départementaux; 2° publication, par les soins de MM. Caron et Deprez, d'un Recueil des textes législatifs et administratifs sur les biens nationaux»; le besoin de ce recueil se fait sentir chaque jour davantage, et plusieurs Comités départementaux ont exprimé le désir d'en être munis.

Ces propositions sont l'objet d'observations présentées par MM. Séligman, Fernand Faure, Caron, Aulard, Guillemaut, Deville. Finalement les deux publications sont votées.

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