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n'est-ce pas attenter à la première des libertés, à la plus naturelle, à la plus nécessaire? L'art. X de la même Déclaration ne venait-il pas déjà de proclamer que

nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi' », et, à défaut de cette manifestation délictueuse qui est un fait individuel nettement constaté et caractérisé, qui a un éditeur responsable, la loi peut-elle le devancer et en présumer l'accomplissement pour atteindre toute une collectivité. dans l'exercice d'un droit reconnu à tous, mais dont aucun membre n'a pu encore abuser? Et c'est sous l'étiquette de la liberté que se présente cette nouvelle loi des suspects, que son auteur, constitué moraliste et pédagogue, entend deviner les pensées, scruter et punir jusqu'aux inclinations secrètes, dicter aux maîtres de l'enfance, par delà leurs actes visibles, leurs idées et leurs sentiments intimes, leur prescrire leurs affections comme leurs croyances pour repétrir, d'après un type préconçu, l'intelligence, la conscience et le cœur de leurs élèves! Lisez dans le Journal officiel l'exposé des motifs du projet Brisson. Sauf la différence des sanctions et du langage, on croirait lire une des pages les plus révoltantes de l'époque révolutionnaire, telle, par exemple, que cet arrêté de Lequinio, représentant du peuple en Vendée, du 1er nivose an II: «. .... Il est expressément défendu à tout ci-devant ministre de quelque culte qu'il soit, de prêcher, écrire ou enseigner la morale, sous peine d'être regardé comme suspect et. comme tel mis sur le champ en état d'arrestation... Tout homme qui s'avise de prêcher quelque maxime

La constitution de l'an III, art. 300, disait : « Les citoyens ont le droit de former des établissements particuliers d'éducation et d'instruction, ainsi que des sociétés libres, pour concourir aux progrès des sciences, des lettres et des arts. » V. aussi la Constitution de 1848, art. 9.

religieuse que ce puisse être est, par cela seul, coupable envers le peuple? » M. H. Brisson se défendra peutêtre de vouloir persécuter. Mais si ce n'est pas de la persécution, c'est de la proscription et que proscrit-il? Non seulement les congrégations, l'Eglise tout entière.

Le dernier venu parmi les projets dus à l'initiative parlementaire aurait-il paru trop peu déguisé, trop violent pour que l'on ne craignît quelques hésitations, quelques défections même dans la majorité ministérielle? Semble-t-il trop en avance sur l'opinion radicale actuelle? Nous l'ignorons. Quoiqu'il en soit, le 27 octobre dernier, M. Chaumié, ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, soumit au Conseil des ministres et lui fit approuver un autre projet qu'il présenta le 6 novembre au Sénat et qui a été immédiatement renvoyé à la commission chargée de l'examen de la proposition de loi Béraud. Son Exposé des motifs commence en effet par considérer l'abrogation complète de la loi du 15 mars 1850 ou plutôt de ce qui en subsiste comme une nécessité impérieuse de l'action républicaine » du Gouvernement et le besoin « d'instituer un système qui concilie l'existence d'un enseignement privé avec les droits imprescriptibles de l'Etat sur l'enseignement national. » C'était, dit-il, la préoccupation des projets déposés le 11 décembre 1880 par M. Jules Ferry, le 9 décembre 1881 par M. Paul Bert et par M. Duvaux le 30 janvier 1883. Le nouveau a été inspiré par la même pensée. On peut donc être assuré que le débat s'engagera sur le texte préparé par M. le Ministre de l'Instruction publique ou tout au moins à son occasion, ce qui ne veut pas naturellement dire qu'il sera accepté dans son ensemble. Mais cela suffit pour nous offrir une base sérieuse d'examen avant la discussion dont il sera l'objet dans la haute Chambre.

«

I

M. Chaumié s'est visiblement proposé de substituer un nouveau texte aux articles encore en vigueur de la loi du 15 mars 1850 dont il demande l'abrogation. Ces articles sont ceux du chapitre 1" du titre III et le titre IV relatif aux dispositions générales; ce sont les art. 60 à 70, 77 à 82. A la différence de la proposition Brisson, son projet ne vise que l'enseignement secondaire, embrassant du reste à la fois celui des garçons et celui des jeunes filles. Il règle successivement l'ouverture des établissements privés et les conditions imposées à leurs directeurs; la capacité exigée des professeurs et des surveillants; les mesures d'inspection auxquelles les représentants de l'Etat ont le droit de procéder dans ces établissements; enfin les pénalités encourues par les personnes qui contreviendraient aux prescriptions de la future loi.

Pour plus de clarté, nous suivrons chacun de ses articles dont nous reproduirons le texte.

ART. 1er.. Tout Français, âgé de 25 ans au moins et n'ayant encouru aucune des incapacités prévues par la présente loi, peut ouvrir un établissement privé d'enseignement secondaire aux conditions suivantes :

1o Faire une déclaration d'ouverture à l'inspecteur d'Académie du département où sera situé l'établissement;

2o Produire avec sa déclaration les pièces ci-après dont il lui sera donné récépissé dans un délai de cinq jours au maximum :

A. Son acte de naissance;

B. L'indication des localités qu'il a habitées et des emplois qu'il a occupés ou des professions qu'il a exercées depuis l'âge de 20 ans ;

C. La déclaration qu'il n'appartient pas à une congrégation non autorisée ;

D. S'il s'agit d'un établissement de garçons, le diplôme de licencié de l'ordre des lettres ou des sciences exigé des professeurs de l'enseignement public; s'il s'agit d'un établissement secondaire de filles, le diplôme de licencié prévu cidessus ou le diplôme d'enseignement secondaire des jeunes

filles délivré après examen public, suivant un règlement délibéré en Conseil supérieur de l'instruction publique ;

E. Un certificat d'aptitude aux fonctions de directeur ou de directrice délivré dans des conditions qui seront déterminées par un règlement d'administration publique après avis du Conseil supérieur de l'instruction publique ;

F. La liste des collaborateurs qu'il se propose de s'adjoindre dans les fonctions d'administration, d'enseignement ou de surveillance. A cette liste sont jointes: l'indication de leur état civil, des localités qu'ils ont habitées et des professions exercées ou des emplois occupés par eux depuis l'âge de 20 ans; une déclaration écrite et signée de chacun d'eux portant qu'ils n'appartiennent pas à une congrégation non autorisée à donner l'enseignement secondaire et les pièces justificatives des grades ou titres exigés ci-dessous;

G. Le plan du local accompagné des titres de propriété ou de jouissance;

H. Le programme de l'enseignement.

Les personnes qui se proposent d'ouvrir des cours isolés, limités à l'enseignement d'une matière unique, sont dispensées des conditions de nationalité, de grades ou de certificats d'aptitude.

Est tenu pour cours d'enseignement secondaire celui qui s'adresse à des élèves de moins de 17 ans.

L'inspecteur d'Académie, à qui le dépôt des pièces a été fait, en donne avis au recteur de l'Académie, au préfet du département et au procureur de la République. Il doit, en outre, requérir la délivrance du bulletin n° 2 du casier judiciaire, qui lui sera faite conformément à l'art. 4, § 4, de la loi du 17 juillet 1900, en cas d'ouverture d'école privée.

Il faut rendre à M. Chaumié une justice qu'il mérite. A la différence des propositions précédentes, son projet écarte le monopole universitaire et reconnaît le principe de la liberté d'enseignement. S'il abroge la loi de 1850, c'est moins pour revenir à la proscription antérieure que pour essayer de la remplacer. Il a la décence de ne pas insulter le vaincu auquel il s'agit de mesurer chichement la vie. Son article premier consa

L'exposé des motifs des projets de loi relatifs aux demandes d'autorisation des congrégations enseignantes du 2 décembre 1902, renouvelle la meme declaration : « ...Nous restons partisans du droit de laisser subsister à côté de notre enseignement, d'opposer à nos classes des classes rivales, en vertu d'une concurrence laïque et privée... Ces derniers mots indiquent clairement ce qu'il faut entendre et attendre.

cre le droit d'ouvrir un établissement d'instruction secondaire privé avec une simple déclaration dans des formes analogues à celles de l'art. 60 de la loi Falloux. Les purs révolutionnaires, les sectaires fanatiques procèdent autrement. Ils s'emparent des questions qu'ils abordent avec un profond mépris de leurs prédécesseurs. On dirait qu'ils sont les premiers hommes. Ils se croient aisément d'une autre espèce que le troupeau. dont ils prennent la conduite. Le respect au moins apparent de la liberté ne les a jamais préoccupés. Il faut renoncer à le leur faire comprendre.

Mais si le projet gouvernemental emprunte les formes de l'art. 60 de la loi de 1850, combinées avec celles de l'art. 27 relatif à l'enseignement primaire privé, combien plus rigoureuses sont les conditions exigées pour l'ouverture d'établissements de l'enseignement secondaire !

D'après l'Exposé des motifs de ce projet, sous le régime de la loi de 1850, « pour fonder un établissement secondaire, il suffisait de produire un diplôme de bachelier et un certificat de stage constatant que l'on avait été attaché, pendant cinq ans, à un établissement de cette catégorie, fût-ce même en qualité de simple surveillant le diplôme du directeur couvrait l'insuffisance des maîtres de qui on ne requêtait ni grades universitaires, ni aptitude pédagogique. » Il fallait y joindre, ce qu'oublie l'Exposé des motifs, le plan du local et l'objet de l'enseignement. Ces deux productions ne sont pas omises dans le futur art. 1oг. Mais, en outre, cet article exige du directeur : l'indication des localités qu'il a habitées, des emplois qu'il a occupés ou des professions qu'il a exercées depuis l'âge de 20 ans ; la déclaration qu'il n'appartient pas à une congrégation non autorisée; un diplôme de licencié èslettres ou ès-sciences pour les hommes, ce diplôme de licencié ou celui d'enseignement secondaire délivré

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