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amendes, et qui prononcent les condamnations sans entendre et sans appeler les inculpés: quelquefois on ne se donne pas même la peine d'assembler un conseil de discipline : il suffit d'un maire ou d'un adjoint pour rendre un jugement qui condamne un citoyen à l'amende ou à la prison (1).

Une population immense, tourmentée ainsi par l'arbitraire, et livrée aux caprices des innombrables agens du pouvoir, nous représente le spectacle du corps social tombant en dissolution; spectacle hideux par lui-même, mais qui le devient davantage par les soins même qu'on prend de jeter sur le devant, des principes constitutionnels qui s'évanouissent toujours au moment où on veut les saisir pour s'en faire un appui.

Déjà l'on se félicite de la disparition des lois d'exception ou de circonstances; mais le sénatus-consulte du 24 septembre 1805 n'est-il pas la plus terrible des lois d'exception? Ne suffit

il

pas pour rendre vaines les dispositions fondamentales de nos lois ? Qu'importe que la conscription soit abolie et que le mode de re

(1) Voyez, dans la dernière partie de ce volume, les pièces justificatives.

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crutement de l'armée ne puisse être déterminé que par la loi, si le gouvernement peut disposer, en vertu d'un sénatus-consulte, de toute la population en âge de porter les armes, et l'envoyer combattre sur les frontières, sur les côtes ou dans les places fortes? Qu'importe qu'on déclare que la justice se rend par des magistrats inamovibles et indépendans, si des conseils de discipline qui ne sont ni indépendans ni inamovibles, peuvent condamner les citoyens à des emprisonnemens et à des amendes arbitraires, sans qu'il y ait aucun moyen de faire réformer leurs jugemens? Qu'importe que les débats doivent être publics en matière criminelle, si des commissions arbitrairement composées peuvent prononcer des peines à huis clos et sans appeler les inculpés? Qu'importe la disposition de nos lois suivant laquelle nul ne peut être puni pour un fait que la loi n'a qualifié ni crime, ni délit, ni contravention, si l'on peut être emprisonné et condamné à des amendes pour des faits qui ne sont déclarés punissables que par des règlemens ou par des ordres du jour? Qu'importe que les propriétés soient déclarées inviolables, si, par des amendes qu'aucune loi n'établit, il est permis d'attenter impunément à toutes les propriétés ?

Qu'importe, enfin, qu'on déclare que la liberté individuelle est garantie, si l'on peut être arrêté et détenu sans mandat et sans jugement pendant un temps indéfini ?

Quels que soient les abus qui existent aujourd'hui sur les gardes nationales, nous serions mal fondés à nous plaindre des officiers ou des conseils de discipline qui font un mauvais usage de leurs pouvoirs. Ces officiers ou ces conseils ne se sont pas nommés eux-mêmes, et il est à croire qu'ils font aussi bien qu'ils peuvent dans l'exercice de leurs fonctions. Nous serions également mal fondés à nous plaindre du ministre qui les a nommés; car un ministre, quelle que soit sa capacité, ne peut pas connaître tous les habitans d'un pays tel que la France, et il est encore plus difficile qu'un prince les connaisse. Le mal est dans la nature des institutions, et il ne cessera qu'avec elles.

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BEAUCOUP de tentatives ont été faites pour abolir ou pour rendre illusoire le droit qu'a toute personne de faire imprimer et de publier ses opinions; mais aucune n'a été aussi énergique que celle qui a eu lieu dans le dernier procès fait aux auteurs du Censeur Européen. Si les doctrines de certains magistrats de Rennes et de Paris eussent prévalu, on n'eût eu besoin, pour obtenir, un silence universel, ni de censure préalable et arbitraire, ni de saisies préliminaires, ni de direction générale de la librairie. La faculté de faire enlever les écrivains au sein de leurs familles par par des agens de police, sur une simple dénonciation, et de les faire traîner, par la gendarmerie, de prison en prison et de tribunal en tribunal, sur toute la surface de la France, ou même de les envoyer dans les colonies, eût mieux valu pour les par

tisans de l'arbitraire qu'une loi des suspects, et même que la loi du 9 novembre.

Que de services importans auraient pu se rendre messieurs les agens du pouvoir, si le sort ne leur eût pas été contraire ! Une sainte alliance se fût naturellement établie entre eux, et il eût été plus difficile à un homme qui aurait fait connaître au public une vexation ou un abus, de trouver un asile dans le ressort d'un juge d'instruction ou d'un procureur du roi, qu'à un membre de la convention, banni par les purs de 1815, d'en trouver un sur le territoire des puissances coalisées. Les maires, les sous-préfets, les préfets, les juges d'instruction, les procureurs du roi, leurs substituts et même leurs commis, se fussent donné la main d'un bout de la France à l'autre ; les actes et la personne de chacun d'eux eussent été placés sous la protection de tous, et il eût été moins dangereux pour un citoyen de critiquer les actes même du congrès que de désapprouver un arrêté municipal ou un jugement de police correctionnelle. L'arrêt de la cour de cassation a dérangé cette heureuse et profonde combinaison; mais il faut ne désespérer de rien : les hommes de génie savent pourvoir à tout. Le magistrat qui a porté le plus de zèle dans l'exé

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