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Laborde, pour les grandes entreprises d'utilité publique, les communications de commerce, les mouvemens de l'industrie, a lieu pour les® moindres opérations locales; s'il faut établir une digue, réparer un pont, une route, la toiture du moindre bâtiment, le temps d'en faire un devis, d'obtenir l'autorisation de le mettre en adjudication, etc., dure assez longtemps pour que tout l'ouvrage soit écroulé : l'administration est plus hérissée de difficultés que la chicane. »

M. de Laborde, en parlant du système administratif actuellement en usage en France, a dit qu'il s'abstiendrait de rapporter des exemples pour ne pas blesser les personnes. Dans le chapitre où il en traite spécialement, il n'en cite en effet aucun; mais, dans un autre, il rapporte un fait qui lui est personnel et qui mérite de trouver place ici.

Il fut nommé, en l'an 10, maire de Méréville, bourg de plus de 1500 habitans. Un de ses premiers soins fut d'aviser au moyen de reconstruire l'église qui s'était écroulée pendant la révolution, faute d'une dépense de deux cents francs qu'il aurait fallu faire pour empêcher un coin de charpente de pousser en de ́hors. Les matériaux de tout genre étaient en

core sur place entassés sans qu'on eût pensé à en tirer parti. Il demanda l'autorisation d'encaisser les moellons et de vendre les bois; il fallut deux ans pour obtenir cette permission; et, quand elle arriva, les bois étaient pourris. Il sollicita alors, d'accord avec la commune, l'autorisation de s'imposer tous extraordinairement pour la reconstruction de l'édifice qui devait coûter 40,000 francs, mais qu'on pouvait ne payer qu'en quatre ans. Il envoya le devis fait avec soin, approuvé par le conseil municipal et les principaux habitans : ce devis mit un an à parvenir au ministère de l'intérieur, en passant par Étampes et Versailles : c'était, dit M. de Laborde, voyager lentement ou se plaire en route. Arrivé dans les bureaux du ministère, et transmis au conseil des bâtimens civils, il y resta encore un an, et fut envoyé deux fois à la commune pour des raisons frivoles, telles que de prétendues erreurs dans le prix des matériaux, dans la quantité des frais de journées; enfin, il fut approuvé: maís on refusa l'autorisation illégale, disait-on, de s'imposer extraordinairement; innovation dangereuse, qui pouvait nuire à la perception des revenus de l'état; comme si ce qui est volontaire pouvait entraver la recette d'un impôt forcé. Le

mens,

gouvernement ordonna qu'il lui fùt rendu compte des propriétés, des octrois de la commune, et, enfin, des ressources qu'elle pouvait aliéner pour diminuer cette dépense. Les revenus couvraient à peine l'entretien des bâtide la halle, et la réparation fort chère d'une route de communication pavée, etc.; de sorte qu'il était impossible de rien prendre sur les recettes. Enfin, à force de s'ingénier, une idée vient à quelqu'un, idée pénible, et à laquelle la commune eut beaucoup de peine à accéder. Le bourg possédait un mail ombragé de fort beaux peupliers, c'était la seule promenade, le rendez-vous des habitans les jours de fête, et le soir après leurs travaux. Quelle douleur de les voir abattre!.... C'étaient les vieux habitans qui les avaient plantés ; les enfans n'en pourraient plus voir de semblables que dans leur vieillesse ; enfin, on se décida à en faire l'offrande, en demandant au gouvernement d'avoir égard à un pareil sacrifice, et de hâter la décision. Il se passa encore un an pour que cette demande fût prise en considération pour qu'elle parvint à l'administration forestière qui envoya ses agens visiter les arbres, et pour que le rapport qu'ils firent de leur état eût traversé à son tour toute la hiérarchie de leur ad

ministration dépendante du ministère des finances, et fût revenue au ministère de l'inté– rieur, qui, enfin, ordonna la vente. Mais, comme le produit de cette vente ne s'élevait qu'au quart environ de la dépense totale, et qu'il n'y avait pas encore de décision de la part de l'autorité sur le mode à adopter pour le surplus, on fut obligé de verser le montant à la caisse d'amortissement. Qu'arriva-t-il alors? ce qui n'est pas croyable, ce qui serait risible si ce n'était odieux. Cet argent fut dissipé en 1813 avec d'autres dépôts semblables faits à cette caisse ; et aujourd'hui même il n'est pas possible de retrouver ni d'espérer de retrouver un sou de cette somme. Ainsi, la seule chose qu'a pu obtenir une des plus grandes communes rurales de France, à la porte de Paris, après dix-huit ans de sollicitations et de démarches pour un objet qui l'intéressait, a été de joindre la perte de sa promenade, de l'ornement de ses murs, à celle de l'édifice de son culte.

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« Non, s'écrie M. de Laborde après avoir rapporté ce fait, non, je ne crois pas qu'on puisse se jouer plus impudemment des droits les plus sacrés des hommes ; et cela doit être ainsi dans mille autres lieux. Une chose seule

ment serait encore plus affligeante, ce serait que les tribunaux sévissent contre les ouvrages qui signaleraient de pareils abus ; que l'on pût accuser d'être mauvais citoyen, ennemi du roi, l'homme qui prétendrait qu'il n'y a qu'une apparence, une superficie, une croûte de liberté dans un pays où les affaires se traitent de la sorte. S'il en était ainsi; si les intentions franches, bonnes, de perfectionner nos institutions. dans le système adopté, pouvaient être autrement interprétées; si, aux chicanes administratives, qui empêchent de faire le bien, se joignaient les chicanes judiciaires qui empêchent même de le dire, il faudrait alors ne plus s'intéresser à rien dans son pays, et se retrancher dans l'ancienne formule, cela ne me regarde pas. »

M. de Laborde pense que tant que ce système ridicule subsistera en France, on ne peut espérer de voir s'améliorer aucune branche de l'industrie, et par conséquent du revenu public; que, dégoûtés de se hasarder dans un semblable labyrinthe, de passer pour des gens à projets ou à intrigues, les hommes éclairés, les propriétaires riches ne dirigeront leurs vues vers aucune amélioration locale, vers aucune entreprise utile; qu'ils soigneront à peine leurs,

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