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hommes et d'aventuriers. Ces engagemens, qui forment le second âge de la féodalité, étaient des crimes trop irrémissibles aux yeux de Louis XIV, pour que la trace même n'en fût pas effacée. Les forteresses privées, dont Richelieu avait commencé la destruction après la prise de la Rochelle, disparurent entièrement. Le prince qui eût demandé des places de sûreté, n'eût reçu de réponse que sur un échafaud, et le personnage qui naguère intimidait la cour en se retirant dans ses terres, alla docilement se rendre à la Bastille sur l'ordre d'un ministre. Des gentilshommes qui, au rapport de M. Lémontey, s'étaient mis en société de crimes avec les prévôts et leurs juges, aussi pervers et aussi décriés que les bandits de la Sicile osèrent encore opprimer des paysans dans des provinces éloignées; mais ils se virent promptement atteints par les vengeances du trône, et le monarque ne dédaigna pas d'encourager la sévérité des magistrats. Ce fut principalement en appelant les nobles autour de lui et en les transformant en valets, que Louis XIV acheva de détruire leur puissance.

« Le dissolvant le plus actif, employé par Louis XIV, dit M. Lémontey, fut le déplacement de la principale noblesse, qu'il attira

des provinces dans sa cour. Des tournois et des fêtes en donnèrent le signal. On acquit la conviction que les faveurs ne tomberaient désormais qu'autour du monarque. Il y eut des places et des plaisirs pour tous les âges et pour tous les sexes. Le ridicule s'attacha aux vertus domestiques et à la simplicité agricole. Les habitudes des nobles campagnards alimentèrent les sarcasmes de la comédie et les fréquentes mascarades de la cour. Le luxe, la galanterie, la vanité et la mode firent le reste. Des sommes considérables, distribuées régulièrement en cadeaux et en loteries, furent même pour les courtisans assidus et pour leurs femmes un salaire assez grossièrement déguisé. Mais il ne fallait pas alors plus de délicatesse avec des hommes qui avaient fort goûté l'insolence du surintendant Bullion, lorsqu'il osa leur faire servir à sa table des monnaies d'or, sur lesquelles ces nobles convives jetèrent des mains

affamées. >>

Le clergé se conduisit avec habileté. Témoin du naufrage des libertés nationales, il voulut au moins conserver une partie des sien nes. Il eut l'air d'octroyer l'impôt, au lieu d'être soumis à la taxe; et, sous prétexte du don gratuit, il forma tous les cinq ans une sorte

d'assemblée délibérante. Louis XIV n'avoua jamais de telles concessions; mais le besoin d'argent, la superstition et beaucoup d'autres affaires lui firent tolérer cette situation équivoque. Ce qui fut le premier ordre de l'état, n'offrit plus, suivant M. Lémontey, qu'une espèce de communauté concentrée dans l'égoïsme de sa conservation, négociant sur la quotité de ses dons, et temporisant avec une guerre intestine allumée dans son sein par la monstrueuse inégalité des fortunes; car les vices des hommes avaient, pour ainsi dire, transporté l'iniquité des fiefs dans la maison du Christ. Les grands bénéficiers nageaient en suzerains dans l'oisive opulence; une abjecte pauvreté était le partage du commun des pasteurs attachés comme des serfs à la glèbe du sanctuaire; tandis que les moines, semblables aux possesseurs d'allodiaux, mettaient leurs soins à se défendre contre la cupidité des premiers et contre la misère des seconds.

Toutes les volontés qui auraient pu entrayer celle du monarque étant annulées, il fallait encore des instrumens pour seconder celle-ci. Ces instrumens, Louis XIV les trouva dans l'institution de la police, dans les intendans et dans une armée composée de gens de toutes

les nations. Le but réel de la police fut caché sous des bienfaits. Elle semblait naître des progrès de la civilisation; elle devait protéger le repos des villes, les plaisirs du riche et la santé du Elle devint l'oeil du trône et le cipauvre. ment de la monarchie. Moins elle tint de place, plus on la respecta. On y fit entrer plusieurs ressorts qu'on avait étudiés à Venise. « Le jeu de la puissance, dit M. Lémontey, acquit par ce véhicule une extrême facilité. Louis XIV avait dit : L'état, c'est moi. Si Louvois ne dit pas: Le roi, c'est moi, ses actions le firent comprendre ; tandis que des intendans du caractère de M. de Basville, purent aussi répéter: Le ministre, c'est moi. La force royale descendait ainsi sans déperdition aux extrémités de l'ordre social. L'administration circulant si librement, substituant partout l'action du magistrat au zèle du citoyen, tuait l'esprit public dans ses moindres vaisseaux, et montrait tout le corps politique savamment injecté de despotisme.

>>

Pour exécuter les volontés du prince et pour vaincre les résistances, la police et les intendans ne suffisaient pas : il fallait une armée façonnée à l'obéissance passive et sans liaison avec les sujets. On réforma, ou l'on envoya périr à Candie, en Afrique, en Hongrie, les

vieux soldats habitués à la licence des discordes civiles. On forma une armée de jeunes adolescens, et l'on y admit des hommes de toutes les nations. Le nombre des étrangers excéda tellement le nombre des nationaux, qu'au lieu de l'appeler l'armée française, son chef ne l'appela plus que l'armée de France. Des casernes furent construites, en apparence pour soulager les habitans, mais en réalité pour soustraire les soldats à l'influence de l'opinion. L'habillement uniforme introduit dans tous les corps comme moyen de discipline, compléta le divorce du soldat et du citoyen. La puissance royale fit de cette armée un instrument simple, prompt et docile, qu'elle appliqua sans trop de réserve à toutes les branches de l'administration. « Ainsi, dit M. Lémontey, les troupes allèrent dans les provinces protéger l'extension progressive de l'autorité des intendans. Elles remplirent les citadelles, dont les feux plongeaient sur des villes turbulentes. Dans les temps ou dans les lieux difficiles, elles hatèrent par la terreur la levée des impôts; enfin, on leur confia jusqu'à l'emploi assez extraordinaire de ramener la conscience des dissidens à l'unité de la foi. »

Lorsque le siége de l'empire eut été transporté à Byzance, les empereurs empruntèrent

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