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frivole. Non content, en effet, d'avoir été salué, en arrivant à Alger, par une mission marocaine, par des escadres russe, italienne, anglaise, par une division espagnole, par un bâtiment portugais, et, en revenant à Marseille, par une division américaine, il va recevoir à Paris la visite du roi d'Angleterre et il paraît bien que c'est Edouard VII lui-même qui s'est invité, à l'occasion d'une croisière qui, d'abord, devait seulement le mener en Portugal, à Gibraltar, à Malte et en Italie. Revue militaire à Vincennes, courses à Longchamp, réception à l'Hôtel de Ville, demi-gala aux Français, gala à l'Opéra, dîner à l'Elysée, déjeuner au quai d'Orsay, diner à l'ambassade d'Angleterre, voilà le programme arrêté pour ce séjour, fixé aux quatre premiers jours de mai. La presse anglaise et les hommes d'Etat anglais, dès la nouvelle, ont témoigné beaucoup d'enthousiasme et entrepris une campagne pour la conclusion d'un traité d'arbitrage. En France, on a été beaucoup plus divisé. Tandis que la Patrie, et moins ardemment l'Autorité, la Libre Parole, l'Intransigeant, mettaient en relief les torts récents de l'Angleterre à Fachoda et au Transvaal, sans rappeler les griefs séculaires, Paul Déroulade prônait un accueil plus que courtois envers un prince qu'il considère comme « l'adversaire forcé de la prépondérance germanique ». Quoi qu'il en soit de cette polémique, le sentiment général a conclu à l'omission de toute manifestation, enthousiaste ou hostile, rien ne justifiant l'une, et la courtoisie défendant l'autre. Si l'on s'y tient, cette attitude est encore celle qui nous préparera le mieux à écouter, en pleine maîtrise de nousmêmes, la conversation qui s'engagera ensuite, s'il doit s'en engager une. M. Delcassé n'est d'ailleurs peut-être pas fixé lui-même sur le point de savoir si sa politique, en devenant plus anglophile, sera plus germanophobe ou cessera d'être russophile: l'excellent homme récolte au jour le jour et au petit bonheur toutes les aménités

internationales qui s'offrent, et ne prend point garde aux contradictions que ce jeu entraîne. Déjà, d'ailleurs, on annonce, pour juillet, un voyage de M. Loubet à Londres.

Avant de résumer le mois extérieur, disons encore que les conseils généraux, dans la session d'avril qu'ils viennent de tenir, se sont répartis entre assemblées favorables et assemblées hostiles à deux voeux dont la formule avait été proposée par M. Jules Roche pour l'un, par M. Gauthier (de Clagny) pour l'autre le premier adjure le Sénat de ne point ratifier le projet voté par la Chambre pour l'asservissement des communes aux préfets en matière de constructions scolaires, le second réclame pour 1904 un budget dont l'équilibre soit assuré par des économies, sans emprunt ni impôts nouveaux. Mentionnons l'échec de M. Maurice Barrès, dans le quatrième arrondissement de Paris, échec qui présage la fin du mouvement nationaliste, la lassitude ayant atteint les indécis dans une lutte trop inégale entre la puissance du bloc gouvernemental et une opposition à peine aguerrie. Enregistrons aussi le scrutin sénatorial de la Gironde, où M. Decrais, l'ancien ministre des colonies du cabinet Waldeck-Rousseau, s'est concilié, par quelques déclarations libérales, les voix de tous les électeurs indépendants et l'a emporté, avec 250 voix de majorité, sur le judéo-maçon Fernand Faure, irréductible en son combisme. Signalons la proposition déposée par M. de Pressensé, l'infatué sectaire, sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat, proposition qui compte jusqu'à quatrevingt-dix-huit, dont un certain nombre sont calqués sur les lois de mai de M. de Bismarck. Prenons acte de l'absolution que M. Millerand, grâce aux subtilités de M. Jaurès, a obtenue dans le congrès socialiste de Bordeaux, qui voulait l'exclure pour ses complaisances

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« bourgeoises ». Déplorons la mise en réforme du capitaine Poirier, du 104° de ligne, en garnison à Domfront, incriminé à l'occasion d'une allocution dont le texte, non destiné à la publicité, a été cependant livré au sous-préfet de Domfront par un imprimeur du « bloc » combiste. Sourions enfin de la déconvenue qu'éprouvent les fonctionnaires préposés aux beaux-arts depuis qu'on a quasiment prouvé la fausseté d'un joyau du Louvre, connu sous le nom de « tiare de Saïtapharnès », et qu'ils avaient, sur des incitations sémitiques, payé plusieurs centaines de mille francs!...

La situation ne s'est pas éclaircie au Maroc : le prétendant Bou-Hamara s'est emparé de la forteresse de Fragana, près de Melilla, il inquiète Tetouan, il marche sur Fez, tandis que le sultan, après avoir congédié tous ses conseillers européens, y compris l'anglais Mac Lean, marche avec son frère sur Tazza. Le Sud-Oranais est, par contre-coup, menacé par l'incursion d'agitateurs qui ont des ramifications avec les rebelles du Maroc. Deux postes français ont été attaqués de la sorte, à Ksar-elAzoug et à Duveyrier. Le capitaine de Trézillat est envoyé à Tanger pour en ramener à Oran des soldats marocains qui seront dressés à la surveillance de Figuig. Et, si les affaires marocaines s'aggravent, on parle à Toulon de la mobilisation des 4° et 8° régiments d'infanterie coloniale, qui formeraient une colonne dont le commandement serait confié au colonel Marchand.

L'autre point noir, en Europe, c'est la situation des provinces turco-balkaniques. Tandis que la Macédoine se soulève, soit pour revendiquer un sort meilleur en faveur des chrétiens, soit pour faire le jeu des ambitions bulgares, l'Albanie s'est soulevée, elle, pour un motif tout contraire, pour empêcher le sultan d'appliquer les réformes que les puissances lui suggéraient cette in

surrection albanaise a suscité plus d'un incident sanglant, et, entre autres, le meurtre de M. Chtcherbina, consul de Russie à Mitrovitza; là-dessus, les puissances ont dénoncé au sultan le danger de l'insurrection albanaise, contre laquelle des forces considérables ont été envoyées de l'Asie Mineure; enfin, pour compliquer encore les choses, les insurgés macédoniens ont recours à la dynamite pour faire prévaloir leurs vues, et nonseulement ils ont fait sauter plusieurs ponts pour empêcher la mobilisation turque, mais encore ils viennent de faire sauter à Salonique même la Banque ottomane et un navire.

Victorieuse du sultan de Kano à Sokoto dans l'Afrique centrale, l'Angleterre a éprouvé, à l'est de ce continent, au Somaliland, deux ou trois échecs qui compromettent sérieusement l'expédition; par ailleurs, elle boude l'Allemagne à propos du chemin de fer de Bagdad, où elle refuse d'intervenir financièrement pour étayer l'influence germanique vers la Perse; elle obtient l'assentiment des nationalistes irlandais au nouveau bill agraire de M. Windham, qu'ils saluent comme un acheminement décisif vers le Home rule; enfin, elle suit des yeux son roi Edouard, visitant Lisbonne, Gibraltar, Malte, Naples, et enfin, avant son séjour en France, Rome, où le successeur d'Henri VIII s'est grandement honoré en faisant au Souverain-Pontife une visite qui a durẻ vingt-cinq minutes, et qui, en même temps qu'elle donne une marque de sympathie à ses sujets catholiques, même irlandais, marque la fin de l'esprit sectaire et anticatholique dans l'opinion publique anglaise.

Notons encore: le voyage que Guillaume II, retour de Copenhague, va faire à Rome avec ses fils; les difficultés sans cesse renaissantes que la politique siamoise oppose aux intérêts français, et la prorogation jusqu'au 31 décembre du délai dans lequel devait être ratifié par nos Chambres le projet de convention franco

siamoise du 7 octobre 1902; -les efforts qu'il a fallu faire au cabinet Silvella pour se reconstituer après la démission de M. Villaverde, et pour obtenir, aux élections pour le renouvellement des Cortès, une majorité que diminue pourtant le progrès des républicains; l'échec d'une grève générale à Rome; l'aveu que le nouveau ministre italien des affaires étrangères, l'amiral Morin, a fait de la complaisance témoignée à l'esclavage par la société italienne coloniale des Benadir; le projet d'une visite de Victor-Emmanuel III à Paris, retour d'Angleterre; la désignation d'une commission mixte qui délimitera la frontière contestée entre le Congo français et l'Etat indépendant du Congo; — l'achèvement, au profit du ministère catholique, de la discussion, à la Chambre des représentants de Bruxelles, de l'inepte interpellation du libéral Crombez sur l'immigration des religieux français en Belgique, un député catholique, M. Dallemagne, ayant flétri comme un « suicide national» la politique anticléricale de la France dont cette interpellation était un post-scriptum exotique l'énergie avec laquelle le cabinet Kuijper, à la Haye, partagé entre catholiques et protestants, mais entièrement conservateur et contre-révolutionnaire, a fait adopter, malgré la grève d'Amsterdam, les projets de loi qui répriment les excès socialistes, et fait avorter la grève elle-même, la crainte ayant été une fois de plus le commencement de la sagesse ; - la réélection, par 124 voix sur 145 votants, de l'antisémite Lueger comme bourgmestre de Vienne; un nouveau coup d'Etat à Belgrade, où, pour écarter les radicaux, Alexandre de Serbie a changé une fois de plus la Constitution, suspendu les lois, et nommé une fournée de sénateurs ;

enfin, la victoire, à Saint-Domingue, de la révolution qui a chassé le président Vasquez.

Paul TAILLIEZ.

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