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le chartreux dom. Gerle par exemple « les curés de 1789, se joignirent à Mirabeau et aux membres des Tiers qui s'érigèrent de leur autorité propre en «< Assemblée Constituante. » Il y avait des députés des deux ordres à cette séance de nuit du 4 août qui fit si grand bruit alors et dont on a dit qu'elle avait achevé la ruine du régime féodal. C'est au lendemain de ce jour fameux que commença pour les enthousiastes d'alors l'ère des déceptions; elle ne devait pas finir de si tôt.

Parmi les votes émis le 4 août se trouvait le rachat des dîmes, mais lorsqu'il fallut transformer ce vote enthousiaste en décisions fermes, l'Assemblée en changea le caractère, elle remplaça le rachat par l'abolition. Le Décret (les lois d'alors s'appelaient ainsi) du 11 août 1789 portait « Les dîmes de toute nature possédées par des corps réguliers et séculiers et par des fabriques sont abolies, sauf à aviser au moyen de subvenir d'autre sorte aux dépenses du culte divin, des ministres des autels, aux réparations et reconstructions des églises et presbytères et à tous les établissements, séminaires, écoles, collèges, hôpitaux, communautés et autres, à l'entretien desquels elles sont actuellement affectées. »

Le décret ajoutait : «En attendant leur remplacement, elles continueront d'être perçues. » Elles ne le furent pas ou rarement; on vint dire aux paysans: les dîmes sont abolies! c'en fut assez pour leur faire refuser de les acquitter. Les décîmateurs montraient vainement la dernière partie du décret, ces esprits grossiers ne pouvaient admettre qu'une redevance fut à la fois supprimée et maintenue et comme le pouvoir public passait en des mains hostiles au clergé et que la justice commençait aussi à être désorganisée, le clergé des campagnes en grande majorité restait sans ressources ainsi que nombre d'établissements charitables ou d'instruction qui vivaient aussi de la dîme.

Il restait le casuel, ressource minime dans les cam

pagnes, un peu plus importante dans les villes; le décret prit soin de l'abolir.

Art. 8. Les droits casuels des curés de campagne sont supprimés et cesseront d'être perçus dès qu'il aura été pourvu au remplacement des portions congrues. Il sera fait un règlement pour fixer le sort des curés des villes. » Le règlement ne fut pas fait et il en fut du casuel comme il en avait été des dîmes.

Ce décret venait chez certains membres de l'Assemblée d'un défaut de réflexion et de sens pratique; ils voulaient libérer la terre » en supprimant l'obligation des dîmes, et ne considéraient pas s'il était juste d'abolir sans rachat, ni quelles seraient les conséquences au regard du culte et des établissements d'assistance ou d'instruction'. Mais de la part d'autres membres de l'Assemblée c'était le résultat d'un calcul et d'un dessein arrêté. On venait d'enlever au clergé la moitié de son revenu (Il faut toujours se souvenir que le revenu du clergé n'était point réparti entre ses membres d'une façon mathématique; certains curés n'avaient que la dîme; d'autres, ceux des villes, notamment, que le casuel et le revenu des biens de la cure), il fallait lui ôter l'autre; ce fut l'objet de la motion dite « sur les biens du clergé. »

La situation pécuniaire de l'Etat était difficile, elle avait même été le prétexte qui fit réunir les Etats-Généraux et ces Etats, devenus l'Assemblée Constituante, s'étaient occupés d'abord de tous autres objets, ils songeaient maintenant à celui qui les avait fait assembler et Mirabeau avait évoqué aux yeux de ses collègues le sceptre de « la hideuse banqueroute ». Mais où trouver des ressources? Il est toujours pénible pour un corps élu

'La suppression sans rachat eut pour effet d'enrichir les propriétaires décharges ainsi d'une redevance perpétuelle et aussi les fermiers ayant un long bail, le tout au détriment des contribuables qui devaient payer l'équivalent.

de mettre une charge nouvelle sur les électeurs. L'Assemblée comptait beaucoup de disciples de Voltaire et des Encyclopédistes légers de scrupules et ennemis de la religion ils montrèrent les biens du clergé et trouvèrent piquant d'en faire demander la spoliation par un ecclésiastique. L'évêque d'Autun, de Talleyrand-Périgord, fort décrié pour ses mœurs, consentit à s'en charger. Le débat fut ardent, mais toujours sur un ton que les assemblées suivantes ne devaient plus connaître et que les nôtres ne connaissent pas. Les adversaires du projet s'étonnèrent qu'il eut été même présenté. « Que penseriez-vous, disait l'un des plus éloquents d'entre eux, l'abbé Maury, que penseriez-vous d'un seigneur qui, pour payer ses dettes, prendrait les biens de son église? C'est pourtant ce que vous allez faire dans toutes les paroisses de France. >>

La légitimité de la mesure proposée fut défendue. par Mirabeau. Aux applaudissements de la majorité, il soutint que le droit de propriété est une création de la loi: nul citoyen n'a de droit sur un objet matériel qu'autant que la loi le lui permet ; elle peut limiter son droit ou même le lui retirer. Ainsi la loi a, pendant quatorze siècles, reconnu le droit de l'Eglise sur certains biens affectés d'ailleurs à des services publics: culte, assistance, enseignement, il lui convient de ne plus le reconnaître, c'est l'application d'un principe indiscutable.

Ce principe aurait fait la joie des socialistes s'il y en eût eu à l'Assemblée; il pourra bien être repris par ceux de nos jours. Les Constituants n'y virent qu'un moyen de spolier, avec raison déterminante, les biens du clergé et les nombreux légistes qui siégeaient sur ses bancs s'empressèrent d'appuyer les paroles de Mirabeau.

Comme l'Assemblée inclinait visiblement en ce sens, les membres du clergé firent une proposition: c'est de l'argent qu'il vous faut, c'est pour avoir des ressources que vous voulez saisir nos propriétés, eh! bien, cet argent nous vous l'offrons; nous avons déjà aidé l'Etat, nous

sommes prêts à le faire encore. « Dites-nous quels sont vos besoins, disait Mgr de Bethizy, évêque d'Uzès, nous dépasserons vos espérances. » Le clergé offrait ou de verser lui-même la somme nécessaire ou de donner ses biens en hypothèque, l'Etat faisant l'emprunt à son compte. Devant ces offres les ennemis du clergé se déclarèrent et avouèrent leur véritable dessein: Accepter celà, disait Barrère, ce serait mettre obstacle à l'exécution de vos projets sur les biens ecclésiastiques et un autre député, Garat le jeune, ajoutait : « Il importe que les fonctionnaires soient payés par la nation. S'ils sont propriétaires ils sont indépendants et s'ils sont indépendants, ils attacheront cette indépendance à l'exercice de leurs fonctions.» (Séance du 24 octobre 1789.)

Voilà donc ce que voulaient les Constituants en ôtant au clergé ses biens; ils voulaient lui ôter son indépendance. Ils trouvaient les membres du clergé trop libres en face du pouvoir public, comme ils ne voulaient souffrir aucune indépendance ni chez les magistrats (ils supprimaient les Parlements), ni dans l'enseignement (ils supprimaient l'Université), ni dans la charité (ils supprimaient les fondations et toutes les institutions libres); ils ne voulaient voir que des citoyens sans droits, sans force, sans garantie en face d'un Etat tout puissant qui était eux-mêmes; il leur convenait de faire des membres du clergé des fonctionnaires serviles et très soumis

Les membres du clergé protestèrent vainement par la bouche de l'un des plus qualifiés d'entre eux, Mgr de Boisgelin, archevêque d'Aix, qui avait été président élu de la Constituante: « Vous nous ôtez nos possessions, vous nous offrez un salaire qui sera un impôt sur la Nation, ne vous étonnez pas si nous réunissons toutes nos forces, tous nos titres pour rejeter un salaire. »

Mais, ainsi que l'écrivait justement un auteur protes

tant, M. Edmond de Pressensé (L'Eglise et la Révolution, p. 50) « dans la Constituante la majorité était bien plus vite formée lorsqu'il s'agissait de mettre la main sur les biens de l'Eglise que quand il s'agissait de consacrer la liberté religieuse de tous les citoyens, » et elle rendit le décret des 2-4 novembre 1789 portant que « les biens du clergé sont à la disposition de la Nation, sauf à pourvoir d'une manière convenable à la décence du culte et à la subsistance des ministres des autels. >>

On avait voulu éviter le mot de confiscation, mais en évitant le mot on décrétait la chose le clergé depuis les archevêques jusqu'au dernier vicaire, était désormais sans autre ressource que le traitement promis par l'Etat. Du reste les auteurs du décret avaient eu soin, pour gagner le clergé du second ordre de faire, mettre dans le décret: « Les curés ne recevront pas moins de 1200 livres, non compris le logement. » C'était sensiblement plus que la portion congrue.

Du même coup les églises, chapelles, séminaires et tous les bâtiments servant au culte étaient propriétés de l'Etat. Un arrêté (du 29 septembre) avait ordonné déjà la saisie d'une partie de l'argenterie des églises; tout était saisi maintenant. Nombre de bâtiments affectés à l'enseignement et à l'assistance, sous la conduite du clergé, et qui, pour ce motif, rentraient dans son patrimoine, étaient confisqués également ainsi que les capiteux qui, par leurs revenus, faisaient vivre ces institutions. On ôtait ainsi au clergé la direction des institutions d'enseignement et d'assistance'.

Tandis que l'Assemblée confisquait les biens de l'Eglise catholique elle respectait les biens de l'Eglise luthérienne. Cette Eglise avait en alsace des propriétés (anciens biens de l'Eglise catholique pour la plupart) qui lui avaient été conservés en vertu du traité de réunion de l'Alsace à la France. Par décret du 1-10 décembre 1790, l'Assemblée déclara que « les biens possédés par les protestants des Confessions d'Augsbourg et Helvétique, ne sont pas nationaux; les dîmes par eux possédées sont de celles que rembourse le fisc; les charges dont les biens nationaux étaient grevés à leur égard continueront de subsister. >>

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