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France. C'est en effet ce que nous apprenons par une charte de ce prince, concernant la restitution de différents objets qui avaient été enlevés à une église écossaise.

Il est dit, en propres termes, dans cette charte, que suivant la loi des Francs, les biens des étrangers appartiennent au roi; mais il est ajouté que, par des concessions royales, les Écossais ont été exceptés de cette règle.

avait été conclu tant de traités ou fait tant d'arrangements à ce sujet, que si l'on en excepte quelques petits états d'Allemagne et d'Italie, il n'existait pas de puissance en Europe avec laquelle le droit d'aubaine ne fût réciproquement aboli. Il l'était même avec une partie de l'Asie, plusieurs nations de l'Afrique, et l'Amérique septentrionale. A la vérité, les traités avec l'Angleterre, la Suède, les villes anséatiques, et les états barbaresques, ne portaient Le principe posé dans la loi des Francs se retrouve que sur les biens-meubles; mais ceux avec tous les dans les Établissements de saint Louis, dans une autres pays abolissaient le droit d'aubaine pour les ordonnance de Philippe-le-Bel, dans une lettre-biens meubles et immeubles à la fois. patente de Charles VI, et dans une infinité d'autres lois réunies, qui servent en France de fondement

au droit d'aubaine.

Le droit d'aubaine dont l'exercice tient plutôt à des considérations purement politiques qu'au droit civil proprement dit, dut, suivant les circonstances, éprouver, à diverses époques, différents changements. Aussi, après avoir été appliqué avec une assez grande rigueur, l'a-t-on vu successive ment modifié, aboli, rétabli et entièrement abrogé. Il fera l'objet d'une première section.

II. Telles étaient les règles sur cette matière, lorsque le 6 août 1790, l'Assemblée constituante rendit le décret dont voici l'une des dispositions : «Art. Ir. Le droit d'aubaine et celui de détraction sont abolis pour toujours. »

dans notre législation. Abolissant sans restriction Ce décret apporta un très-grand changement et sans réserve le droit d'aubaine, levant l'empêchement ou l'obstacle qui s'opposait à ce que l'étranger n'eût d'autre successeur que le fisc, il lui donna, comme au Français, la possibilité d'avoir un héritier. De là il suivit que, comme le Français, put donner pour cause de mort, disposer par testament, et transmettre ab intestat.

On verra dans une seconde les principes sur le il droit de succéder aux Français qui ne laissent pour héritiers que des étrangers.

SECTION Ire

Du droit d'aubaine.

I. Il était de principe anciennement que l'étranger ne pouvait pas avoir d'héritier. Sa succession, ainsi qu'on l'a vu, était adjugée au fisc. Néanmoins cette réglé souffrait plusieurs exceptions.

La première avait lieu en faveur des enfants nés et demeurant dans le royaume. Il existait même quelques coutumes qui, à défaut de tels enfants, appelaient à la succession de l'étranger, ses autres parents francais.

La seconde concernait certains étrangers, tels que les marchands ou négociants qui fréquentaient certains ports ou certaines foires, ainsi que les ouvriers employés au desséchement de diffèrents marais. Mais cette exception n'avait lieu que pour les biens-meubles.

La troisième, et aussi pour les biens-meubles, s'appliquait aux étrangers revêtus d'un caractère représentatif de leur nation, tels que les ambassadeurs, les ministres, les envoyés et autres agents, ainsi que les personnes composant leur famille, ou attachées à leur suite.

Enfin la dernière exception était relative aux étrangers qui avaient été affranchis du droit d'aubaine par des lettres-patentes, ou qui appartenaient à des nations avec lesquelles la France avait stipulé, à charge de réciprocité, l'abolition de ce droit.

Depuis le commencement du règne de Frauçois Ier, jusqu'à la fin de celui de Louis XVI, il

1ome I.

La même assemblée alla plus loin encore. Elle décréta, le 8 avril 1791, que l'étranger pourrait succéder même au Français; mais cette capacité, quoique paraissant avoir quelque rapport avec l'abolition du droit d'aubaine, en est cependant tout-à-fait séparée, comme on le verra ci-après, section II.

III. Le décret du 6 août 1790 fut presque annulé, ou du moins extrêmement modifié par la publication du Code civil.

L'article 726 de ce Code, promulgué le 29 avril 1803, porte:

« Un étranger n'est admis à succéder aux biens que son parent étranger ou français possède dans le territoire du royaume, que dans les cas et de la manière dont un Français succède à son parent possédant des biens dans le pays de cet étranger, conformément aux dispositions de l'article 11. » L'article 1 est ainsi conçu :

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L'étranger jouira en France des mêmes droits civils que ceux qui sont ou seront accordés aux Français par les traités de la nation à laquelle cet étranger appartiendra. »

L'article 726 a fait une dérogation aux décrets des 6 août 1790 et 8 avril 1791. Mais pour nous en tenir, quant à présent, à ce qui concerne le premier de ces décrets, on peut avancer qu'il a implicitement rétabli le droit d'aubaine. Cette assertion trouve sa justification dans ce commencement de phrase : « Un étranger n'est admis à succéder aux biens que son parent étranger possède dans le territoire du royaume que dans les cas..... ». que le droit de successibilité entre étrangers, ou ce qui revient au même, l'exemption de l'aubaine, 31

De ce

n'a lieu que pour ceux appartenant à des nations son domicile. Il peut arriver que la succession, avec lesquelles cette exemption a été stipulée, il dont cet article a le partage pour objet, soit moen résulte nécessairement que le droit d'aubaine bilière ou immobilière, provienne ou d'un étrana été en effet rétabli contre les étrangers en géné- ger passager, ou d'un étranger domicilié. Ces ral, ou si l'on veut contre ceux qui ne pourraient distinctions ne paraîtront pas oiseuses, lorsqu'on invoquer en leur faveur des dispositions de traités. fera attention que les différents cas où elles s'apAu surplus, la règle contenue dans l'art. 726 pliquent, ne sont pas soumis aux mêmes règles. du Code civil, est par le fait beauconp moins rigou-La discussion à laquelle nous allons nous livrer reuse qu'on ne le croirait d'abord, puisqu'il est va éclaircir tout ceci. vrai que d'après les nombreux traités (1) qui ont été conclus sur cette matière, soit avant, soit depuis la publication de ce Code, le droit d'aubaine se trouve à peu près aboli. Il n'existe pour ainsi dire qu'à l'égard des sujets des puissances qui n'ont presque aucun rapport avec la nôtre.

A l'exception résultant des traités, il faut ajouter encore quelques-unes de celles dont on a parlé précédemment, et auxquelles le Code civil n'a rien changé. Telle est, par exemple, l'exception concernant les parents français de l'étranger, et même les parents étrangers domiciliés, tant qu'ils continuent de résider en France. Telle est aussi celle relative aux ambassadeurs, envoyés, et autres étrangers revêtus d'un caractère représentatif.

IV. De même que le décret du 6 août 1790, avait éprouvé un changement par certains articles du Code civil, de même aussi ces articles ont, à leur tour, éprouvé un changement par la loi du 14 juillet 1819.

Cette loi est ainsi conçue:

er

« Art. 1o. Les articles 726 et 912 du Code civil sont abrogés; en conséquence, les étrangers auront le droit de succéder, de disposer et de recevoir de la même manière que les Français, dans toute l'étendue du royaume.

« Art. 2. Dans le cas de partage d'une même succession entre des cohéritiers étrangers et français, ceux-ci préléveront sur les biens situés en France une portion égale à la valeur des biens situés en pays étranger dont ils seraient exclus, à quelque titre que ce soit, en vertu des lois et cou

tumes locales.

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Rien n'est plus facile à comprendre que le premier de ces articles. Abrogeant l'art. 726 du Code civil, qui avait lui-même abrogé, où considérablement modifié le décret du 6 août 1790, il a rétabli les choses telles qu'elles étaient sous ce décret; il a prononcé de nouveau l'abolition du droit d'aubaine.

Il n'en est pas de même du second. Basé sur des considérations nouvelles, sur un système d'égalité ou de compensation qui n'avait servi de fondement à aucune des lois antérieures, sa disposition exige une très-grande attention.

Nos lois permettent à l'étranger d'acquérir en France des immeubles, et l'admettent, sous l'accomplissement de certaines formalités, à y fixer

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Nous supposerons d'abord que la succession est mobilière, et qu'elle provient d'un étranger non domicilié. Voici l'espèce:

Un étranger, propriétaire de biens de toute nature dans son pays, et de biens meubles seulement en France, a deux enfants, un fils et une fille. Le fils reste dans son pays et la fille épouse un Français, ce qui la rend Française. Profitant de la liberté ou de la latitude que lui laissent, en fait de dispositions, les lois de l'état dont il est sujet, il institue pour héritier son fils et lui donne tous ses biens, tant ceux de France que ceux situés dans son pays. Il meurt. On demande comment doivent se partager, entre le fils et la fille, les biens de France. Est-ce suivant les lois françaises ou suivant celles du pays étranger?

On sent tout l'intérêt de cette question lorsqu'on remarque que si le partage se fait conformément aux lois de France, la fille pourra avoir tout; tandis que s'il a lieu suivant les lois du pays de l'étranger, elle n'aura rien. Dans le premier cas, la fille pourra avoir tout, non pas à titre de réserve, parce que les réserves établies en faveur des enfants par l'art. 913 dn Code civil, ne frappent sur les biens meubles de l'étranger qu'autant qu'il a son domicile en France, et que, dans l'hypothèse où l'on raisonne, il s'agit de la succession d'un étranger qui n'y était pas domicilié; mais ce sera à titre de prélèvement ou d'indemnité, si, comme le porte l'article 2, les biens situés en pays étranger, et dont elle est exclue par le testament de son père, se trouvent être d'une valeur égale ou supérieure à celle des biens de France.

Il est de droit commun ou de principe général que les successions mobilières se réglent par la loi du lieu de leur ouverture. Ce principe, longtemps et souvent appliqué, lorsqu'une grande partie de la France se trouvait régie par diverses coutumes, est consacré par l'art. 110 du Code civil. Cet article porte :

Le lieu où la succession s'ouvrira, sera déterminé par le domicile. »

de

De là il suit que le partage de la succession devra se faire conformément aux lois du pays son auteur, parce que, quoique décédé en France, mais n'y ayant pas eu, au moment de sa mort, son domicile, la succession ne s'y est pas ouverte.

De là il suit aussi, et par un raisonnement semblable, que si la succession provenait d'un étranger domicilié, elle devrait se partager suivant les lois

de France.

« L'étranger jouira en France des mêmes droits civils que ceux qui sont ou seront accordés aux Français par les traités de la nation à laquelle cet étranger appartiendra.

Si l'on suppose maintenant que la succession soit immobilière, le partage devra s'en faire également suivant les lois de France, parce que, d'après le § 2 de l'article 3 du même Code, les immeubles possédés par les étrangers sont, comme ceux des Français, régis par les lois françaises. On a raisonné jusqu'ici dans la supposition de ce qui arrive ou de qui est censé arriver le plus ordinairement. Mais la France étant liée par des traités avec un très-grand nombre de puissances, que faut-il décider si ces traités portent que la succession de l'étranger décédé en France, doit se partager ou se recueillir suivant les lois du pays auquel il appartient?

Cette question nous conduit à examiner quels sont les effets de la loi du 14 juillet, par rapport aux traités. A leur égard, cette loi deviendra nulle, s'il est prouvé qu'elle n'y déroge pas.

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Cette disposition extrêmement claire, et on ne peut plus précise, fait disparaître toute espèce de contradiction; elle donne la mesure exacte du sens qu'on doit attacher à l'art. 2 de la loi du 14 juillet.

L'article 2 de cette loi, restrictif, dans certains cas, du droit résultant de la capacité de succéder, produira tout son effet, aura son entière exécution à l'égard des étrangers en général, c'est-àdire de ceux appartenant à des nations avec lesquelles il n'a pas été fait encore, ou il ne serait pas fait par la suite, de traités concernant la jouissance des droits civils. Mais vis-à-vis des étrangers qui se trouvent dans une cathégorie différente, ou qui sont protégés par des lois d'exception, il devra être considéré comme nonavenu. L'article 11 du Code civil, dont la disposition, en pareille matière, doit avoir une trèsgrande influence, veut que cela soit ainsi, ou du moins contient tout ce qu'il faut pour donner à l'article précité cette interprétation.

Il est évident que si la loi du 14 juillet déroge aux traités, ce ne peut être que d'une manière implicite, puisqu'on ne trouve dans son texte rien de formel à ce sujet. A la vérité, l'art. 1er de cette loi a abrogé les art. 726 et 912 du Code civil, qui faisaient dépendre, pour les étrangers, l'existence de certaines capacités, celles de succéder et de transmettre, des stipulations conte- Partant de la maxime posteriora prioribus deronues dans les traités; mais autre chose est d'a- gant, serait-on fondé à dire que l'art. 2 de la loi du broger ces articles, ou, ce qui revient au même, 14 juillet a apporté un changement dans l'art. 11 de déclarer que l'étranger aura les qualités re- du Code civil qui lui est antérieur? Si cette quises pour l'exercice de telle ou de telle faculté, maxime pouvait recevoir ici son application, il abstraction faite des dispositions des traités, et suffirait de rappeler un principe pour prouver que autre chose est d'annuler ces dispositions. Il est la question devrait se résoudre négativement. vrai aussi que l'art. 2 fait dans certains cas des ré- Comment, en effet, reconnaît-on qu'une loi déserves ponr les héritiers Français, et comme les roge à une autre loi sur le même objet? Les traités n'en font aucune, il peut sembler, au pre-jurisconsultes romains nous l'apprennent : c'est mier aperçu, que si la contradiction entre les expressions de la loi et celles des traités n'est pas réelle, du moins elle est très-apparente; mais ceci peut également très-bien s'expliquer.

Il existe, entre les deux dispositions de la loi du 14 juillet, une différence qu'on ne saurait trop bien faire remarquer. La première, ainsi qu'on l'a déjà dit, porte sur des incapacités civiles, et la seconde sur le mode d'exercice, dans certains cas, du droit résultant de l'une de ces capacités. En d'autres termes, la première rend l'étranger capable, comme le Français, de succéder et de transmettre, et la seconde détermine quelle doit être l'étendue de son droit successif ou la quotité de sa part héréditaire, lorsque dans le partage d'une succession il se trouve en concurrence avec des héritiers français. Or, comme les droits successifs sont essentiellement des droits civils, et que tout ce qui tend à les modifier, tient évidemment à la jouissance de ces derniers droits, il convient d'examiner si le Code civil ne renfermerait pas quelque disposition à ce sujet. L'article 11 de ce Code, dont on connaît déja la disposition, mais qu'il est nécessaire de rappeler ici, porte:

lorsque la dérogation à la loi ancienne se trouve formellement exprimée dans la loi nouvelle, ou lorsque deux lois sont inconciliables. Or, dans l'état de choses que l'on considère, rien de cela n'existe. D'abord, il n'est pas dit dans l'art. 2 de la loi du 14 juillet que sa disposition abroge, en tout ou en partie, celle de l'art. 11 du Code civil; et, en second lieu, comme on vient de le voir, ces deux lois peuvent très-bien se concilier.

Mais la maxime posée précédemment, n'est point applicable à l'art. 2 de la loi du 14 juillet. On apprend, par le discours de M. le garde-dessceaux, à la chambre des pairs, contenant les motifs du projet de cette loi, qu'on avait examiné si l'on abrogerait aussi l'art. 11 du Code civil, et qu'on n'y avait vu aucun avantage, le but principal du législateur se trouvant atteint par la disposition qui lève les incapacités dont les étrangers avaient été frappés par les articles 726 et 912 du même Code. De là on tire la conséquence que par cela même qu'ayant été question de savoir si l'on annulerait ou non l'art. 11, on avait décidé en définitive qu'il était utile de le conserver; cet article a acquis une nouvelle vigueur, et pour ainsi dire une nouvelle date qu'il n'aurait pas eue sans une

telle circonstance. Ainsi s'écarte complètement, par rapport à lui, la règle qui veut que les lois anciennes reçoivent leur correction et quelquefois leur abrogation entière de celles qui leur sont pos

térieures.

Concluons donc que la succession de l'étranger se partagera suivant les lois de son pays, lorsque les traités avec la nation à laquelle il appartiendra, contiendront des dispositions contraires à celles de la loi du 14 juillet.

SECTION II.

Du droit de succéder aux Français qui ne laissent

pour héritiers que des étrangers.

I. Anciennement, conformément à la loi romaine, peregrini hæreditatem capere non possunt. (L. 1, Cod. de Hæred. inst.), il était reçu en France que les Français ne pouvaient pas avoir pour héritiers des étrangers; s'ils n'en laissaient que de tels, leur succession, comme on l'a dit, appartenait à l'état. Il n'y avait d'exception à cette règle qu'à l'égard des sujets de certaines puissances, qui, en vertu de traités ou lettres-patentes, se trouvaient assimilés aux régnicoles, pour ce qui concerne les droits de successibilité.

L'exception, lorsqu'elle avait lieu, était ordinairement exprimée immédiatement après l'exemption de l'aubaine, c'est-à-dire qu'après avoir exprimé que l'étranger serait exempt de l'aubaine, on ajoutait en propres termes ou en termes équivalents, qu'il pourrait en outre succéder au Francais. Si cette dernière concession n'était pas formellement énoncée, l'étranger, exempt de l'aubaine, pouvait à la vérité succéder à l'étranger, mais il restait incapable de succéder aux Français. Ces principes ont toujours été consacrés par la

On aurait tort de confondre ce droit avec le droit d'aubaine; quoique paraissant se rattacher, sous quelques rapports, aux mêmes principes, il ne procède cependant pas de la même cause que lui. Le droit d'aubaine, proprement dit, n'est fondé sur aucune incapacité civile; c'est purement et simplement une mesure fiscale qui, s'exerçant avec plus ou moins de rigueur, attribue au sou-jurisprudence des tribunaux. verain, à l'exclusion des héritiers tant naturels ou naturalisés qu'étrangers, la succession de l'étranger. Le droit dont il s'agit ici, au contraire, repose sur une incapacité qui, tenant à la qualité d'étranger, rend celui qui en est revêtu inhabile à succéder à un régnicole ou républicole. Mais la propriété ou la possession ne pouvant rester incertaine, et l'intérêt public semblant vouloir que la société s'empare, de préférence à l'étranger, et à défaut d'héritiers naturels ou naturalisés, des biens deverus vacants par la mort de celui à qui elle en avait garanti l'administration, il en résulte que lorsque le régnicole ou républicole ne laisse pour héritiers que des étrangers, sa succession appartient à l'état.

Ainsi, par exemple, quoique d'après le traité d'Utrecht de 1713, et les lettres-patentes ou la déclaration de 1739, les Anglais, exempts de l'aubaine pour les biens meubles, pussent recueillir ́ les successions mobilières de leurs compatriotes décédés en France, cependant le parlement de Paris, confirmant une sentence du Châtelet, jugea le 12 août 1758, que cela ne les rendait pas capables de succéder aux biens-meubles des Français; et l'arrêt du parlement fut confirmé lui-même au Conseil, le 28 octobre 1768.

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On peut citer encore les lettres-patentes données par Henri IV en faveur des sujets de l'ancienne république de Genève. Quoique ces lettres abolissent le droit d'aubaine pour les biens-meuL'incapacité qui rend l'étranger inhabile à stic-bles et immeubles à la fois, cependant le même céder au régnicole ou républicole, dérive à la parlement jugea encore, le 1 arril 1729, que cette fois du droit politique et du droit civil. Les lois abolition ne rendait pas les Genevois capables de sur les successions n'ayant été faites que pour snccéder en France aux Français. La cour de casconserver les biens dans les familles, à plus forte sation, section civile, faisant l'application des raison ces mêmes lois doivent-elles veiller à ce mêmes lettres dans l'affaire Voleau, a rendu un que les biens des familles ne soient possédés que arrêt tout-à-fait semblable, le 3 prairial an ix. par les sujets de l'état. Aussi dans la plupart des anciennes républiques, notamment à Athènes, à Carthage et à Rome, fallait-il être citoyen pour succéder à un citoyen.

Mais pour les traités ou lettres-patentes dans lesquels, indépendamment de l'abolition de l'aubaine, on trouve l'abolition du droit de succéder aux Français qui ne laissent pour héritiers que Ces principes, que des raisons diverses ont fait des étrangers, le parlement de Paris a décidé, au recevoir chez plusieurs nations modernes, ont contraire, lorsqu'il a eu l'occasion de faire l'appresque de tout temps été les nôtres. Mais la lé-plication de traités ou de lettres semblables, que gislation sur cette matière, ainsi que celle sur l'aubaine, à laquelle, quoique très-différente, on a voulu toujours la comparer, n'ayant pas été constamment uniforme, il faut, pour en donner une idée précise, expliquer d'abord en peu de mots ce qu'elle était primitivement; et faire connaître ensuite ce qu'elle est devenue à mesure que les changements se sont opérés.

l'étranger pouvait succéder même au Français: c'est, en effet, ce qu'il a jugé le 13 avril 1784, en faveur d'un Portugais qui, excipant du traité avec le Portugal, ou cette double abolition se trouve stipulée, réclamait en France la succession de sa parente française.

L'exception résultant des traités on des lettrespatentes, était toujours subordonnée à la condi

tion de la réciprocité. Un étranger ne pouvait succéder à un Français, il n'était même exempt du droit d'aubaine, que sous la condition expresse que le Français jouirait des mêmes avantages dans le pays de cet étranger. Aussi, pour la première fois en 1787, ne vit-on pas, sans quelque étonnement, paraître les fameuses lettres-patentes, en forme d'édit, concernant les Anglais. Ces lettres, que des considérations purement politiques déterminèrent Louis XVI à donner, ne se bornèrent pas à affranchir les Anglais du droit d'aubaine pour les biens meubles et immeubles, elles les rendaient encore capables de succéder aux Français, et le tout gratuitement, c'est-à-dire sans réciprocité.

II. Ce que Louis XVI avait fait en faveur des Anglais seulement, quelques années plus tard l'Assemblée constituante, mais par des motifs différents le fit en faveur de tous les étrangers en général.

Après avoir décrété, le 6 août 1790, l'abolition pure et simple du droit d'aubaine, le 8 avril 1791, cette assemblée rendit un nouveau décret dont voici l'une des dispositious:

Art. 3. Les étrangers, quoique établis hors du royaume, sont capables de recueillir en France les successions de leurs parents, même Français; ils pourront même recevoir et disposer par tous les moyens qui seront autorisés par la loi. »

III. L'édit de 1787', ainsi que le décret de 1791, après avoir été en vigueur, l'un pendant seize et l'autre pendant douze ans, furent implicitement abrogés par la publication du Code civil. Les rédacteurs de ce Code, revenant au principe de réciprocité sur lequel reposaient tous les traités conclus, ou toutes les lettres-patentes données antérieurement à 1787, décidèrent que l'étranger ne pourrait succéder soit ab intestat, soit par testament à un Français, que dans le cas et de la manière dont le Français, conformément aux traités, succéderait lui-même dans le pays de cet étranger. Telle est en substance la disposition des trois articles du Code civil que voici :

« Art. 11. L'étranger jouira en France des mêmes droits civils que ceux qui sont ou seront accordés aux Français par les traités de la nation à laquelle cet étranger appartiendra.

« Art. 726. Un étranger n'est admis à succéder aux biens que son parent étranger ou Français possède dans le territoire du royaume, que dans le cas et de la manière dont un Français succède à son parent possédant des biens dans le pays de cet étranger, conformément à l'art. 11. »

« Art. 912. On ne pourra disposer au profit d'un étranger, que dans le cas où cet étranger pourrait disposer au profit d'un Français. (Mais toujours conformément à l'art. 11.)

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Quelque précise que fût la législation nouvelle, quelque grands même que fussent ses rapports avec celle qui l'avait médiatement précédée, elle

devait faire naître plusieurs questions non moins utiles qu'intéressantes, et il était réservé à la cour de cassation, à ce tribunal suprême qui ramène à l'unité la jurisprudence des autres tribunaux, d'en donner la solution.

On a demandé d'abord comment il faut entendre la réciprocité qui fait l'objet des trois articles précités. Est-ce simplement une réciprocité de peuple à peuple, ou d'état à état; ou est-ce encore une réciprocité d'individu à individu? en d'autres termes, suffit-il pour que l'étranger puisse succéder en France à un Français, que le traité, fait avec la nation à laquelle cet étranger appartient, ait levé l'incapacité politique résultante de sa qualité d'étranger; ou faut-il encore que l'étranger ne soit frappé d'aucune incapacité civile qui l'empêcherait de transmettre lui-même sa succession à un Français ?

Les cours royales de Liége et de Gênes, dans des affaires concernant des religieuses qui réclamaient des successions de Français, et ouvertes en France, avaient jugé que la réciprocité dont il est question dans les art. 11, 726 et 912, était simplement une réprocité de nation à nation. Mais cette jurisprudence a été redressée par la cour de cassation, section civile: les arrêts des premières cours lui ayant été dénoncés, elle a décidé formellement, les 8 août 1808 et 1er février 1813, que la réciprocité dont il s'agit n'est pas seulement une réciprocité de nation à nation, mais bien encore de particulier à particulier ou d'individu à individu.

On a demandé ensuite s'il n'y avait que les traités qui pussent établir cette réciprocité; si elle ne pouvait pas résulter de toute autre base.

Déja, et dès le moment où l'art. 11 avait été discuté, M. Treilhard, en en exposant les motifs, dans son discours au Corps législatif, semblait avoir prévenu toute incertitude, puisqu'il avait dit positivement que cet article n'assurait en France à l'étranger que les mêmes droits civils accordés aux Français par les traités. Le tribunat lui-même, dont les sages observations contribuèrent tant au perfectionnement du Code civil, paraissait avoir prévenu aussi toute équivoque sur le vrai sens de l'art. 11, puisque, dans l'intention uniquement d'empêcher que la législation française, à l'égard des étrangers, dépendît de la législation particulière des étrangers à l'égard des Français, il avait demandé, lors de la communication qui lui fut faite de cet article, qu'au lieu des mots par les lois ou les traités, qui se trouvaient dans la rédaction arrêtée au conseil-d'état, on mit seulement, comme cela s'est fait dans la rédaction définitive, par les traités. Néanmoins, avant l'arrêt de la cour de cassation dont on parlera bientôt, et qui a fixé la jurisprudence à cet égard, plusieurs jurisconsultes, et même certaines cours royales, n'avaient pas encore d'opinion bien formée sur cette question.

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